7 — La Villa des Valentii (3)

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— Bonsoir, Sydiq. Je suis content de vous voir ici, énonça Alessia avant de se poser à ses côtés sur la banquette. À vrai dire, je voulais savoir si les soirées organisées par Orél Valentii étaient aussi fastes que le prétendait la rumeur. J’imagine qu’un homme du bon cru tel que vous est coutumier de ce genre de réception ?

— En effet, ma chère, ce n’est pas la première fois que je séjourne en ces murs, commença le négociant. Sire Orél est devenu l’un de mes clients privilégiés, compte tenu de ses fréquentations. Le vin n’a que peu d’attrait pour son palais, une préférence commune qui m’a permis d’attirer ses faveurs. D’ailleurs, puis-je ? Je me souviens que vous aviez apprécié la chose lors de notre première rencontre.

Il attrapa un pichet en bronze sur l’une des tables basses à proximité et commença à en verser le contenu dans l’un des gobelets vide. Un liquide ambré s’écoula à l’intérieur du récipient qu’il s’empressa de tendre à Alessia.

— Merci, Sydiq, fit la jeune femme avant de porter la boisson à ses lèvres. Pourtant, vous ne semblez pas vouloir vous joindre à la foule ainsi à l’écart.

À nouveau, Alessia apprécia la subtilité des arômes de la boisson qui ne manqua pas réchauffer sa gorge.

— Je profite du maigre répit que l’on veut bien m’accorder, énonça le négociant après avoir pris à son tour une gorgée. D’ici quelques minutes, quand l’alcool leur sera monté aux joues, nombreux seront ceux à se presser pour obtenir les conseils d’un homme qui a tant voyagé. Les Dalatiens ne s'intéressent qu’à la politique, et à outrance alors que l’élection prætoriale aura bientôt lieu. D’ailleurs, les Korvaliens ont une drôle d’approche de la démocratie. Ici, seuls les nobles décident de qui détient le pouvoir. En Illyr, aucun Archonte ne serait élu sans l’appui du peuple.

— Pourtant, on raconte qu’au sein des cités d’Illyr, rien ne peut concurrencer l’influence des corporations marchandes et que ce sont eux qui en coulisses font pression sur la politique de la province.

— Un moindre mal, rétorqua Sydiq, aucune d’entre elles n’a le malheur d’être le jouet d’un seul homme ou d’une seule famille. — Il se servit un nouveau verre et proposa un second à la mercenarii qui refusa avec politesse cette fois-ci — Vous semblez porter intérêt certain pour la politique, peut-être devrais-je vous présenter les principaux protagonistes de ces mondanités ?

Il pointa du regard l’autre bout de la pièce au coin de l’âtre embrasé. S’y trouvait un rassemblement de triclinium aux invités particulièrement bruyants. Une jeune femme à la longue chevelure châtaine en partie caché par un voile immaculé, ses épaules d’un ample châle vert qui descendait sur une stola en soie signe d’une certaine richesse. Cependant son visage bien que jeune et préservé des affres du labeur n’avait rien de bien séduisant, enfin de l’avis d’Alessia. Elle était accompagnée de deux hommes d’un âge voisin, à la barbe et à la chevelure blonde taillées et avec lesquels elle semblait s’entretenir.

— Cette jeune demoiselle est Carla Cælis, la fille du Prætor de Dalata et ses deux comparses Erys et Aliod Valentii, les cousins de messire Orél Valentii, poursuivit Sydiq. Quant à l’homme qui s’apprête à les rejoindre avec un verre, il s’agit du neveu du Prætor, Meriem. J’imagine que le sujet du rachat des Thermes de Frajan anime toujours autant les débats.

Le négociant continua de détailler les invités les plus prestigieux des festivités, ce qu’Alessia suivit d’une oreille un peu plus distraite. Elle allait avoir besoin d’un prétexte pour s'éclipser du grand salon et s’aventurer dans le reste de la villa. Alors qu’elle parcourait la pièce du regard, ses prunelles s'arrêtèrent sur une femme au teint pâle. D’un âge plus avancé que le reste des invités et ses traits en partie caché par un voile sombre, elle arpentait la salle en s'appuyant sur une longue canne en ébène au sommet arrondie.

— Oh, je vois que vous venez de trouver Dame Rhéa Valentii, l’épouse de messire Orél avant que je ne la remarque ! énonça le négociant avec enthousiaste. Dire qu’elle était encore alitée il y a quelques semaines de cela, un véritable miracle !

— Que voulez-vous dire Sydiq ? Que lui est-il arrivé ? fit Alessia immédiatement intrigué par cette étrange femme.

— Eh bien, pendant de longues années, enfin d’après ce que j’ai ouï dire, Dame Rhéa a fait partie de la vie politique de Dalata, bien avant que Valentii comme De Castell ne se disputent le pouvoir. Puis un jour, elle est tombée malade. Un trouble du corps, mais aussi de l’esprit. Des crises de démence et un affaiblissement de ses membres d’après la rumeur populaire. Ainsi, Dame Rhéa a passé les cinq dernières années enfermée à double tour dans une chambre sous la surveillance de son nouvel époux, Orél Valentii. Puis il y a de cela quelques semaines, elle s’est mystérieusement rétablie.

