La récompense

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Et maintenant place au vidage, le moulin écraseur attend de jouer son rôle ; une manivelle et deux engrenages entraînent deux rouleaux striés montés sur ressorts qui laminent grappes et grains échappés au pilage dans la basse. En dessous s'accumule le raisin écrasé, les videurs pataugent dans le jus, le volant continu de tourner sous l'impulsion des bras vigoureux. Un chant se fait entendre, plutôt un murmure, le « mou » s'écoule au travers d'une grille de laiton qui retiendra les pépins, c'est la chute dans le « jard ».

À force de dépotage, la charrette se vide, mais un volumineux mélange s'amoncelle au-dessous du moulin, il faut faire de la place et dégager à la pelle la mixture obtenue. Au pied d'une vis verticale conséquente est placé un plancher, le pressoir n'étant pas du type à cage, il conviendra de bâtir un « saie ». La pelle amoncellera et répartira sur sa surface en carré cette vendange déjà épurée de son jus.

Bien bâtir ce « saie » découle d'un savoir-faire que seul l'expérience permet de maîtriser, notre paternel en laissait le soin à personne. Cet art de le construire se compliquait en raison du cépage vendangé ; la nature pulpeuse des raisins de NOAH et d'OTHELLO qui glissait entre les doigts comme de la gélatine aggravait la tâche, lors du pressage la râpe avait une fâcheuse tendance à se dérober. Mais nos anciens avaient trouvé la parade.

Des bourrichons de paille de blé torsadés avec soin sur leur longueur, les extrémités s’enfonçant à l'aide du poing de la base à la partie supérieure du Saie l'emprisonnait comme dans un panier ; ils appelaient ça « pailler ». Un chargeur fournit au bâtisseur à l'endroit désigné par lui le « saie » prend de la hauteur . Un essaimage de paille termine la surface. Ce fastidieux travail effectué ; c'est la couverture pour le « serrage ». Deux quenouilles de forme hexagonale se placent de part et d'autre de la vis centrale dont le pas est trapézoïdale pour subir l'effort ; Elles supportent le plancher : lourds madriers rassemblés toujours autour de la vis centrale ; il couvre le « saie ».

Quatre longs « moutons de chêne », de forme carrée, munis d'une entaille de saisie se repartissent perpendiculaire aux madriers : leur poids est conséquent .

Ce n'est pas fini. Quatre moutons du même style, plus courts, se posent perpendiculairement aux grands.

C'est prêt. Amener sur cette pyramide la poutre assujettie au mécanisme de serrage sans rien déranger tiens de l'expérience. Retirer les clavettes tourner l'écrou couronne à la main l'amener en appui sur les petits moutons .

Le saie sous le poids de la charge s'est déjà affaissé et libère du jus.

Remettre les clavettes d’entraînement, saisir la poignée dont la tête est reliée au levier de leur boîte ou elles joueront musicalement en tombant dans les orifices de la couronne.

Petite, moyenne et grande barre se succéderont dans les mains des officiant s pour aplatir et expulser la moindre goutte de ce précieux liquide.

L'opération se répétera deux fois car les abords de la périphérie du saie n'ont pas subit le serrage du centre.

Desserrer désinstaller, se saisir de l'immense couteau à râpe et découper le périmètre de la vendange encore humide la recharger au centre, recomposer le saie

Recouvrir et bis repetita.

Pendant ce temps la torture appliquée sur la vendange s'exprime par un ruissellement continu. On dit que le saie sue, les rigolles en pente conduisent au jard. Si il est plein, il faudra vider.

Entonner dans les fûts, au préalable « faire brûler une mèche » est nécessaire. Longue langue de tissus imprégnée de souffre jaune accroché a un cône de bois prolongé, d'un crochet , elle se consume dans une flamme bleue dégageant une fumée acre à la gorge, prévenir les moisissures indésirables.

