La Villa de la Kiolasse
Des cris obligèrent Ozanne à se relever. Les apprentis avaient changé de dimension avec eux et attaquaient le Hui mal en point. L’animal s’écroula, épuisé par la soudaine chaleur et l’atmosphère chargée de cendre. À coté des poils épais de l’animal, une forme se détacha. Ozanne voulut se rapprocher pour voir qui cela pouvait-être. Une main se posa sur son épaule. Sur ses gardes, elle se retourna sortant le poignard qu’elle avait gardé auprès d’elle. Baltazar la regarda avec une expression concentrée.
- Partons…, commença-t-il, pensif.
Ozanne s’enragea.
- Tu comptais fuir ?
- Oui, répondit d’une voix neutre le démon. Ne tardons pas.
La jeune fille voulait comprendre. Les yeux sombres de Baltazar parcouraient nerveusement les environs, avant de se fixer sur l’ombre qui trébuchait pour s’enfuir sans se faire remarquer des apprentis qui appréhendait le changement de décor.
- Qui est-ce ? lui demanda Ozanne.
Le démon fixa le ciel où quelques vautours attendaient de pouvoir dévorer le cadavre du Hui.
- C’est Hermine… Elle a perdu de sa puissance. Elle a retrouvé sa forme originelle sous les attaques d’Agatha. Malgré cela, elle n’a pas voulu me lâcher et nous a poursuivi au dos de cet animal…
- Ces pouvoirs se sont annulés ? s’étonna Ozanne.
- Il est possible ! Je n’ai pas voulu la faire venir avec nous, mais nous avons peut-être évité la catastrophe.
Ozanne vit Hermine trébuchait sur le sol, se retrouvant à genou et ayant de plus en plus de difficulté pour se relever sur le sol ardent.
- Elle a mérité d’errer dans ce désert de cendres. Où sommes-nous ? fit la jeune fille en enlevant son cabas, les yeux obnubiler par les nuages.
- Une dimension oubliée et malsaine…
- La traîtresse et le transporteur !
Les apprentis venaient de les apercevoir un peu plus loin. Ozanne s’écria :
- Téléportons-nous !
- Ils sont trop proches ! Courons !
Ozanne ne prit pas plus de temps pour suivre le démon qui se dirigeait vers le seul arbre des environs. Un prunier qui se peignait de fleurs rose et blanches. Ozanne se souvint soudainement de celui qui l’avait emmené dans le Dédale et son tragique sort :
- Et Liosan Ferl ? s’écria-t-elle à Baltazar.
Le démon se tourna vers elle d’un air renfermé.
- Ce n’est pas lui… Je t’expliquerais après ! Prépare-toi !
- Quoi ?
Alors qu’ils venaient d'atteindre le jardin des Horla, la cendre qui voletait autour d’eux devint goutte d’eau. Sous la violence de la téléportation, Ozanne s’écrasa au milieu de la boue du verger. Autour d’elle des arbres la protégèrent de la pluie battante. Elle crut, un instant, qu’ils avaient semé leur poursuivant pourtant, leurs arcs se bandèrent à quelques mètres d’elle. La jeune fille n’eut que le réflexe de se protéger derrière les troncs. Une flèche atteignit sa jambe droite. Devant elle se trouvait une impressionnante bâtisse. Ozanne émit une dernière prière à elle-même, en priant que ce ne soit pas un adieu, et se lança vers la porte arrière de la villa. Ses pas frappèrent la terre, qui subissait déjà la battance de la pluie brutale. En quelques secondes, elle se fracassa contre la porte. Celle-ci explosa sous l’impact.
- Elle était ouverte ! jura Baltazar en la regardant de haut. Ce n’est pas la bonne dimension.
- De quoi ? Encore, une dimension oubliée ? s’écria-t-elle.
- Non, justement…
- Mais que se passe-t-il, ici ?
Une vieille femme en cheveux blancs venait de débarquer dans le séjour. Ozanne n’eut pas le temps de faire les présentations que les cinq apprentis entrèrent par la porte qui n’était plus, bandant férocement leur arc. Ozanne glissa sur le carrelage et planta son poignard dans la jambe de l’un d’eux. Il se plia de douleur. La vieille femme était partie se cacher dans une autre pièce, de même que Baltazar. L’aventurière s'enfuit en boitillant vers la cave, tombant et roulant dans les escaliers de pierre. Ozanne fut pris d’un mal de tête terrible. Autour d’elle la noirceur l’envahissait. Le calme l’apaisa. Elle grimaça en touchant la flèche enfonçait dans sa jambe. Dans l’obscurité, elle tâta doucement et fut rassurée que ce ne soit pas trop profond. Des bruits de pas se précipitèrent dans les escaliers qu’elle avait descendus tête la première. Ozanne pesta et se colla contre le mur, se fondant dans le noir. Ses doigts se crispaient autours de son poignard.
- Elle doit être quelques parts par ici. Il y avait du sang dans les escaliers…
- Il fait trop noir ! On n’y voit rien.
