7 — La Villa des Valentii (2)

10 minutes de lecture

2


Assise sur un tabouret, Alessia observa une dernière fois son visage au travers du miroir avant de rejoindre le cortège de courtisanes dans le couloir. Son teint pâle d’Arthédienne avait été rehaussé pour se rapprocher des peaux plus rosé des femmes du Korvalys tout en essayant de camoufler ses joues creusées et ses cernes prononcés. Le khôl fardé sur ses yeux aiguisait son regard d'émeraude tandis que ses lèvres fines étaient recouvertes d’une pâte d’un rouge carmin. On avait domestiqué sa chevelure rousse en deux longues nattes qui tombaient sur le devant de ses épaules pour rajeunir ses traits. Elle se releva et vérifia l’amplitude de ses mouvements. Elle ne sentait guère à l’aise dans l’ample robe d’un vert clair supplée d’un corset qui enserrait sa taille pour l’affiner et hausser sa poitrine. Je ne suis plus qu’une vulgaire catin, et non une mercenarii, pesta-t-elle en son for intérieur. Elle quitta la chambre d’un pas rapide pour rejoindre le couloir principal des coulisses. Tandis que les filles de la Jouvencelle commençaient à se rassembler en vue du départ imminent, une jeune femme au teint de bronze et à la chevelure d’or posa ses yeux sur elle.

— Tu es absolument ravissante, Alessia, glissa-t-elle d’un air satisfait. Je suis sûre que tu aurais du succès si tu nous rejoignais pour de vrai.

— Merci, Irène, répliqua la mercenarii avec un léger sourire. Mais je ne me sens guère à l’aise dans cet accoutrement.

— En effet, je crois savoir que le cuir et l’acier ont ta préférence. Certains ont aussi des fétiches de ce genre.

Alessia observa la danseuse aux serpents d’un œil attentif tandis que cette dernière tirait sur la corde d’une petite cloche pour appeler les dernières retardataires. Elle était revêtue d’une longue tunique échancrée d’un pourpre profond, ses bras et son cou gracile garni d’une multitude de bijoux d’or et d’argent. Elle portait dans son dos un imposant panier en osier fermé par un couvercle rectangulaire. C’était dans ce dernier qu’étaient entreposées les créatures reptiliennes essentiels à ses représentations, mais aussi Crépuscule et Aube dans leurs fourreaux respectifs. Une idée que lui avait proposée Irène au cas où les choses dégénèreraient lors des festivités des Valentii. De sa propre expérience, personne n’avait jamais eu l’audace d’ouvrir son panier sans son accord. Les nantis de la cité à la fois fascinés et terrorisés par les serpents. Tandis que la courtisane balayait du regard le couloir avant d’annoncer le départ dans les tunnels, Alessia sentit une main tirer sa robe et elle ne tarda pas à découvrir une jeune femme aux joues émincées et à la chevelure d’un brun sombre juste derrière elle.

— Mère Catalina m’a demandé de venir vous voir, glissa Mylène tandis que ses deux prunelles noisette la cinglaient d’un regard pétri de honte. Je… je souhaite m’excuser pour ce qui s’est produit lors de votre dernière visite à la Jouvencelle. Les deux jeunes hommes, ça n’aurait pas dû se produire…

La mercenarii se contenta de l’observer en silence. Devait-elle croire en sa sincérité ? Ou ceci n’était-il qu’un habile artifice pour satisfaire les demandes de la maquerelle ? Les rues des cités du Korvalys n’étaient guère chaleureuses à l’égard des gens les plus pauvres et encore moins pour les jeunes femmes. La prostitution avait le mérité de lui accorder un toit et des repas décents, mais Alessia avait le sentiment que cette situation ne satisfaisait pas Mylène. Elle désirait bien plus et c’est pour cela qu’elle avait décidé de livrer la mercenarii à ses deux camarades.

