Chapitre 6 Bree
Bree dort encore quand une poignée de cailloux frappe sa fenêtre. Bâillant, elle s’étire avant de se lever pour ouvrir la croisée.
En bas, son frère de lait, Felix, agite la main. Sourd de naissance, il ne parle pas. Elle signe simplement : « J’arrive. »
Elle enfile sa robe, puis, assise devant son miroir, se brosse les cheveux. Avec un soupir, elle glisse le doigt le long d’une mèche blanche. À dix-sept ans à peine, ses cheveux blanchissent à vue d’œil. Elle les dissimule encore sous un foulard, mais elle sait que cela ne durera pas. Bientôt, tout le village découvrira la vérité — et peut-être la traitera-t-on de sorcière, si l’on apprend les étranges pouvoirs qui sommeillent dans ses mains.
Elle secoue la tête. « Felix m’attend. »
Sur la pointe des pieds, elle descend jusqu’à la porte, veillant à ne réveiller personne. Dehors, le jeune homme est accroupi, absorbé par l’observation d’un scarabée brillant. Il se tourne pour lui sourire.
- Allons voir le lever du soleil.
- Oui.
Ils communiquent par signes, un langage inventé ensemble, simple et intuitif. Un langage à eux seuls. Grâce à lui, ils se disent tout — même leurs secrets.
Comme souvent, ils grimpent sur le gros rocher qui surplombe le village. De là, ils observent le ciel, les voyageurs, la vie. Felix n’a jamais entendu la voix de Bree, et elle ne connaît pas la sienne. Ils n’en ont pas besoin. Les regards et le silence suffisent.
Soudain, Bree tend l’oreille. Un cavalier approche. Au galop.
Felix lui touche le bras, pointant une silhouette à l’horizon. Elle hoche la tête — elle l’a vue aussi. Mais une sensation étrange l’envahit. Sa tête lui fait mal. Elle se plie en deux, les mains pressées contre ses tempes.
Le cavalier ralentit à l’entrée du village. Son cheval, noir de jais, avance au trot. L’étranger porte une cape poussiéreuse et une capuche relevée.
Felix se redresse, sur le qui-vive. Le danger n’est jamais loin. Mais d’un geste ample, l’inconnu abaisse sa capuche et tend une main ouverte — geste de paix.
Elerrina — car c’est elle — descend de cheval, bras ouverts, lentement, pour ne pas effrayer. Bree, recroquevillée, gémit faiblement. Elerrina s’approche et s’assoit en tailleur sur la pierre froide, ferme les yeux.
Elle projette doucement son esprit vers celui de la jeune fille.
Elle perçoit un monde intérieur lumineux : émerveillement devant la nature, joie simple à la vue d’un oiseau, d’un lever de soleil, d’un nuage. Mais aussi, des peurs, des tensions : la blancheur de ses cheveux, la lumière dans ses mains, des pensées étrangères, intrusives.
Elerrina envoie une vague de réconfort.
Mais aussitôt, une autre présence s’infiltre. Une conscience étrangère, puissante. Ni hostile, ni douce. Intruse.
Elle coupe le lien.
Physiquement, Bree va bien. Aucune blessure. La douleur vient de l’intérieur. Elerrina envoie une seconde vague d’apaisement. Bree se détend. L’autre disparaît.
Bree rouvre les yeux. Elerrina lui touche doucement le bras.
- Vous vous sentez mieux ?
- Qui êtes-vous ? demande-t-elle, effrayée.
- Ne vous inquiétez pas. Je ne vous veux aucun mal. Je m’appelle Elerrina. Et vous ?
- Bree…
- Bree ? C’est joli. Dans ma langue, cela signifie « noble ». Cela vous va bien.
- Mer... merci.
- Je vous en prie. Attention, votre foulard.
D’un geste précipité, Bree remonte le tissu sur ses cheveux.
- Sont-ils ainsi depuis longtemps ? demande Elerrina.
- Qu’est-ce que ça peut vous faire ? réplique Bree, sur la défensive.
- Je ne me moque pas. Vous changez, n’est-ce pas ? Et cela vous effraie.
Bree ne répond pas. Elle entoure ses genoux de ses bras et appuie son menton. Silencieuse. Comment peut-elle savoir ?
Elle frissonne.
Felix pose une main apaisante sur son bras. Il sent sa détresse.
Alors, les larmes montent. Silencieuses. Chaudes. Elles coulent sur ses joues. Et soulagent enfin son cœur.
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