4 — Les Lames de Castell (2)

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À sa grande surprise le reste de la journée fut bien moins déplaisant quoiqu’un poil ennuyant sur la fin. Une fois ses effets personnels rangés, Alessia était redescendue dans la cour des dortoirs. Au même moment un serviteur venait la chercher pour signer son contrat de mercenarii. Il la mena dans un petit cabinet adjacent au vestibule de la domus principal où elle fit la connaissance de Sérulius, l’intendant en chef du Domaine Castellan. Un homme maigrichon et blafard, à la tonsure grisâtre et aux yeux d’aigle perçants, ceux d’un marchand aguerri. Du genre à savoir combien vous possédiez d’or dans votre bourse avant même que vous le saluiez. Il lui tendit un feuillet épais ainsi qu’une plume.

— Voici votre contrat avec la maisonnée De Castell pour une durée d’un mois. Remplissez vos tâches et vous serez prolongé. Nous n’aimons pas les tire-au-flanc ici.

Alessia parcouru rapidement le contrat, elle n’y décela aucune fantaisie si ce n’est au niveau d’une clause particulière. Si dans le cas où le contrevenant serait coupable du moindre crime envers la maisonnée De Castell sur le domaine, l’établissement de la culpabilité et le jugement du dit contrevenant serait établi et appliqué par le titulaire du contrat, Arenius de Castell. Il valait mieux donc éviter de s’attirer des ennuis sur l’enceinte de la propriété. Le reste ne se releva que trop classique. Elle signa de son nom et rendit le feuillet à l’intendant.

— Votre insigne maintenant, je vous prie.

La jeune femme tendit l’objet en forme de poing qu’elle venait de sortir sa poche, signe de son appartenance à la confrérie des mercenare. À l’aide d’une loupe Sérulius releva son numéro d’identification et le notifia sur son registre. Il l’enferma ensuite dans un petit coffre-fort dans le fond de la pièce. Celui-ci ne lui serait rendu qu’une fois son contrat achevé.

Son entretien avec l’intendant en chef se termina ainsi. On l’a conduit ensuite à l’armurerie où elle fit la connaissance de Rodan, le camarade de Lex au nez biscornu et à la barbe sombre. Le Nordien lui expliqua que ce serait lui qui se chargerait de sa formation lors de ses premiers jours parmi les Lames de Castell, à la place de Lex qui avait été réquisitionné à la dernière minute par Arenius. Et cela commencerait par la récupération de son uniforme. Il s’éclipsa à l’arrière de la pièce et en ressorti quelques minutes chargé d'une caisse massive tandis qu’Alessia patientait près de l’entrée.

— Ça doit être là-dedans — Rodan ouvrit le couvercle et en étala le contenu sur la table — Si ça ne tenait qu'à moi je t’aurais donné l’attirail réglementaire, mais le capitaine a insisté. Puis ce n’est pas comme si ça servait à quelque chose ici.

La jeune femme examina l’équipement et telle ne fut pas sa surprise. Une cuirasse à épaulières légère et facile à porter. Elle était recouverte de plaques d’acier rivetées sur du cuir. Elle s’enfilait sur le côté, la dossière et le plastron reliés par des lanières à boucles. Mais ce n’était pas tout car sa seconde trouvaille fut tout aussi impressionnante. Un haubert aux mailles claires et brillantes, tout aussi solide que légère. En observant de plus près le métal on pouvait apercevoir des stries de couleur or.

— C’est une cotte en astelryte ? Plus d’un officier de la Legio Imperatorii vendrait son âme pour pouvoir se vanter d’en posséder une… Et personne ne s’est emparé d’une telle merveille ?

— Oui. À cause de la taille, vérifie par toi-même.

Alessia ne l’avait pas remarquée du premier coup d’œil mais elle le comprit rapidement en examinant en détail la cuirasse. Un homme aussi fin soit-il, aurait eu du mal à s’y glisser, les mailles particulièrement resserrées au niveau des épaules. De plus, cet alliage rare avait la particularité de se coller à la peau de son propriétaire. Impossible d’enfiler un gambison par-dessous.

