2.1 : Premier sang

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 Le lendemain matin, on vint les réveiller aux premières lueurs de l’aube. Leur grand-père était déjà debout et donna à chacun la bourse de pièces promise. Lui et le Seigneur Hénantier prirent alors congé pour retourner au camp principal, à quelques kilomètres de là. La fratrie se regarda.

— Bon, que faisons-nous ? demanda Lucian
— Il faut trouver l’armurerie et nous équiper. Ensuite, nous pourrons nous mettre en route, répondit Khordel.

 Pendant ce temps, Barthélémius s’était quelque peu écarté et avait commencé à ramasser des cailloux au sol pour les glisser dans sa besace. Lucian eut un regard navré en sa direction alors qu’Ombeline tentait de camoufler un sourire amusé.
Le petit groupe demanda son chemin et se dirigea vers l’armurerie du camp. Ils ne furent pas longs à la trouver et, le Seigneur Hénantier ayant prévenu ses hommes, ils purent s’équiper d’armes correctes. Ombeline opta pour deux poignards pendant que ses frères choisissaient, qui une épée courte, qui une épée à deux mains. Ils partirent ensuite pour la cantine afin de faire le plein de rations de voyage. Puis, ne voyant pas ce qu’ils pouvaient préparer de plus, décidèrent de se mettre en route.

 Ils marchaient en direction du nord depuis quelques heures, sous la direction de Lucian, quand ils entendirent des cris et des éclats de voix devant eux. Le chemin forestier qu’ils suivaient décrivit une légère courbe, et ils aperçurent alors un groupe constitué de trois hommes et d’une femme. Ceux-ci malmenaient une paysanne bâillonnée. Ils lui avaient noué une corde autour du cou et leur objectif se devinait assez facilement. Indécise, la fratrie marqua un temps d’arrêt tandis que les quatre personnages les remarquaient.
Lucian prit la parole :
— Holà, que se passe-t-il ici, braves gens ?
— C’T’une sorcière ! Faut la pendre ! répondit la femme.
— Comment ça, une sorcière ? Comment le savez-vous ? intervint Ombeline.
— On l’sait, c’est tout ! Elle fait des tours, elle ramasse des herbes qu’elle fait des potions avec même ! rugit la femme, Alors vous mêlez pas d’ça, on va la pendre, un point c’est tout.

 Datès murmura :
— Mais qu’est-ce que ça peut bien nous foutre… qu’ils la pendent et nous, continuons notre chemin.
Ombeline lui jeta un regard noir et rétorqua :
— Je ne compte pas laisser tuer une innocente par une bande de bouseux superstitieux. Leur histoire me semble d’ailleurs bancale. D’ordinaire, les sorcières, on ne les pend pas dans un bois reculé de tout, on les brûle en place publique…

 Lucian et Khordel s’avancèrent d’un même pas, la main sur le pommeau de leur arme.
— Rien de ce que vous nous dites ne prouve la culpabilité de cette femme. Relâchez là, ou à tout le moins, ramenez-la à un village pour qu’elle soit convenablement jugée. Qui vous a donné l’autorité pour prendre une telle décision ?
— Si vous voulez nous empêcher de nous débarrasser d’une sorcière, c’est que vous aussi vous en êtes ! Si vous avancez, on s’occupera de vous tout pareil !
— Je vous le déconseille fortement…, gronda Lucian d’un ton menaçant en commençant à tirer sa lame de son fourreau.

Ombeline et Balgor se placèrent derrière leur frère tandis que Barthélémius se mettait sur le côté en sortant un caillou de sa besace. La captive, terrorisée, essayait vainement de se libérer. On entendait ses cris étouffés par le bâillon.

