1-3 : Mission Familiale

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 Toujours sous le choc de la découverte de ce demi-frère bâtard, la fratrie vit Guearth s’approcher du seigneur Hénantier puis pivoter pour leur faire face. Au même instant, un soldat entra dans la tente, accompagné d’un homme grand et musclé. Khordel sourit largement et s’avança vers le nouveau venu pour lui donner l’accolade. Ombeline se retourna et, après quelques secondes, reconnut Lucian, un autre de ses frères. Khordel murmurait à son oreille, le mettant rapidement au courant de la situation. La jeune fille vit les yeux de Lucian s’écarquiller de stupeur, mais il ne prononça pas un mot. Leur grand-père attendit d’avoir l’attention de tous avant de commencer :

— Très bien. Datès, que j’ai retrouvé et amené ici, aura pour tâche de vous aider dans votre mission.
 Datès l’interrompit avec un sourire narquois.
— Tout à fait Papi.
 Guearth se tourna vers lui et l’avertit d’un ton glacial :
— Je te préviens mon garçon, je ne suis pas, et ne serai jamais, ton grand-père. Encore moins ton… papi. Quand tu t’adresses à moi, tu es prié de dire « Messire », ou « Seigneur Guearth ». Tu es et tu restes un bâtard. Alors, n’oublie pas où est ta place.
— Très bien… Papi, répondit Datès, toujours avec un sourire goguenard.
 Le regard du vieil homme commença à flamber dangereusement et c’est avec une douceur menaçante qu’il reprit.
— Si tu prononces encore ce mot, attends-toi à des répercussions… fâcheuses. Es-tu sûr de vouloir risquer ma colère ?
 Voyant que le vieux seigneur ne plaisantait pas, Datès afficha un air plus neutre et se tint coi, se contentant d’opiner du chef.
— Bien, reprenons. Comme je vous l’ai dit, votre père est, depuis un certain temps, nuisible à la réputation des Whorgram. Il ne cesse de nous mettre dans l’embarras et son comportement n’est, pour user d’euphémisme, en rien honorable. Il est hors de question que je le laisse continuer ainsi ruiner les Whorgram. Je compte donc désolidariser la famille de sa personne.

 Un silence épais régnait désormais sous la tente. Ce que leur grand-père venait de dire était pour le moins choquant. Un protecteur rejeté par les siens, c’était du jamais vu. Ombeline songea que, si cela devait advenir, la réputation d’Hagrim Whorgram, ainsi que son honneur seraient déjà bien dévastés, et que rien ne l’empêcherait alors d’achever le travail en coulant définitivement l’image de son géniteur dans le pays. Guearth continua, comme si de rien n’était :

— Pour cela, je vais avoir besoin de l’héritier officiel de la famille. Votre demi-frère, Mungrid. J’imagine que vous gardez peu de souvenirs de lui ?

 Les jeunes gens restèrent silencieux tandis que Datès se curait les dents distraitement. De fait, ils n’avaient quasiment pas connu ce frère aîné, fruit du premier mariage de leur père. Ils se rappelaient vaguement l’avoir aperçu deux ou trois fois dans la cour. Ombeline n’était même pas certaine qu’elle aurait su retrouver son nom. Dans sa mémoire ne subsistait qu’une silhouette floue qui l’impressionnait, voire l’effrayait.

— Mungrid était un soldat, dans l’armée personnelle du Gardien. reprit le vieil homme, Et il s’est brillamment illustré au combat lors de la guerre contre l’envahisseur aesérien. Il a commencé à se faire remarquer. C’était également un homme instruit et très, TRÈS, intelligent. Certains disent qu’il était un philosophe éclairé. D’autres le décrivent plutôt comme un manipulateur qui savait envoûter les cœurs pour attirer les gens à lui. Il y en a même pour parler de secte dont il aurait été le gourou.
— Charmant… Ça colle bien avec la famille cela dit, murmura Barthélémius.
— Mais, il y a bien des années, alors qu’il était vraiment l’élément prometteur de la cour, il a quitté l’armée sans prévenir et a disparu. Sa mère avait déjà disparu, des années avant lui. Certains racontent qu’il est parti à sa recherche.
— Mais… Elle n’est pas morte sa mère ? s’étonna Khordel.
— Nous n’en savons rien. Elle a disparu de Fort Daenlorn un jour et personne ne l’a plus revue depuis… D’autres disent que Mungrid a trahi et qu’il a rejoint l’empire Aeserien, mais on n’a jamais rien trouvé pour corroborer cette accusation…
— Et pourquoi vouloir le retrouver ? Surtout si c’est un traître potentiel…, s’interrogea Balgor.
— Parce qu’il est et reste l’héritier officiel de la famille.

