Les Mensonges de Liosan
Quelques heures plus tard, la jeune femme rentra, penaude, dans l’une des entrées secrètes du Théâtre. Elle traîna des pieds en montant les escaliers et se retrouva dans la petite bibliothèque où Aslan, Alida et Léontine l’attendaient de pied ferme.
- Que faisiez-vous, encore ? commença Léontine. Nous pensions que vous ne reviendrez plus !
Celle-ci posait ses mains autour de son ventre arrondi. Ozanne les esquiva, essayant de se cacher derrière les étagères poussiéreuses. Elle se défit de ses habits trempés. La veuve reprit la parole d’un ton dur :
- Nous vous protégeons de mon père, mais n’en profitez pas pour manigancer dans son dos !
Ozanne sentait une douleur terrible dans sa poitrine. La colère et la tristesse lui faisaient crisser des dents. Alida, assise en taille indienne au milieu des ouvrages, expliqua ce qu’elle avait trouvé à Léontine et Aslan :
- En continuant mes recherches sur le caporal Méristone, je suis arrivé à d’étranges ouvrages. J’y ai vu des méthodes de tortures, des sectes, des sacrifices qui servait ses idéaux à glacer le sang et une liste de nom de ceux qui ont propageait cette affreuse science.
Ozanne n’y fit guère attention. De ce qu'elle avait compris, Léontine avait failli se faire poignarder par ce fameux Méristone, ancien associé de Liosan Ferl. Apparemment le même qu’elle avait attaqué dans les enchères de la terreur. La jeune femme comprenait qu’Hermine et Liosan avait taché de rien ne laisser au hasard dans sa vie, comme-ci elle était écrite d’avance. L’hystérique le faisait désormais avec celle de Peio. Alida reprit et faisant les cent pas :
- Parmi cette importante liste, un nom était raturé. J’ai lu beaucoup de livres où l’auteur avait été arraché, parfois effacé par le temps ou rayer des écrits comme de l’Histoire.
- C’est le même ? demanda Aslan, étonné.
- Oui, s’exclama la sœur de Peio. Je l’ai fait étudier par un ami de ma mère, un archéologue qui l’aide à parfaire le réalisme de ses pièces de théâtre. Il a travaillé sur quelque passage et d’après ses dires, il se pourrait que ce soit la même personne qui l’ait écrite. Nous avons essayé de décrypter le nom et nous pensons à que cela doit ressembler à… Eryl ou Ezrydl…
- Ezyld ? s’étonna Ozanne.
Ne pouvant les voir, elle s’imaginait leur étonnement. De son côté, l’aventurière pensa que cela faisait sens. Si la démone servait la famille royale de Larialle, il y avait des chances qu’elle y choisisse des noms proches de ses idéaux.
- Ça pourrait être ça, affirma Alida.
- Vous connaissez une Ezyld ? la questionna Léontine avec méfiance.
Ozanne prit un moment, cherchant une réponse qui n’apporterait pas le double de question. Mais son esprit s’embrumait. Elle aurait voulu étriper cette démone pour ce qu’elle avait fait subir à Peio.
- Ce… ce n’est pas une personne… recommandable.
- Tout comme le duc Méristone, mais cela ne nous avance pas plus, Ozanne, s’énerva Léontine. Je peux comprendre que vous ayez vos petits secrets, mais nous cherchons des réponses. À la villa de la Kiolasse, vous m’avez affirmé que plus j’en saurais, plus je serais en danger, or je le suis déjà puisque des nobles tentent de me poignarder. J’ai besoin de savoir dans quel monde mon enfant grandira !
- Ezyld a tué Peio ! la coupa Ozanne, en colère.
Un silence de plomb s’installa dans la petite bibliothèque. Alida chercha des informations :
- Ce ne sont pas des soldats ?
- Liosan a menti ! explosa Ozanne.
- Il ne s’est pas jeté d’une falaise ? sursauta Léontine.
L'aventurière ne répondit pas et s’enfonça dans les armoires pour s’isoler, retenant ses émotions qui voulaient sortir d’elle. Alida reprit avec calme :
- Ça n’a pas de sens. Pourquoi Liosan aurait menti sur la façon dont Peio est mort ? Depuis trois mois, j’ai cru que c’était les hommes de mon père qui avait poussé mon frère dans le vide. Il y a une raison pour laquelle j’ai foncé sans me poser de question dans la folie d'Aloïs : je n’ai pas reconnu le corps de Peio sur le lit de la morgue. Ma mère…, certains la prenne pour une comédienne excessive, mais lorsque Peio était tombé inconscient, elle fut la seule à prétendre que mon frère était malade au-delà des diagnostics des médecins. Devant le cadavre défiguré, elle n’a laissé aucune prière pour l’au-delà. Moi, je ne l’ai pas reconnu. Je n’ai pas osé en parler de peur qu’on me prenne pour une folle, mais si Ozanne prétend que Liosan a menti sur cette affaire, j’y crois...
L’aventurière grinça des dents.
Léontine s’était difficilement relevée. Son cœur battait à tout rompre et de fortes nausées lui donnaient des vertiges. Elle se tint à une étagère.
- Je ne comprends pas ! marmona-t-elle faiblement. Si ce n’était pas le corps de Peio, ou est son cadavre ?
Alida arpenta les étagères pour se retrouvait face à elle.
- Léontine, tu es toute pâle ! s’étonna-t-elle. Tu te sens bien ?
La jeune femme sentait la sueur la recouvrir.
- Où est son cadavre ? répéta Léontine.
La sœur de Peio vint la soutenir, alors qu’Aslan arriva de suite.
- Elle perd les eaux ! s’exclama-t-il.
- Sans blague, s’énerva Alida. Aide-moi à la porter jusqu’au fauteuil. Huit mois et demi, ce n’est pas tôt ?
- Un peu…
Ils l’aidèrent à s’asseoir. Léontine sentit des premières contractions. Son cœur s’emballait avec la panique de voir ses collants trempés. Aslan la rassura de suite :
- Ne t’en fais pas, Léontine. C’est un peu tôt, mais ça reste dans la norme. On va appeler un médecin et demain matin, tu auras sûrement ton enfant dans tes bras !
Léontine attacha ses mains à la manche d’Alida.
- S’il te plaît, dis-moi où est le corps de Peio !
- Léontine ! paniqua-t-elle. Je n’en sais rien. Je n’ai pas reconnu le cadavre, mais c’était peut-être lui.
- Mais ta mère ? insista-t-elle.
- Tu l’as connais ! Elle en fait toujours de trop ! Concentre-toi sur ton enfant…
Léontine chercha des yeux Ozanne qu’elle trouva, adossée à l’une des étagères. Ses yeux fixaient le sol, des larmes fourmillant sur ses joues.
- Dites-moi ce que vous savez, Ozanne, la supplia-t-elle. Je ne pourrais donner naissance sans avoir plus de réponses.
L’aventurière prépara une multitude d'explication pourtant aucune ne lui convenait. Elle opta pour la dure vérité :
- Mademoiselle Léontine, Peio est en vie. Malheureusement, il n’a plus de souvenir de vous ni de sa famille.
Tous écarquillèrent les yeux. Léontine se calma et reprit durement :
- Où est-il ?
- Ici, à Biloaï. Mais il ne tardera pas à partir très loin vers sa nouvelle vie.
- Je veux lui parler avant !
Ozanne garda un air embarrassé.
- Il ne veut voir personne de son ancienne vie.
- Menez-moi jusqu’à lui ! Je veux lui parler !
Léontine s’appuya sur un accoudoir et le bras d’Aslan pour se lever.
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