 Soudain, deux des hommes avancèrent vers la fratrie en dégainant, l’air mauvais. Dans le même temps, leur camarade, d’un geste ample et rapide, égorgea la prisonnière qui s’effondra au sol comme une poupée de chiffons. Furieuse, la femme hurla des encouragements à ses trois compagnons.
— Merde ! s’exclama Khordel

 Ombeline retroussa ses lèvres sur ses dents dans un rictus rageur. Tout se passa alors très vite, dans un enchaînement de coups, de cris. Un premier homme tomba sous les attaques de Lucian. Ombeline contourna le paysan aux prises avec Khordel pour le prendre à revers. La manœuvre réussit et seul un ennemi restait devant eux, tandis que la matrone poussait un hurlement horrifié. Le dernier homme, paniqué, n’eut pas le temps de déguerpir et fut achevé rapidement par Lucian. Ombeline avança d’une démarche menaçante vers la femme qui s’enfuit sans demander son reste et disparut dans les broussailles.
 La fratrie venait de livrer son premier combat, et en gardait un goût amer en bouche en voyant le corps mutilé de la femme qu’ils avaient voulu défendre.
— Bon… Si vous avez fini de nous faire perdre du temps, on pourrait peut-être continuer notre chemin ? demanda Datès, nonchalant.
— Laissez-moi une minute, répondit Barthélémius qui, le nez au sol, reconstituait son stock de caillasses.
Lucian gémit d’un air désespéré.
— Tu ne comptes quand même pas te battre à coup de cailloux à chaque fois, rassure-moi ?
— Et pourquoi pas ? Je te signale qu’une pierre de cette taille, en visant bien, peut faire beaucoup de dégât !

 Khordel éclata de rire et flanqua une bourrade à Lucian, qui regardait Barthélémius, à la fois incrédule et navré.
Datès insista :
— Nous ne devrions pas nous attarder. Le village de ces quatre coquins ne doit pas être si loin, et qui sait ce que cette vieille mégère va aller raconter.
— Espérons qu’elle ne venait pas de Valeblanc…, soupira Ombeline, Mais je persiste à dire que cette affaire est étrange. Il n’y a pas l’ombre d’un chemin, pas la moindre trace d’un village à proximité. Je me demande bien d’où ils pouvaient venir… Et pourquoi ils voulaient exécuter cette pauvre femme, là, dans les bois...
— Nous ne le saurons jamais…, répondit, philosophe, Barthélémius.
Ombeline alla fermer les yeux de la morte tandis que le petit groupe se remettait en route.

 La fin de la journée se passa, et la fratrie décida de s’installer dans une clairière pour la nuit. Tandis qu’Ombeline préparait le feu de camp et que Datès s’allongeait pour se reposer, Khordel, Lucian et Balgor choisirent d’aller explorer les environs. Barthélémius de son côté, observait avec beaucoup d’attention les cailloux alentour. La jeune fille décida de discuter avec ce demi-frère inconnu. Au début, il ne lui répondit que par des grognements peu amènes, mais cela ne la découragea pas. Ils finirent par parler un peu de leurs passés respectifs, Ombeline faisant, il faut bien l’avouer, la majorité de la conversation. Elle comprit alors que Datès idéalisait quelque peu l’enfance qu’elle et ses frères avaient vécue. Bien sûr, son enfance de paysan bâtard n’était pas non plus enviable. Mais il sembla réaliser, au fur et à mesure de la discussion, que l’enfance de la fratrie Whorgram était marquée par la violence verbale, psychologique et physique de leur géniteur commun. Contrairement à ce qu’il pensait, les jeunes « nobles » n’avaient pas grandi dans l’opulence. Certes, ils avaient eu des vêtements bien plus luxueux que les siens, mais sinon, il n’y avait pas grand-chose à envier, et certainement pas leur absence totale de statut, équivalant pratiquement à une absence d’existence.

 Sur ces entrefaites, Khordel et Lucian réapparurent, tenant un cheval par la bride. Sur le dos de celui-ci, on pouvait apercevoir une selle ainsi qu’un lourd paquetage. La jeune fille fronça les sourcils en direction de ses frères.
— Qu’est ce que c’est que ça ? Qu’avez-vous fait ?
— Pas grand-chose, Petite Sœur. On a fait une… rencontre dirons nous. annonça Khordel avec un large sourire.
— Une rencontre ? Quelle rencontre ?

