Le Dilemme

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Deux semaines plus tard…

Les chevaux s’avancèrent vers les abords de Biloaï. Des hauteurs, la cité paraissait étrangement paisible dans l’hiver calme. Le silence régnait dans le petit groupe. Ana tenait à un bras les rênes de sa monture. L’autre avait été amputé sur la route par un médecin de passage. Sa manche pendait dans le vide. Son teint se faisait pâle, la douleur irradiait son corps.

Cyrille ouvrait les yeux en contemplant les environs. Il lui avait fallu plusieurs jours avant de comprendre que ce pays lointain n’avait pas connu la montée des eaux. La vendeuse avait subi multiples menaces de la générale quand elle avait commencé à poser trop de questions. Depuis, elle restait muette comme les pierres qui l’entouraient.

Lars ne comprenait guère. Le prince se sentait infiniment vide. Il n’avait trouvé aucune clochette depuis des semaines et le silence le hantait au point de lui faire oublier qu’il voyageait sur un animal qui lui était inconnu.

Peio écarquilla les yeux devant la cité endormie. Des larmes coulèrent sur ses joues mates, se noyant dans sa barbe broussailleuse. Il ne savait même pas pourquoi son cœur se comprimait dans sa poitrine. La générale vint à ses côtés pour le forcer à avancer plus vite. L’historien demanda timidement :

- Je me souviens enfin où je vous avais rencontré… Aux enchères de la terreur.

Nathanaëlle souffla d’exaspération.

- Ce n’est pas trop tôt…

- Il y en avait une sur l’île des pirates, aussi ? continua-t-il.

- Oui, c’est de moi également. Avant d’être générale, j’étais comme Cyrille : commerçante, raconta Nathanaëlle à bout de nerfs. J’étais à la tête du navire de mon père et je voyageais d’île en île pour vendre tout type d’antiques objets. J’avais organisé ces enchères sur la terreur des Enels et les actes incompréhensibles des nobles sous les charmes d’Ezyld. Je savais ce que faisait la démone qui vous a contrôlé l’esprit. J’en jouais habilement pour vendre plus cher des objets pourtant des plus ordinaires. Jusqu’à… ce que l’une de mes reliques illégales se brisa sur le sol d’une maison de simples bourgeois naïfs et que les sombres rumeurs que je propageais deviennent vraies. Personne ne savait que je finançais les fouilles des cités englouties. J’avais relié mes contacts avec mon oncle qui avait été rejeté de ma famille. Je me croyais si maline… J’ai pensé que je garderais le contrôle ! À force de tricher, de bluffer, j’ai beaucoup perdu. Vous êtes de ceux qui ont subi mes erreurs de plein fouet.

Peio n’avait pas tout compris. Deux mémoires se superposaient à son esprit. Il n’arrivait plus à faire la part entre les deux. Il en perdait le détail, n’arrivant plus à faire la différence entre les versions de sa vie. Les chevaux commencèrent à descendre le large chemin qui menait à la ville. Les premières maisons les encerclèrent. Les travailleurs se levaient dans le matin glacial. Des hommes cassaient les avenues recouvertes de givre, laissant un sillon que les chevaux empruntèrent. En quelques minutes, le groupe de voyageur s’arrêtèrent dans une ruelle. Nathanaëlle ouvrit un large portail laissant la voie à une petite cour de gravillon.

Peio en eut des frissons. Des images lui revint. Il s'était déja retrouvait allongé sur le sol, la cheville attachée à une patte de cheval. Il ferma les yeux en guidant sa monture jusqu’au râtelier et posa un pied sur le sol instable. Lars et Cyrille firent de même. Une jolie verrière de fer prenait place au fond de la cour. La générale déverrouilla la porte arrière et rentra dedans. Peio se laissa un instant revivre la scène qui l’avait amené par ici. Tout cela lui paraissait brouillon. Il fut le dernier à entrer dans la maison qui reprenait un peu de chaleur grâce au feu de cheminée qu’avait allumé Nathanaëlle. De son bras valide, elle tenait le tisonnier et secouai les braises avec. Cyrille s’assit sur un canapé confortable. Peio fixa le tapis vert qui cachait la trappe vers l’immense cave.

