Les vendanges
Septembre, octobre, le soleil s'abaisse sur l'horizon, les pampres de la vigne changent de couleur, les rameaux croulent sous le poids des grappes. Ces dernières, bien formées de la pyramide des grains, se gorgent de suc.
Belle est la grappe, prometteur est son jus !
C'est la consécration, le moment des vendanges !
Les vendanges et ses préparatifs, au champ d'armée pour la maison Olivier.
Un cérémonial !
Débarrasser le local de toutes les choses entreposées, inutiles pour l'occasion. Libérer « la maie », le jard, examiner le matériel de presse, la grosse vis au pas trapézoïdale, la garnir de graisse. Sortir les « basses » a la forme particulière, pourvues de poignées, composées de « douelles » collées les unes aux autres et serrés par des cercles métalliques. Leur séjour à l'abri a séché le bois de châtaignier dont elles sont faites : elles sont, dit-on, « ébarrées ».
Alignées dans l'étroite cour, virées à l'envers, l'on doit dans un premier temps abreuver les fonds régulièrement jusqu'à saturation.
Opération satisfaite, les retourner, rabattre les cercles, les remplir d'eau pour l'étanchéité totale.
Les barriques sont vides, la consommation de l'année leur a été fatale. Les rincer, les abreuver découle d'un même procédé. Les basculer sur leur rondeur en effectuant des rotations, la bonde munie d'une chaîne qui décollera la « gravelle », dépôt accumulé sur les flancs par le séjour prolongé du vin, exercice pas de tout repos ; s'y mettre à deux pour les 220 litres devenait nécessaire.
L'espace restreint de la cour nous oblige à sortir et occuper l'espace public. Pour l'égouttage, « le poulain » ce monte-fût sur les charrettes, fait l'affaire ; ce sont deux pièces de bois reliées entre elles à la façon d'une échelle ; posée à plat, barriques, demies barriques et barricots de toute contenance y seront roulés. Cette futaille rejoindra ensuite le magasin, bien calée sur les tins par des coins, les grosses dessous, les petites dessus en attente de remplissage.
Le recensement du matériel de ramassage oblige à quelques recherches, ayant été disséminés de-ci de-là à d'autres fins : les baquets de bois en forme de trapèze et leur anse en jante de roue de vélo, le pilon si typique issu d'une branche façonnée. Tout est prêt, un lait de ciment sur la surface de la maie aura peut-être été nécessaire.
Attendre le jour de la maturité, la charrette à bras sera chargée à « haut-faite » pour prendre la route.
Une véritable expédition, mais également une organisation.
Sur place, pas de temps à perdre, l'on s'affaire : distribution des baquets, disposition des basses. Le maître désigne les rangs, et c'est parti. Sécateurs à la main, tabliers ajustés. Les baquets de bois se remplissent au fil des ceps dépouillés. Fuse et résonne rapidement dans les rangs l'appel au « sommelier baquet » . Ce dernier doit s’affairer et troquer le plein pour un vide. Le sommelier dans le jargon des vendangeurs ne chôme pas. Vider dans la basse, piler les grappes avec le pilon, six à sept vidages, la basse est pleine.
Deux basses emplies, c'est un « cauteret » ou une somme six feront la barrique. Langage fleuri d'époque si agréable à l'oreille. Barrique ramassée, c'est la pause. Et le moment de faire un « bise à la grise » la touque remplie le matin de vin frais est saisie à deux mains, au goulot ou bien à la régalade, le gosier se désaltère. Le revers de manche essuiera l’excédent.
Et le travail reprend dans le bruissement des conversations jusqu'au bout du rang, petite halte sur la « shunte » et de repartir sur les nouveaux rangs.
L'heure avance, les cueilleurs vérifient les grappes oubliées et se dispersent.
Travail terminé ! Pas pour tout le monde, les forts à bras sont requis.
La civière à quatre mains va se prêter à l'exercice du ramassage. Posée à plat, elle reçoit deux basses bien foulées. Lever ensemble, assurer ses pas et ramener à bon port sur un terrain encombré est un effort soutenu, et la distance va s'allonger des premières aux dernières remplies.
Le chargement dans la charrette s'avère aussi redoutable. Bien calée sur leurs chambrières, on les soulève, les arrime à deux. Poignées aidant, une main dessus, l'autre sur le fond, elles se placent et se blottissent les unes contre les autres.
En route vers le pressoir, la traction est humaine. Attelés entre les brancards, chambrières relevées, le convoi s'ébranle ; une poussée généreuse s'applique sur « les ridelles » venant de l'arrière s'ajoutant au remorquage, l'on pousse et tire à la fois.
De la grande Noêlle à la maison, la distance est courte, mais la route est très caillouteuse, attention aux secousses. Une cote à gravir vient s'ajouter, les souffles deviennent courts, encore un effort, le chemin du Champ d'armée n'est plus très loin.
Plus tard, les conditions de transport évolueront, le cheval et son « tombereau », mais aussi cousin Gilbert et son camion seront mis progressivement à contribution.
Pour l'heure de ce récit, ce n'est pas le cas.
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