— Cet équipement a été conçu sur mesure pour quelqu’un qui avait à peu près mon gabarit et ma taille. Donc une femme

— Oui, tu as de la chance. Le haubert ainsi que la cuirasse appartenaient à Daguefilante. Frolos a bien essayé la cotte.... On a dû s’y mettre à plusieurs pour la retirer. Il a bien failli finir étouffé. Donc il aurait fallu la faire agrandir et de là à trouver un forgeron capable d’une telle chose ici… Ça aurait été faire insulte à ce chef-d’œuvre.

— J’imagine que notre maître n’est pas au courant qu’un tel objet se trouve ici ? Je doute que lui-même puisse se payer un tel luxe. Il l’aurait déjà revendu au marché noir.

— Oui, il aime assister au combat mais se soucie peu de ce genre de détail. Un profane n’y verrait ici qu’une simple cotte de maille bien entretenue. Comme nous étions incapables de la revendre, elle est restée ici. Elle sera tienne tant que tu es parmi nous.

— Je pourrais m’enfuir avec, non ? Elle me rapporterait plus que tout ce que je pourrais gagner à servir ici….

— Tu n’es pas si bête. Tu seras tout aussi incapable que nous d’en tirer un prix décent. Et dans le cas contraire nous serions là pour dévoiler ton petit secret. Bref, il y a aussi une paire de grèves et de brassards. Pour le tabard regarde dans le placard. Je te laisse t’équiper, je t’attends devant.

Le Nordien la laissa sur ses mots. Alessia resta coite devant la table recouverte. Cette fameuse Daguefilante s’acharnait à la poursuivre.

Je ne recule pas devant un combat mais je me défile face à un simple objet ? Qui pourrait me sauver la vie comme la prendre…. Mais si je la refuse que penseront de moi les Lames de Castell ? Était-ce un autre des tests de Lex à son égard ? Était-ce parce qu’elle était femme qu’on se devait sans cesse éprouver ses capacités. Ou se faisait-elle des idées ?

Alessia partie à la recherche de son tabard pour se laisser le temps de réfléchir. Elle en trouva rapidement un à sa taille à son plus grand désarroi. Elle jeta un nouveau regard noir à la cotte. Dehors Rodan devait déjà s’impatienter car elle l’entendit siffler. La jeune femme se décida. Elle retira sa broigne, enleva sa chemise puis souleva le haubert, aussi léger qu’une plume. Elle la glissa le long de sa chair nue, son contact tiède la surprit. Finalement elle nageait dedans. La mercenarii bougea les bras, légèrement entravée dans ses mouvements même si elle ne sentait aucun poids supplémentaire sur elle.

Alors qu’elle s’apprêtait à enfiler la cuirasse, elle sentit tout à coup de minuscules aiguilles picoter son échine. La douleur s’accentua, la cotte devenant tout à coup bien plus chaude. Prise de panique elle essaya de la retirer. Mais il était trop tard car l’astelryte s’était déjà rétréci. Alessia s’empara de sa dague pour essayer de décoller les mailles de sa peau. La lame ne fit que glisser contre les anneaux. Elle tomba à genoux, comme brûlante de fièvre. Où qu’elle soit, Daguefilante devait bien se gausser de la voir trépasser de la sorte.

Comme un serpent qui enroulait sa proie, la cotte resserra sa prise. Ce n’était qu’une histoire de secondes avant qu’elle ne broie pour de bon ses côtes. Elle aurait pu crier mais en vain car elle n’avait plus de souffle. Elle prit une dernière respiration et ferma les yeux pour attendre la mort.

La douleur cessa d’un coup et la chaleur disparut. L’air remplit de nouveau ses poumons. Alessia se releva hors d’haleine. La cotte recouvrait à la perfection le haut de son corps, de la naissance du cou à aux débuts de ses hanches, comme une deuxième peau. Elle avait réussi l’épreuve de l’astelryte. Par quel miracle ? Elle ne savait pas.

Alessia termina de s’habiller en quatrième vitesse, enfila à tout va brassards, protège-tibias et cuirasse. Elle avait perdu assez de temps comme ça. La jeune femme rejoint enfin Rodan tout en cachant le mieux qu’elle pouvait l’épreuve qu’elle venait de subir. Elle fut surprise de voir la naissance d’un sourire sur son faciès quand il remarqua qu’elle portait belle et bien la cotte

— Plus facile à dire qu’à faire pas vrai ? Si ce n’était qu’une histoire de taille….

