Réponse à "Dans les yeux de l’assassin"
de
Ebi

Je ne tue jamais le matin. Le matin, c’est pour le café, pour le silence de la peau nue contre les draps, pour les oiseaux qui oublient que la ville est sale. Tuer le matin, c’est bâclé. C’est comme pisser sans viser. Je préfère la nuit. Ou mieux encore, ces fins d’après-midi gris-bleu, quand les gens croient encore qu’ils auront le temps. Je m'appelle personne. Pas besoin de nom, pas besoin de passé. Juste un corps précis, huilé, une main ferme, une cervelle bien rangée. Et quelques armes dans un sac de voyage. C'est tout ce qu'il faut pour vivre comme je vis. Et vivre, pour moi, c’est entre deux battements de cœur d’autrui. Je suis une professionnelle. Mais je ne suis pas une machine. Je prends mon pied.
Ils m'ont appelée lundi soir, comme souvent. Une voix filtrée, plate, presque polie. Un homme, sûrement. Il m'a dit : Rue du Gambetta. Trois jours. Cible : homme, 44 ans, avocat fiscaliste. Surveillance minimale. Exécution libre. Libre... Ce mot-là, j’aime bien. Ça veut dire que je peux choisir la manière, le moment, le goût. Ça veut dire qu’on me fait confiance, ou qu’on ne veut pas savoir. J’ai regardé mon reflet dans le miroir de la salle de bains de l’hôtel. Pas une ride, pas une ombre. Je me suis souri. Les fous aussi savent sourire. La lame de mon couteau, elle, ne sourit jamais.
Mardi, je l’ai observé. Il marche comme tous les autres ce type. Légèrement voûté, attaché-case vissé à la main. Crâne un peu dégarni, regard mort-né. Il prend un café à 8h12 tous les matins, avec un croissant qu’il ne finit jamais. Il consulte ses mails trois fois entre deux arrêts de métro. Il parle peu. Il aime les chemises bleu clair et les femmes qui ne le regardent pas. Il est mort depuis longtemps. Je suis juste là pour acter la chose.
Mercredi, je me suis glissée dans son monde. Pas physiquement, pas encore. Un peu de parfum sur mes poignets. Juste assez pour m’asseoir à côté de lui au café. Qu’il m’inspire. Qu’il s’imprègne sans savoir. Je suis son ombre depuis deux jours. Invisible. Collée à ses talons comme un murmure. Le soir, je me suis allongée nue sur le lit d’hôtel. J’ai repensé à tous les visages que j’ai vus basculer dans le néant. Tous ces instants suspendus, ces yeux qui s’ouvrent en trop grand. C’est beau, parfois, la mort. Quand elle est bien faite.
Jeudi, c’est aujourd’hui. Le jour de l’acte. Mon sac est prêt. Scalpel chirurgical. Garrot. Gants. Miroir de poche. Et un flacon de chloroforme, pour la poésie. Je ne suis pas qu’une tueuse. Je suis une compositrice. Chaque meurtre est une symphonie. Une scène. Je sais qu’il sera chez lui à 22h. Il dort seul. Il ferme mal ses fenêtres. Il a confiance en la hauteur de son appartement comme d’autres font confiance à leur foi. Mais Dieu ne vous sauve pas de moi. Dieu ne m’arrête pas. Il se tait. 22h07. Je suis devant sa porte. Je respire lentement, comme un chirurgien avant l’incision. Mes doigts caressent la poignée, froide. Je glisse un petit outil pour crocheter la serrure. Le bruit est presque inaudible. J’entre. L’appartement est silencieux, trop silencieux. Le vieux canapé écrasé contre le mur, les livres en piles négligées, une photo encadrée sur la commode, lui, souriant, avec une femme et une fille. Je les déteste, ces visages heureux. Ils n’ont pas leur place ici. Je pose mon sac avec douceur, comme si je voulais réveiller un dormeur sans le brusquer. J’enfile mes gants. Je prépare mon scalpel. Je m’approche. Il dort. Son souffle est irrégulier. Ses paupières bougent, agitées de rêves. Je pense à la torture, aux cris, aux supplices. Je pense que tout ça, c’est pour les amateurs. Moi, je suis une artiste. Je joue avec la peur, avec le contrôle. Je le réveille doucement. Mes mains sur sa peau, froides, tranchantes. Il ouvre les yeux. Je vois la surprise, l’horreur, la défaite. Et ça me fait sourire. La lame glisse sous sa gorge, juste assez pour caresser. Je n’aime pas le sang qui gicle. C’est vulgaire. Je préfère la lenteur. Le frisson qui monte quand la vie s’effiloche. Je murmure des choses qu’il ne peut pas entendre. Des mots que j’écris dans ma tête, un poème noir. Chaque goutte qui coule est une note, une pulsation. Son regard se trouble, il cherche une échappatoire. Il n’y en a pas. Je serre, juste assez. La lumière vacille. Il s’éteint. Je reste là, debout, au milieu de cette pièce, comme si j’attendais un applaudissement. Mais il n’y a rien que le silence, et mon souffle régulier. Le calme avant la tempête. Je nettoie la lame avec un chiffon blanc. Je plie son corps avec respect, presque tendresse. Je quitte la pièce, je ferme la porte. Tout doit être parfait. Personne ne doit savoir.
Vendredi matin. Je suis déjà loin. Dans un autre hôtel, un autre corps, une autre mission. Mais il y a ce goût sur ma langue. Un mélange de sang et de plaisir. De douleur et de pouvoir. Je sais que demain, on m’appellera encore. Pour d’autres noms, d’autres vies. Et je répondrai présente. Toujours prête à jouer. Je ne suis pas une machine. Je suis la déraison en costume. Une symphonie noire dans la nuit grise. Et ce monde est ma scène.
Table des matières
En réponse au défi
Dans les yeux de l’assassin
Je vous propose d'écrire un texte où le ou la protagoniste est un tueur ou une tueuse.
Pas plus de quinze minutes de lecture, s'il vous plaît.
J'ai hâte de lire vos écrits !
Commentaires & Discussions
| La compositrice | Chapitre | 25 messages | 2 mois |
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