Ozanne n’entendait que deux voix. En écoutant le son de leur pas, elle devina qu’ils étaient proches d’elle. Les apprentis du Sanctuaire ne faisaient pas de bon guerrier. Ils n’avaient fait qu’étudier les plantes toutes leurs vies. Leurs lames étaient celles utilisées pour désherber ou couper les plantes. Leurs robes étaient épaisses, mais seulement pour se protéger du froid. Telle une ombre, elle se posa sur une étagère pour prendre de la hauteur. Dès qu’ils arrivèrent vers elle, Ozanne attendit que l’un d’eux se retourne pour lui sauter sauvagement au cou, l’égorgeant. Il tomba à terre. L’aventurière chuta avec lui et repéra le second, lui planta son arme dans le pied et le désarma de son épée d’un coup vif dans le poignet. Ozanne saisit la lame et l’enfonça dans la poitrine de l’apprenti. La jeune fille s'empara d'un arc ainsi que de quelques flèches et tenta de remonter les escaliers. Elle accéléra en entendant des hurlements dans la villa. La guerrière traversa de nombreuses salles, le mobiliers brisés sur le sol. Elle croisa des habitants déboussolés.
- Où sont-ils ? demanda-t-elle brutalement.
Ils montrèrent paralysés, la source des cris. Une porte fermée à clé les séparés. Ozanne tenta de la forcer sans y parvenir. La voix de la vieille femme l’informa de la situation :
- Ils ont coincé la porte pour faire du chantage avec votre ami ! Quelle honte !
- Comment peut-on rentrer dans la pièce ? demanda Ozanne, épuisée.
- On ne peut pas ! tonna-t-elle.
Ozanne tourna en rond tel un lion en cage. Elle eut une idée. Ce n’était qu’une porte.
- Je me rends, cria l’ingénue. Ouvrez cette porte !
Une voix rauque traversa le battant :
- Mettez-vous à genou ! Nous vous voyons par le trou de la serrure. À genou et les mains dans votre dos. Nous tuerons ces personnes, si vous tentez quelques choses. Vos armes à terre…
Ozanne s’exécuta, cachant son poignard dans ses vieux habits. L’un des apprentis ouvrit la porte, la prit par le col, la fit entrer dans la pièce et colla son nez dans les poussières du sol. Le battant se ferma derrière elle. L’apprenti reprit :
- Maître Baltazar, ramenez-nous !
Des pleurs se faisaient entendre. Une voix brisa la tension de la pièce :
- Maître Baltazar, vous n’êtes qu’un traître. Où est mon père ? Dites-moi qu’il va bien ! Qu’il vienne nous aider… Ils m’avaient dit de me méfier de vous, que vous n’étiez sans foi ni loi. J’ai presque eu pitié de vous !
- Mademoiselle Léontine, reprit le démon d’un ton calme. Vous auriez dû être au manoir ! Dans votre état…
Ozanne n’avait retenu que le nom de Léontine. Ce temps froid et humide ne pouvait être que la dimension de Peio. La jeune femme parcourut la salle et observa les pieds des apprentis. Léontine haussa le ton, déferlant sa haine sur Baltazar. Les hommes du Dédale essayèrent de la calmer, de la faire taire, mais ce fut impossible. Ozanne observa les alentours. Leurs agresseurs n’étaient que trois. Un à la porte, un la surveillant et le dernier devait poser son couteau sous le coup de Léontine, affolée. Ozanne sortit discrètement son poignard. Dans le coin de l’œil, il vit que l’un des convives battait étrangement du pied. Que cela voulait-il dire ? La jeune femme voulut passer à l’attaque, mais l’apprenti lui attrapa le poignet. Habilement, elle réussit à faire glisser l’arme vers ce mystèrieux homme qui s’en saisit de suite. Ozanne donna un coup de coude brutal dans la jambe de l’apprenti qu’elle avait blessé auparavant pendant qu'Aslan maitrisa celui posté à la porte. Baltazar s’affola :
- Ozanne !
Le démon lui montra Léontine qui se débattait de toutes ses forces pour ne pas finir décapité. Ozanne saisit l’arc et encocha une flèche, restant dans l’impuissance quelques instants. Elle ne pouvait dissocier la jeune femme de son agresseur. Léontine donna un coup mal placé à l’homme qui s’écarta un peu d’elle. Sa tête rencontra la flèche d’Ozanne et il s’écroula avec la jeune veuve au sol.
Alida hurla et courut vers Léontine pour l’aider à se relever. Elle semblait pâle et porta une main sur son ventre. Aslan tenait le poignards sous la gorge de l’un des aggresseurs et ouvrit la porte pour que les Horla viennent les aider. La mère d’Aloïs rentra en fureur :
- Qui êtes-vous ? Que faites-vous chez moi ?
Ces yeux fusillèrent Ozanne qui tenait sa jambe blessée. Elle jeta un regard à Baltazar qui se pinça les lèvres en fuyant les yeux de la propriétaire. Un homme aux cheveux blancs entra en la pointant du doigt :
- Ozanne, c'est le nom de l'invitée, de l'invisible…
Léontine dévisagea la femme au milieu de la pièce. À vrai dire, elle ne se l’était pas imaginé à cette image. Ses cheveux ébouriffés lui donnaient un air de bête sauvage. Ses yeux se soulignaient de nombreux cernes brunes. Sa peau se montrait pâle sûrement liée à la blessure de sa jambe. Quand Léontine avait appris que son quasi-mari voyait quelqu’un d’autre, elle avait pensé qu’elle serait grande et sophistiquée.
- Quand je parlais que l’invisible nous sauverait des loups, je ne pensais pas qu’elle me ramènerai cinq hommes en manteau vert pour saccager ma villa. Vous me rembourserez de tous les chefs d’œuvre qu’ils ont brisés de leurs flèches…
- Vous avez connu Peio ? la coupa Léontine.
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