- Que faisons-nous ? demanda la vendeuse.

Ana pris du temps avant de répondre. Ses yeux marron fixaient la bûche qui brûlait. Ils leur faillaient à tous un peu de répit.

- Je… je dois informer l’un de mes associés de mon arrivé. Peio doit rejoindre mon client.

Cyrille se douta que ni elle ni Lars ne faisait partie du plan de base. Après un instant de silence, elle reprit sérieusement :

- Et vous, générale ? Qu’allez-vous faire ?

Nathanaëlle se mordit les lèvres.

- Je ne veux pas laisser Larialle sous les mains d’Ezyld. La mission accomplie, je reprendrais la mer pour combattre la démone sans faire couler le sang des nobles qui n’ont rien fait !

- Je viendrais avec vous, souffla Cyrille. Je n’ai plus nulle part où aller…

La générale cacha son mécontentement. La tristesse pesait sur elle avec lourdeur. Elle avait honte de ce qu’elle avait fait.

Après une heure de repos, elle s’adressa d’une voix claire :

- Cyrille, je compte te raccompagner vers les océans. Tu devrais, plutôt, retourner chez tes parents même si cela t’es inconfortable le temps que les orages se calment.

- Non, répondit-elle catégoriquement.

- Je ne t’interdirais pas de monter sur mon navire, mais je n’hésiterais pas à sacrifier ma vie pour sauver Larialle…

- J’en suis ! la coupa la jeune femme.

- Comme tu voudras, continua Ana en se prenant la tête dans ses mains. Quant à vous Lars, je ne peux vous ramenez là-bas. Vous seriez beaucoup trop en danger. Je vous dois la vie. Vous avez fait preuve d’un immense courage pour avoir affronté Ezyld ! Je vais voir avec mon collaborateur pour vous mener à un endroit confortable.

Les yeux du prince se remplir d’une grande reconnaissance.

- Je refuse que plus de sang ne soit versé par Ezyld, répondit-il. Vous trouverez un moyen de la faire revenir à la raison.

Nathanaëlle lui sourit chaleureusement. Le feu lui redonnait un peu de force. Pourtant un dilemme lui rongeait de l’intérieur.

- Peio, je m’excuse de ce que l’hystérique vous a fait subir. Nous savons ce que c’est de sacrifier les personnes qui nous sont chères pour que justice soit faite. J’ai reçu l’ordre de vous vendre à Liosan. Néanmoins, je ne sais quoi faire de vous…

- Que m’arrivera-t-il ? demanda Peio, un peu déboussolé.

- Liosan ne vous fera pas de cadeau, répondit Ana en se mordant la lèvre. À Biloaï, vous avez laissé beaucoup de personnes. Votre famille vous a enterré, il y a plus de deux mois. Mon bras serait la preuve de mon engagement auprès du Banquier, mais je ne sais pas si je vous fais un cadeau en vous confiant à vos proches. Je peux aussi vous ramener auprès des Hajouack, l’hystérique vous envoutera à nouveau, mais vous vivrez sûrement une vie épanouie avec Sarra.

Peio fut terrorisé de ne plus se souvenir, pire de ne pas discerner la vérité des dires de la démone. Ezyld avait l’adresse de retourner les cerveaux, à l’image d’un soldat qui lutterait contre sa peur pendant l’assaut d’un combat sanglant. Le jeune homme n’avait pas que subi les pensées de l’hystérique, mais aussi des sentiments qui ne lui seraient pas venus naturellement. Le temps aurait raison de ses souvenirs et émotions parasites, mais cela pouvait se compter en année. Voyant que Peio n’arrivait pas à se décider, Nathanaëlle reprit la parole :

- Liosan ne va pas tarder à revenir de son voyage d’affaires. Cela se compte en jour. Je vais affronter le froid pour aller chercher Baltazar. Vous avez ce temps pour réfléchir. Je voudrais simplement vous informer que Léontine arrive aux termes de sa grossesse. Je comprendrais que vous ne soyez pas dans les capacités de devenir père.

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