 Ombeline, jusque là silencieuse, intervint soudain, prenant l’assemblée de court :
— Et notre mère, qu’est-elle devenue ?
— Votre mère… s’est malheureusement donné la mort… Elle n’a pas supporté votre… départ, dit doucement le vieil homme.

 À ces mots, la fratrie pâlit. Elle avait été l’unique personne à leur avoir montré de l’affection de toute leur enfance. Mais, femme entièrement soumise à un époux tyrannique, elle n’avait pas pu les protéger. Les visages se fermèrent. Encore une chose dont leur géniteur aurait à répondre… Le vieux Whorgram reprit :
— Je veux que vous retrouviez Mungrid, et que vous me l’ameniez. J’ai besoin de lui parler.
Ombeline le regarda d’un air méfiant.
— Pourquoi nous demander cela à nous ? Après tout, vous êtes Maître-Espion du royaume. Pourquoi ne pas mettre certains de vos agents sur cette mission ?
— Je ne peux pas utiliser les ressources du Locquendech pour un problème d’ordre privé, une affaire familiale.
— Mais…
— Ce n’est pas possible. Point. Je n’ai que vous et Datès pour cette tâche.
— Mais nous n’avons aucune compétence pour ce genre de chose ! Comment pouvez-vous espérer que l’on y parvienne !?
— Vous avez survécu 4 ans, seuls, sans soutien. J’ai toute confiance dans vos facultés d’adaptation.

 La jeune fille rumina la réponse de son grand-père, manifestement peu satisfaite. Elle enchaîna :
— Et nos compagnons ? Vous les avez libérés eux aussi ?
— Vos compagnons ?
— Je n’ai pas été capturée seule. Que vont devenir les troubadours enlevés en même temps que moi?
— Je n’ai négocié que votre libération. Les prisonniers du Seigneur Hénantier… et bien…, continua le vieil homme en hésitant un peu, ils seront envoyés en Aeseria, et y seront vendus… comme esclaves.

 L’esclavagisme était interdit au Locquendech. Mais manifestement, cela n’arrêtait pas certaines personnes comme le Seigneur Hénantier. Serrant les dents, furieuse, Ombeline s’obligea au calme et reprit :
— Il est hors de question que je vous donne gain de cause et parte à la recherche de cet héritier si mes compagnons sont promis à l’esclavage.
— Mon enfant, je ne peux pas racheter l’ensemble des prisonniers. Et que t’importent quelques saltimbanques ?
— Ces saltimbanques, ainsi que vous les appelez, ont plus fait pour moi en 3 ans et demi que la famille Whorgram dans son ensemble durant toute mon existence ! Ils SONT ma famille à mes yeux. Je ne les abandonnerai pas. JAMAIS ! Vous m’entendez ?!? JAMAIS !
— Bien, bien, ma petite fille. Et bien s’ils sont si importants pour toi, je suis persuadé de pouvoir convaincre notre hôte de les libérer, n’est-ce pas Seigneur ?
— Ma foi… contre une compensation financière, nous devrions trouver un arrangement, dit son interlocuteur en souriant.
— Et bien voilà, le problème est résolu. Es-tu satisfaite ?