 Sans lui répondre, Khordel descendit le sac du dos de l’animal et l’ouvrit au sol. Dedans, on apercevait des armes et des pièces d’armure. Le grand gaillard, avec un sourire satisfait, entreprit de revêtir l’armure. Le voyant faire, Ombeline réalisa que celle-ci avait une « petite » particularité.
— Attends… C’est une armure aeserienne ça !
— Tu es observatrice dites donc sœurette…
— Et tu comptes te balader avec une armure ENNEMIE sur le dos ? Tu as conscience que le premier soldat venu va te prendre pour un aeserien ?!?
— Mais non, tu t’inquiètes trop…

Se tournant vers Lucian, elle enchaîna :
— Comment avez-vous trouvé cette armure ? Et ce cheval ?
— Et bien… Avec un aeserien…
— Quoi ?!? Expliquez-vous, que s’est-il passé ?
— Ce n’est pas très compliqué, on a croisé un aeserien, on lui a pris son armure, ses armes, sa monture. Point. soupira Lucian, laconique.
— Et il est où cet aeserien ? Ça m’étonnerait qu’il vous ait laissé le dépouiller sans réagir.
— Et bien, intervint Khordel avec un petit rire, disons qu’il n’était pas tellement en état de résister quand nous l’avons trouvé et qu’il ne pouvait définitivement plus agir quand nous sommes repartis.
— Vous l’avez tué quoi…
— Il serait plus exact de dire que nous l’avons achevé, Petite Sœur. répondit Lucian, Il était mourant.
— Et il était seul ? Ça me parait étrange… Qu’est ce qu’un soldat aeserien viendrait faire ici, seul ?
— Peut être un éclaireur, qui sait…
— Et on va en faire quoi de ce cheval ?
— Ça se vend cher, un animal pareil, commença Datès.
— Toi, le bâtard, on t’a pas sonné, gronda Khordel, Approche toi de ce cheval et il va t’arriver des bricoles !
— Khordel ! s’exclama la jeune fille, Pas la peine d’être aussi agressif !
— C’est qu’un bâtard. Qu’il fasse ce qu’on lui demande et qu’il la boucle, grogna son frère en réponse.
— Qu’un bâtard ? La reconnaissance de notre grand-père t’est bien vite monté à la tête dis moi. Aurais-tu oublié que nous ne sommes réellement nobles que depuis hier ? Notre statut ne valait guère mieux que celui de Datès jusque là !
— C’est un bâtard, pas nous. Point. Qu’il laisse le cheval et le reste de mes affaires tranquilles s’il tient à ses os.

 Ombeline souffla, exaspérée. Datès de son côté, suivait l’échange avec un petit sourire goguenard.
— Eh ben, certains ont des rêves de grandeur, hein, PETIT frère. déclara-t-il avec un rire moqueur, Garde-le ton cheval, qu’est ce que tu veux que j’en foute…
— La ferme, bâtard ! répliqua Khordel
— Khordel, ça suffit ! Datès est autant victime de notre géniteur que nous ! Tu pourrais AU MOINS lui reconnaître ça. C’est notre frère.
— Ce n’est pas mon frère. Ce n’est qu’un bâtard. Qu’il reste à sa place.
— Franchement, tu me ferais presque penser à notre père… susurra-t-elle, venimeuse.
— RETIRE CE QUE TU VIENS DE DIRE immédiatement !
— Alors, ne te comporte pas comme le dernier des imbéciles !

 Son frère se détourna d'elle, les poings serrés à un point tel que les jointures en devenaient blanches. Ombeline réalisa qu'elle avait été trop loin. Pour elle et ses frères, être comparé à leur géniteur était l'insulte ultime et Khordel semblait à deux doigts de la frapper. Elle décida de ne plus rien dire, se roula en boule près du feu et dormit.

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