— C’est vrai, admit-elle avant de partir pour son premier tour de garde.

Ainsi commença son véritable travail en tant que membres des Lames de Castell. Ni compliqué ni trop difficile la plupart du temps. La première matinée et le début de l’après-midi furent consacrés aux patrouilles autours de la propriété, tantôt à l’intérieur ou à l’extérieur. Elle apprit les chemins de rondes et les endroits stratégiques à surveiller : une parcelle de muraille facile à escalader, un grand chêne ou parfois se rendaient les jeunes amoureux de Dalata pour folâtrer. Il fallait aussi bien examiner l’état en lui-même des murs et notifier chaque dégât à l’intendance.

Les patrouilles extérieures s’effectuaient toujours en duos mais elle devrait bientôt s’occuper des internes en toute autonomie. Vérifier que chaque partie du domaine soit en ordre et que personne ne manque à l’appel ou n’essaye de voler quelque chose. En la matière la sanction était exemplaire lui expliqua Rodan. L'amputation de la main traîtresse. La règle était valable pour chacun des employés, esclaves, serfs comme gardes. Il raconta ensuite que l’une des Lames avait violé une lavandière de la propriété lors de son tour de garde. Les autres avaient averti la garde alors qu’il besognait de force la malheureuse. Arenius n’aimait pas ce genre d’incident, c’était mauvais pour les affaires. Qui viendrait servir à la propriété si on risquait sa vie au moindre mauvais regard ? Le coupable fut passé à tabac par le reste des Lames, renvoyé et abandonné nu comme un ver dans un fossé à quelques kilomètres de Dalata. On n’entendit plus jamais parler de lui.

Alessia termina sa journée au portail jusqu’à tard le soir avant la relève. Elle s’y ennuya, rien d’intéressant ne s’y passant. Soit elle était chargée d’ouvrir ou de fermer le portail, soit de signer les registres à chaque entrée et sortie de la propriété. La deuxième et la troisième journée se déroulèrent de la même façon. Elle prenait ses repas dans le réfectoire à côté du dortoir en compagnie de Rodan. À de rares occasions ils se retrouvaient avec d’autres membres des Lames de Castell. Cependant le Nordien restait dans son coin, plutôt de nature taciturne il n’était pas genre à bavarder pour des inepties. Quant à la jeune femme, ils ne s’intéressèrent pas plus que ça à elle. Mais elle remarqua que plus les jours passaient, moins les regards noirs devenaient fréquents. Sauf ceux de la part de Frolos.

Il fallut un jour de plus pour que l’homme du nord lui adresse la parole pour autre chose que lui prodiguer des conseils ou des ordres. Le jour allait se coucher, une légère brise tombant sur la grande allée de conifères

— Toi aussi tu es originaire des provinces du nord, pas vrai ? lui lança Rodan alors qu’ils gardaient le portail.

— Qu’est ce qui te fait dire ça, Rodan ? Pourtant je ne hurle pas aux Lunes dès qu’Astalyone se dérobe, comme aiment le prétendre les paysans du Korvalys.

— L’épée que tu as utilisée contre Frolos, répondit-il simplement, sans relever la pique aux communs. C’était une lame Nordienne, un tel acier ne trompe pas. Puis tu portes un prénom Nérevanir mais ton nom clanique ne ment pas. Mes aïeuls ont côtoyé des Skjoralmor autrefois quand les nôtres se souvenaient encore de leurs origines.

— Exact, je suis née sur la Côte Spectrale. Et oui, seuls les anciens osent encore parler des histoires de l’ancienne Borée et du royaume des Jöruuns, d’avant l’Imperatora. Mon père lui ne pensait qu’à la politique.

Rodan poussa un soupir résigné, observant le ciel se recouvrir.

— Et toi d’où es-tu originaire ? poursuivit Alessia sentant l’occasion trop belle.

— Plus à l’est, près de la Sylve orientale, là où les Harald ont toujours vécu

— La grande forêt noire. Ma grand-mère me contait mille et unes histoires à son sujet. Et comment en es-tu venu à servir les Castellans ?