 Ombeline ne répondit pas. Satisfaite, elle ne l’était pas. Mais elle avait aussi conscience qu’elle n’obtiendrait pas mieux que la libération de ses compagnons troubadours. Elle constata alors que son grand-père l’observait avec une lueur de fierté. Il était ravi de son attitude, de ce qu’elle se soit affirmée et ai imposé ses conditions sans se laisser impressionner par le statut des deux seigneurs.
— C’est bien ma petite fille. se rengorgea le vieil homme. Elle a hérité de ma force de caractère ! Tu es bien une Whorgram !
— Je vais être très claire : je ne serai JAMAIS comme ma mère. Plutôt mourir !

— Ta mère n'était une Whorgram que par le mariage. En ce qui te concerne, le sang Whorgram coule dans tes veines, vos situations n'ont rien de comparables. 
— Et nos compagnons à nous, interrompit Lucian, Khordel et moi appartenions également à un groupe capturé.
— Et bien… si vous y tenez, je peux aussi intervenir pour eux… De combien de personnes parle-t-on cela dit ?
— Six, répondit Khordel, d’un ton quelque peu indifférent.
— Et bien soit…, soupira le Seigneur Guearth, faites libérer les compagnons de mes petits-fils de même, Seigneur Hénantier. Nous discuterons de votre… compensation… plus tard.
— Maintenant, écoutez-moi bien, continua le vieil homme, nul ne sait où se trouve Mungrid, ni même s’il est vivant. Mais, il a longtemps servi dans l’armée du gardien. Or un armurier qui a combattu dans la compagnie de Mungrid réside désormais à Fort Edinhir. Il vous faut aller lui parler. Selon mes sources, il pourra vous orienter vers une piste pour retrouver votre frère.
— Comment nous y rendre ? Nous ne savons même pas où nous sommes…
— Venez. répondit leur grand-père, en se tournant vers la table, Regardez la carte.
— Nous sommes ici, dit-il en pointant un endroit au sud-est du royaume, vous devrez passer par Valeblanc. Continuez vers le nord, vous atteindrez la Dinmë. Vous trouverez facilement des gués. Ne cherchez pas un pont. Le plus proche est bien trop au nord encore et vous obligera à des jours de marches supplémentaires. Une fois le fleuve derrière vous, maintenez votre direction vers le nord jusqu’à arriver à Meisdre, un autre petit village. Là, vous devrez obliquer vers l’est pour parvenir à Fort Edinhir.

 Seul Lucian semblait avoir suivi les explications du vieillard. Il opinait, les yeux fixés sur la carte.
— Nous aurons besoin d’une carte comme celle-ci.
— Vous l’aurez.

 Se tournant vers ses petits enfants, Guearth reprit :
— Il se fait tard, vous devriez aller vous reposer, votre mission commencera demain matin.
— Et… vous comptez nous y envoyer ainsi ? Sans équipement ? Sans argent ? Sans rien ? questionna Lucian, les sourcils froncés.
— Bien sûr que non. Vous recevrez chacun une bourse de cinquante pièces d’or. Je ne peux pas vous donner davantage ici. Et le seigneur Hénantier vous laissera choisir une arme, éventuellement un bouclier, dans ses réserves.
— Et… pourrons-nous nous présenter comme des Whorgram, sans craindre pour notre vie ? De combien de temps aurez-vous besoin pour faire prévenir les nobles du royaume ? interrogea Ombeline.
— Vous pourrez et vous DEVEZ vous présenter comme tel. Vous ÊTES des Whorgram désormais. Les familles nobles en seront rapidement informées. Et dès que je serais rentré à Gavundia, je ferai les démarches nécessaires pour que vous soyez inscrits dans le livre familial.

 La discussion se termina et la fratrie, accompagnée de leur nouveau demi-frère, sortit de la tente.
— Eh bien… on va de surprise en surprise…, commença Balgor.
— C’est complètement irréaliste ! Comment peut-il espérer qu’on réussisse ? Et si notre « grand frère » ne veut pas venir, on fait quoi ? 

  Aucun ne savait quoi répondre à la question de la jeune fille. Ils étaient tous abasourdis par la situation dans laquelle ils se retrouvaient. Silencieux, ils suivirent le soldat qui les mena à la tente préparée à leur intention.

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