Alors qu’Alessia s’apprêtait à acquiescer d’un hochement de tête, Irène sonna pour de bon le départ et la jeune prostituée disparut dans le cortège de courtisanes. La lourde en porte renforcé par des barreaux de fer au fond du couloir s’ouvrit après un bref tour de clé de la part de Catalina pour dévoiler un boyau profond et ténébreux. La maquerelle émit un bref sourire avant de s’adresser à ses filles.

— Faites honneur à la réputation de la Jouvencelle, mes chatons, commença-t-elle. Messire Orél Valentii nous rémunère généreusement pour cette soirée de festivités. Je compte sur vous pour répondre au moindre des désirs de ses invités. Les nobles de Dalata rechignent à s’aventurer dans les tunnels de notre cité. Faites leur comprendre l’étendue de leur bêtise !

Le discours de la maquerelle provoqua un élan de solidarité au sein de l’assemblée de prostitués. Des bras se levèrent et des voix se firent entendre pour se donner du courage puis elles commencèrent à s’engouffrer dans le tunnel. J’ai l’impression qu’elles partent en guerre, soupçonna Alessia. Les finances de la Jouvencelle sont-elles si basses pour qu’une simple fête de nantis soit d’une telle importance ? La mercenarii s’engouffra à son tour dans le boyau obscur dont les ténèbres étaient maintenant contrecarrées par les lueurs des lanternes des courtisanes. Lex aurait-il oublié à nouveau de me souffler une information essentielle ?

Irène avançait en tête du cortège afin de montrer le chemin à prendre. Si au départ, il n’avait s’agit que d’un long tunnel rapidement bien des bifurcations s’enchaînèrent. La danseuse aux serpents n’hésita pas un seul instant quant à la voix à prendre. Alessia se rapprocha d’elle pour être certaine de mémoriser le chemin si jamais elle devait s’enfuir de la villa des Valentii. Tandis qu’une quinzaine de minutes s’était écoulé depuis leur départ des coursives de la Jouvencelle, l’atmosphère des sous-terrains se métamorphosa. L’air sec et froid se réchauffa et devint presque humide, le sol presque glissant. À cela, s’ajouta le bruit caractéristique d’un cours d’eau qui s’écoule bien qu’Alessia ne repéra pas le moindre signe d’une rivière sous-terraine. Alors que le groupe approchait d’une grande allée au plafond plus haut que le reste des galeries et qu’un nouveau choix de direction allait s’imposer à eux, la mercenarii interrompit Irène.

— Ce que nous entendons, fit-elle, ce sont les Thermes de Frajan n’est ce pas ?

— Oui, en effet. Les conduites des bains se trouvent sur notre droite au même niveau que les tunnels. La vapeur s’y fraie un chemin, ce qui explique la différence de température. Nous connaissons bien cette partie des sous-terrains. Mère Catalina a des accords avec les surveillants. Ils nous laissent entrer en échange d’un pourcentage sur nos passes.

Alessia se demanda si le moindre établissement de Dalata avait réussi à échapper aux griffes avides de la maquerelle de la Jouvencelle. Un comble de l’hypocrisie pour une cité dont l’Ecclésia se targuer d’avoir chassé la luxure et la décadence de ses rues. D’un autre côté, la violence et les gangs régnaient toujours en maître dans les faubourgs. Cela importaient peu aux prêtres de l’Église de Nérevan, tant que la populace de basse-extraction se pliait aux saints-dogmes et payait l’impôt et la charita lors de la messe à chaque Nérev. Qu’ils vivent ou qu’ils meurent, cela les indifféraient tant que les ruelles de Dalata demeuraient immaculées. Cependant, la mercenarii se retint de partager ses pensées avec la danseuse aux serpents.

— Et que se trouve-t-il au-delà des conduites des Thermes ? poursuivit Alessia.