— Tu poses beaucoup de question ce soir. J’ai vécu la grande partie dans la nature, gagnant ma croûte en tant que chasseur. Ou braconnier selon le point de vue. Mes amis Nordiens n’appréciaient guère l’emprise des patriciens des Saints-Royaumes sur nos terres. Il ne fallut qu’un pas pour que notre noble entreprise se transforme en criminalité. Nous sommes devenus bandits, nous avons écumés les routes pour détrousser les bonnes gens en toge. Avec le recul je n’en suis pas fier mais je ne regrette rien. Tu imagines ce qui est arrivé

— C’est la Legio ou une coalition de nobles qui ont fini par mettre fin à votre carrière ?

— Avec le temps, à cause de nos réussites, nous sommes devenus arrogants. Nous avons poussé jusqu’au Bas-Korvalys près de la frontière avec Illyr. Moins d’une semaine après nous étions acculés par le Stratège Kaseryos et ses mïsthyaris. Je me suis rendu, au contraire de mes camarades. Le Stratège m’épargna mais mon sort ne fut guère enviable. Je finis entre les mains d’un négrier qui s’empressa de me vendre à un ludus du Korvalys. Ma renommée de brigand me précédait. Je suis devenu gladiateur et ce pendant près d’une décennie avant qu’Arenius ne m’embauche après un combat de gala. Et toi que fais-tu si loin à l’est ?

— C’est une longue histoire, ma foi. Disons que j’avais besoin de prendre un nouveau départ.

Elle ne donna pas plus d’explications car au même moment la relève arriva au portail pour prendre le relais. Les deux Lames de Castell regagnèrent le dortoir en silence et Rodan n’aborda plus le sujet. Elle passa deux journées de plus aux côtés du Nordien avant que son initiation ne se termine.

On lui confia ensuite ses premières patrouilles intra-muros qui se déroulèrent sans accroc. Elle fit la connaissance de plusieurs femmes de l’intendance, elles se réjouissaient de son arrivée parmi les Lames. Entre-temps Lex était de retour au domaine mais il ne fit pas attention à elle plus que ça, souvent cul et chemise avec Arenius et ses amis. Quelques fois elle s’entraîna dans la cour sous les yeux de ses confrères lors de ses jours de repos. À un moment elle crut même que Frolos allait venir la défier pour prendre sa revanche, mais celui-ci sembla changer d’avis au dernier moment. Elle se rendit aussi en ville, découvrant enfin les fameux thermes de Frajan lors d’une matinée. Elle en profita aussi pour faire le tour des échoppes, remplaçant ses bottes en cuir déjà bien usées avec à l’aide de ses dernières économies. Elle rendit visite à Cal afin de le rapatrier aux écuries du Domaine de Castell une fois certaine de poursuivre son contrat auprès d’Arenius.

Alessia perçu son premier solde et ses tâches se diversifièrent à la moitié de la deuxième semaine. En compagnie d’autres Lames, elle accompagna l’intendant dans ses déplacements dans la cité et ses faubourgs. Depuis la découverte d’un cadavre près de la Doline, la garde municipale redoublait de vigilance et les contrôles d’identité étaient de plus en plus fréquent. Bien sûr arborer la Tour aidait bien les choses. Les gardes leurs demandaient souvent s’ils ne voyaient rien de suspects aux abords des faubourgs et du domaine. Elle suspectait Arenius d’encourager la chose car le Prætor était l’un de ses amis les plus proches. Et les confrères d’Alessia ne cracheraient sur un éventuel pourboire contre des informations. La jeune femme finit par s’y résoudre à son tour, bien qu’elle n’observât rien de véritablement suspect. Un mendiant louche ou un ivrogne bien trop éméché, des choses dans ce genre-là. L’un de ses rapports permit même l’arrestation de deux vandales pour des graffitis obscènes dans une avenue des faubourgs. Elle reçut une poignée d’aquils en récompense et une horde de gardes se proposa pour lui offrir une tournée à la taverne la plus proche. Elle refusa poliment, prétextant des tâches plus urgentes.

La troisième semaine s’acheva tout aussi rapidement que la seconde, et à l’aube du 27ème jour de Célestiel, Alessia possédait déjà un joli pécule de 16 lys d’argent. Finalement elle avait fait le bon choix en s’engageant auprès des Castellan. Elle gagnait une somme honnête pour un travail moindre. Elle ne s’était pas fait beaucoup d’amis mais cela ne lui importait peu, l’appât du gain était sa principale motivation.

Cependant la mercenarii était loin de se douter que le pire était encore à venir.

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