Les barriques son fin prêtes alignées sur les tins. L'entonnoir de bois s'ajuste tube dans la bonde pieds en rehausse pour un niveau correct. La noria des seilles peut débuter, le transfert s'établit, le jard se vide, les barriques se remplissent ; mais attention au niveau de remplissage. Le mou dans quelque temps va « bouillir » et s'élever, si trop-plein, il va « dégueuler » par l'orifice, une attention toute particulière est requise dans ces temps, le fût peut perdre du contenant.

L'office terminé, débarrasser le pressoir et le nettoyer comportait une dernière action. Celle de faire de la piquette. Le meilleur de la râpe dans une basse aménagée reçoit de l'eau qui fermentera au bout de deux jours et formera une merveilleuse boisson pour les enfants.

Laisser dans l'attente la nature faire sa chimie, on l'a « pesé » au pressoir. Le « pèse-mou » est annonciateur de la qualité faible ou fort, pluie et soleil ont fait la différence, attendons de le tester.

Pour l'heure, les effluents olfactifs imprègnent l'atmosphère et font saliver. Les bonnes odeurs du vin qui « boue » attisent les impatiences et l'on entend à l'envi « a-t-il bouilli quand c'est-il qu'on y goûte ? ».

Huit jours pour vaincre les hésitations du maître des lieux qui surveille comme un trésor ce nouvel arrivant. Craignant l'abandon de l'ancien qui commence à se couvrir de fleurettes en surface et pique un peu.

Mais le moment arrive. La « pipette » est de sortie, par le trou de la bonde, elle s'enfonce, se remplit, le doigt bouche l'orifice, retient le précieux liquide qui se libérera dans le verre.

Doux moment de la dégustation, le noah en particulier affiche sa couleur laiteuse et son arôme si particulier. Ni mou, ni vin, encore « le nouveau » qui séduit le palais.

Profitant de cette situation éphémère, il va « tomber » rapidement, le vin nouveau se verra très sollicité a la limite de l'ivresse .

Récompense des efforts et du travail représenté sur une année.

Un peu plus tard en saison il devra être soutiré. Devenu vin il s'est clarifié. Les substances lourdes auront rejoints le fond : c'est la « lie ».

Transféré dans autre fût une dose de souffre liquide l'aidera à sa conservation. Quant à la lie elle, ne sera pas perdue. Conservée pour le « brûleur », elle prendra le chemin de l'alambic dans le but de sa distillation .

Le résultat produira de la « gnôle » appellation populaire désignant l'eau-de-vie.

Un vieux métier fait d'assemblage de cornues en cuivre alimentée par une chaudière à bois se tenait près d'un point d'eau, et se disposait ponctuellement à la saison attendant la production des petits propriétaires.

La encore, les effluves émanant du chauffage des lies embaumaient les environs a « dix lieues à la ronde « suivant l'expression consacrée de l'époque.

Notre paternel à l'invitation de son tour propulsait son fût de lie dans l'antre du laboratoire ambulant. Les « touques de verre » bien protégées dans une armature de fer bourrées d'une protection de paille suivaient.

L'administration dans son éternelle volonté de tout réglementer n'avait pas manqué d'y mettre sa touche. Les petits propriétaires de surfaces plantées autorisées avaient obtenu en son temps le droit de « brûler ». Ce droit était transmissible. Mais l'autorisation se traduisait en degrés. 1000 était la norme.

La sortie du titre pouvait s'effectuer en graduation de la force obtenue, soit de soixante-dix à quatre-vingt-dix, d'où par voie de conséquence le nombre de litres a concurrence des 1000 variait. Très souvent la lie généreuse dépassait le contingent.

C'est alors que par un tour de passe-passe, ces petits suppléments prenaient la poudre d'escampette au nez et à la barbe des indirects qui faisaient semblant de ne rien voir après avoir dégusté la goutte fraîche élaborée.

Les anciens à cette époque pratiquaient le grog l'hiver, la rincette dans le café et le petit verre de gnôle le matin pour tenir le coup. Funeste habitude !

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