— C’est là que s’arrête notre terrain de chasse. Les bains sont vieillissants et manquent d’entretien. La majorité des galeries du sud de Dalata se sont effondrées ou ont été inondées par les évacuations des bassins. Cependant à l’extrême limite des Thermes, sur la paroi gauche de la galerie se trouve une entrée de service qu’utilisent souvent les ouvriers de la cité pour surveiller la montée des eaux. Une échelle qui donne sur une ruelle discrète, une information qui devrait t’intéresser.

Alessia remercia la danseuse puis le cortège reprit son chemin. Elles se dirigèrent vers la gauche puis une poignée de minutes s’écoula avant qu’elles ne s’arrêtèrent face à une imposante entrée au sommet arrondi. Irène s’avança puis cogna contre la porte à trois reprises. Un pas lourd ne tarda pas se rapprocher de la porte et la scélérate s’ouvrit pour vérifier l’identité des visiteurs. Un œil sombre balaya l’assemblée puis l’individu commença à retirer les nombreux verrous qui semblaient tapisser la porte. Elle s’ouvrit pour dévoiler un homme à la stature imposante doté d’une brigandine impeccable recouverte d’un tabard aigue-marine orné de la sirène d’argent des Valentii. Dans la trentaine, des traits taillés à la serpe, une courte barbe camouflant des petites cicatrices. Sa chevelure, coupée courte, se rapprochait d’un châtain cuivré.

— Vous êtes dans les temps, énonça-t-il d’un ton presque enjoué. Les invités de Messire Valentii n’attendent plus que vous.

Le mercenarii s’écarta de l’entrée pour laisser passer le groupe de courtisanes. Irène toujours en tête se rapprocha de l’homme pour déposer un bref baiser sur sa joue.

— Aredian, c’est toujours un plaisir de te voir, lui glissa-t-elle à l’oreille. Ne t’inquiète pas, nous saurons nous montrer à la hauteur de notre réputation.

Alessia suivit le cortège de courtisanes à l’intérieur de la cave, qui se révéla des plus décevantes pour la réputation que l’on prêtait aux Valentii. Un cellier des plus banals, remplis de coffres, de tonneaux et de sac en toile remplis de victuailles. Sur de grandes étagères, étaient disposés des rangées de bouteilles de vins et d’autres spiritueux inconnus aux maigres connaissances de la mercenarii en la matière. Elle se doutait que le maître de la villa avait pris grand soin d’entreposer ses plus grandes richesses à un endroit moins exposé de la demeure. Car même la plus fiable des serrures pouvait être mise en défaut par le crochet d’un voleur chevronné. Alors qu’elle se dirigeait vers le grand escalier dans le fond de la salle au détour d’un couloir arrondie, elle sentit un pas de rapprocher d’elle. Un mercenarii au teint bronzé et au crâne chauve se dressa face à elle pour lui barrer la route. Alessia s'abstint de l’éviter et s’immobilisa en signe de soumission. Il lui adressa un rictus mauvais.

— Hé chef, c’est la première fois que je la vois celle-ci, s’exclama-t-il avant de lui attraper le poignet. Ce n'est pas tous les jours que l’on voit des scélérates rousses à Dalata !

Aredan les rejoint tandis que la plupart des prostitués avaient déjà quitté la cave. Il l’inspecta de haut en bas tout en s’arrêtant au niveau du décolleté de sa robe. Alessia se maudit intérieurement. Peut-être aurait-elle dû suivre les conseils de Lex et utiliser une teinture. Les flammes de son ample chevelure ne rataient jamais une occasion d’attirer l’attention sur elle.

— Tu as raison, je ne me souviens pas de l’avoir déjà vu, énonça-t-il en se mordant la lèvre inférieure. Comment t’appelles-tu, petit oisillon ? Tu pourrais passer un petit moment avec nous deux, histoire d’évaluer tes capacités…

— En effet, elle vient tout juste de nous rejoindre, intervint Irène contre toute attente qui s’était glissée sans un bruit entre la mercenarii et Aredan. Ne brusquez pas Læssia, il faut qu’elle prenne encore ses marques. — Elle tourna ensuite le chef dans sa direction — Rejoins nos sœurs à l’étage pendant que je m’occupe de ces deux braves.