— Une femme parmi les hautes sphères de la politique de la cité ? J’ai du mal à y croire au vu des mœurs du Korvalys.

— Cela m’étonne aussi, peut-être est-elle l’exception qui confirme la règle ? rétorqua Sydiq. Cependant, c’est Messire Valentii qui en récolte les fruits la majeure partie du temps. D’ailleurs en parlant du maître de la maison.

Alors que le négociant venait de finir sa phrase, le brouhaha qui régnait dans le grand salon de la villa s’éteignit peu à peu et les chefs commencèrent à se tourner en direction de l’escalier central. Un homme revêtu d’un pourpoint bleu garni d’une multitude de boutons d’or en descendit les marches impeccables. Sa longue chevelure blonde cascadait sur sa cape tandis qu’il balayait l’assemblée d’un sourire ravi.

— Merci pour toutes ces informations, Sydiq, reprit Alessia alors que les festivités reprenaient. Je vais vous laisser vaquer à vos occupations, ce serait mesquin de ma part de vous retenir davantage. Passez une bonne soirée.

— Eh bien vous aussi, à la prochaine très chère. Vous êtes la bienvenue si vous souhaitez partager à nouveau un verre en ma compagnie.

Alessia s’éloigna du négociant pour se rapprocher du cœur de la soirée. Elle longea les piliers tout en évitant les regroupements de triclinium. L’attention des convives s’était pleinement focalisée sur l’arrivée providentielle d’Orél Valentii, peut-être s’agissait-il du moment opportun pour s'éclipser ? Cependant, l’escalier central était bien trop à découvert pour qu’elle passe totalement inaperçu. Se faire passer pour une servante au lieu d’une prostituée aurait était bien plus pratique pour la réalisation de son infiltration. Une éventualité que l’enchainement des événements avait de suite écarté, tant Lex avait insisté pour qu’il agisse le plus rapidement possible.

La mercenarii balaya à nouveau la pièce à la recherche d’une issue. Étrangement, ses yeux se posèrent à nouveau sur Rhéa Valentii. L’épouse du patricien se faufilait parmi les convives sans attirer l’attention. À l’instar d’Alessia, elle aussi ne semblait pas être à sa place. Par instinct, la mercenarii essaya de se rapprocher de celle-ci, lança son esprit pour essayer de sonder l’esprit de la politicienne déchue. Alors qu’elle commençait à discerner l’orée de son aura, Alessia ne tarda pas se heurter à un immense mur. Des défenses mentales, merde ! La mercenarii se retira aussitôt de l’esprit de Rhéa avant que sa tentative d’intrusion ne soit percée à jour. Elle se dirigea vers l’une des tables remplies de fruits et de hors-d’oeuvres tandis que la politicienne relevait le chef en direction du fond de la pièce. La mercenarii attrapa une pomme dans l’un des nombreux saladiers qu’elle s’empressa de croquer, une intense sensation de nausée qui venait de grandir dans sa gorge. Cela ne peut signifier qu’une chose, essaya de temporiser Alessia dans son esprit afin de garder son calme, cette fameuse Rhéa Valentii est sensible au Voile, sinon elle serait incapable de dresser de telles barrières…

Alors que la mercenarii essayait de digérer cette information et ses conséquences, elle sentit une ombre se faufiler derrière elle. Si silencieusement qu’elle ne la capta qu’au dernier moment. L’instant d’après, elle sentit la pointe d’un couteau s’appuyait le tissu de sa robe dans son dos. Puis un souffle glacial s’approcha de son oreille.

— Ainsi, c’est donc toi, murmura une voix féminine qui ne trahissait pas la moindre émotion. Tu corresponds parfaitement aux descriptions que j’ai lu dans les lettres de mon frère. Ne bouge surtout pas, scélérate.

— Attendez, vous êtes Cordélia, n’est-ce pas ? en déduit de suite la mercenarii. Nous pensions que vous étiez...

— Rejoins-moi à l’étage dans quelques minutes, le temps presse, la coupa l’inconnue. La fête va bientôt occuper tous les esprits. Trouve un moyen sans te faire remarquer. Fais-toi inviter dans l’une des chambres.

À peine Alessia eut le temps d'acquiescer que sa mystérieuse interlocutrice avait déjà disparu. Elle se retourna à sa recherche, mais ne réussit pas à la retrouver au travers de la foule de serviteurs qui s’était peu à peu densifiée au niveau du buffet afin de servir le gustatis aux invités. Tant bien que mal, la mercenarii essaya de s’extirper de la mêlée tandis qu’elle récoltait de bien sombres regards de la part des servants de la villa. Alors qu’elle s’éloignait enfin de la marée humaine de convives affamées, le regard d’un jeune homme blond à la chemise somptueuse se posa sur elle.

— J’ai l’impression que vous avez l’air un peu perdu, n’est-ce pas très chère ? énonça-t-il avant de lâcher un sourire qui se voulait charmeur.