La jeune femme ne tergiversa pas et s’empressa d’obéir à Irène sous les regards déçus des deux mercenarii. D’un pas rapide, elle emprunta l’escalier au fond de la cave pour gagner le rez-de-chaussée de la villa. Ainsi, elle se retrouva dans un grand hall aux hauts murs de pierre soutenus par d’épaisses poutres en bois. Sur le parquet, flottait un immense tapis aigue-marine décoré d’une multitude de sirènes d’argent. Alessia poursuivit sa route en quête des invités tout en observant les décorations de la demeure. Loin du faste et de l'exubérance du style Nérevanir du Domaine Castellan, la villa des Valentii ressemblait davantage aux anciennes demeures du Korvalys, les statues et les peintures troquées contre des trophées de chasse et des tapisseries vantant les exploits des haut-rois d’autrefois. Alors qu’elle s’apprêtait à passer sous une imposante arche en bois pour quitter le hall, ses yeux se posèrent sur le crâne qui en ornait le fronton. Celui d’un prédateur, une espèce de félin quasi éteinte qui avait autrefois rodé dans les forêts de la province, un Korval, aux long crocs recourbés redoutables, capable d’arracher le bras d’un homme en l’espace d’un instant.

Elle traversa l’arche pour se retrouver à quelques pas plus loin dans un large salon en pleine agitation. Devant un imposant âtre illuminé par d’épaisses bûches, une vingtaine de convives s’étaient rassemblés pour la soirée d’Orél Valentii. Assis sur des canapés et des triclinium, ici étaient rassemblés les fiers patriciens de la cité de Dalata. De toges vêtues, ils sirotaient des verres de vins tandis que les serviteurs de la demeure accouraient dans tous les sens, armés d’une multitude de victuailles. Il s’agissait d’une majorité d’hommes de tout âge tandis que les filles de la Jouvencelle commençaient déjà à se trémoussaient à leur côté, en quête de bourses à vider. Seule une poignée d’entre eux, les plus vieux, observa-t-elle, s’était présenté en compagnie de leur compagne, souvent plus jeune de bien des saisons. Alessia remarqua qu’aucun ne correspondait à la description physique du maître des lieux, qui semblait tarder à se mêler à ses invités du soir. Tandis qu’elle se rapprochait de l’un des piliers qui soutenait la pièce, elle sentit le regard de l’un des invités se braquer sur elle. Un homme seul au crâne et à la barbe rasé, doté d’un embonpoint certain et revêtu d’un pourpoint aux couleurs criardes et exotiques.

— Mais c’est vous, je vous reconnais ! énonça Sydiq en écarquillant des yeux. Mais que faîtes vous ici ? Je croyais que vous étiez… — Alessia fronça des sourcils et fit un signe de la main pour intimer le négociant à se taire. Il poursuivit en marmonnant — Mais si je comprends bien… Car vous travaillez pour eux…

Le négociant de spiritueux venait de la reconnaître sans la moindre difficulté et son esprit se révéla plus acéré qu’elle ne l’aurait cru. Cette malencontreuse rencontre risquait de poser problème, car Sydiq n'appréciait guère les Castellans, d’ou sa présence à la fête des Valentii. Alessia projeta de suite sa psyché pour saisir les pensées du Sudien. Elle avait agi par instinct, son Don ravivé depuis sa mésaventure avec Lex à Vlaken. Le négociant tressaillit, guère sensible, son esprit n’opposa aucune entrave à son intrusion mentale. Elle s’infiltra dans le flot des pensées qui lui apparut tel une infinité de fils entrelacés. À sa grande surprise, elle n’y décela aucune trace de mesquinerie à son égard, mais une curiosité franche et désintéressée. Il semblait tout à fait surpris de retrouver la mercenarii parmi un groupe de courtisanes. Cependant, par précaution, elle chassa toutes traces des Castellans de ses préoccupations immédiates.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Vaiyn371 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0