— Eh bien, c’est que je ne voulais pas paraître impolie, commença à formuler Alessia, consciente qu’elle ne pourrait pas éviter éternellement le contact avec les invités. C’est la première fois que je prends part aux festivités de Messire Valentii.

Le jeune homme la détailla à nouveau de ses prunelles claires sans pour autant s’arrêter sur les formes que laissait entrevoir la robe de la mercenarii. Puis il leva le bras et claqua des doigts en direction du contingent de serviteurs.

— Je m’en doutais, c’est la première fois que je décèle une beauté si exotique parmi les filles de Catalina, poursuivit-il d’un ton posé. À votre teint pâle, j’imagine que vous n’êtes pas du Korvalys. Arthédienne, ai-je raison ?

— Oui, messire, répondit Alessia tandis qu’un domestique accourrait vers eux, chargé de deux coupes d’argent pleine. Je me nomme Læssia et je suis originaire d’un petit village frontalier près de la Sylve.

Le jeune homme attrapa les deux coupes et en tendit une à l’attention d’Alessia. Il l’enjoignit ensuite à prendre une gorgée en sa compagnie. La mercenarii huma le parfum de la boisson à la robe carmin avec une certaine appréhension. Son Don aux aguets, elle porta la coupe et avala une gorgée sans déceler la moindre trace de poison ou de substance étrangère. Un vin rouge épicé des plus banales, un cru de basse qualité à l’amertume camouflé par le miel et un mélange d’herbes aromatiques, de notes de cannelle et de muscade. L’espace d’un instant, elle se demanda ce que penserait son employeur d’un tel nectar. Une abomination, à n’en pas douter, aux yeux d’Arenius de Castell qui ne manquait jamais une occasion de vanter les productions viticoles de ses cousins installés dans le Bas-Korvalys.

— J’imagine que vous savez qui je suis, n’est-ce pas ? poursuivit le jeune homme après avoir fini de siroter son verre.

— Oui, vous êtes l’un des cousins de Messire Orél Valentii, mon seigneur, fit Alessia en essayant d’instiller une once de naïveté dans sa voix. Vous êtes bien trop bon de faire grace de votre présence à une fille telle que moi.

Le jeune homme sembla mordre à l’hameçon, car il lui adressa un nouveau sourire tout aussi charmeur. Ses yeux s’étrécirent comme ceux d’un prédateur qui s’apprêtait à ferrer sa proie. Dans le flot de ses pensées, elle pouvait presque ressentir la jubilation qu’il éprouvait vis à vis de son statut de noble et les privilèges qui en écoulaient à l’égard de la populace de basse extraction. Et des femmes surtout.

— Je vous en prie, appelez-moi Erys. Allons à l’écart, les invités de mon cousin ont tendance à être particulièrement bruyant lors des banquets. Je vais vous faire visiter la villa.

Alessia acquiesça et se laissa guider par le noble, consciente que l'occasion était bien trop belle pour qu’elle la laisse passer. Elle se doutait que les intentions d’Erys cachaient quelque chose, n’était-elle pas une prostituée après tout ? Elle arriverait à se débarrasser de lui d’une manière ou d’une autre. Ainsi, ils remontèrent le salon tandis que la majeur partie des convives s’était focalisé sur le début de la primera cena, marqué par l’arrivée des volailles et du gibier.

Alessia traversa la voûte garnie du crâne du Korval pour se retrouver à nouveau dans le long hall. Erys passa devant les murs garnis de tapisseries avant de s’arrêter devant l’une d’entre elle en particulier. Celle-ci, bien plus récente que les autres, dépeignait un affrontement entre deux galères de guerre, des trières, suivit d’un naufrage aux abords d’un récif de rochers. Des prisonniers étaient ensuite conduits à un bateau plus imposant garni d’une figure de proue à l’effigie d’une femme à queue de poisson amarée aux abords d’une contrée garnie de montagnes aux pointes acérées. S’ensuivait une révolte des esclaves qui finissait par prendre le contrôle du navire de guerre.

— Savez-vous pourquoi la famille Valentii arbore une sirène sur ses armoiries ? l’interrogea Erys alors en pleine contemplation de la tapisserie. Pardon, simple question rhétorique, vous êtes une étrangère après tout.

— Pourtant le Korvalys n’est ni bordé par le Détroit ni par l’Abondance, se contenta de répondre Alessia avec naïveté. On raconte en Arthédas que des sirènes se terrent dans les pointes de la Côte Spectrale et qu’elles attaquent ceux qui ont le malheur de s’égarer dans le brouillard. Y’en a-t-il aussi en Korvalys ?

— Non, le folklore est tout à fait différent dans notre contrée, moins fantasque, répondit-il sans pour autant dissimuler une pointe de dédain. Cette tapisserie raconte la vie d’un des plus illustres ancêtres de notre famille, Marius Valentii. Il a servi en tant que quartier-maître sur l’une des galères de la Legio Imperatorii lors de la Guerre du Détroit, il y a deux cents ans. À cette époque, les Saints-Royaumes sont entrés en guerre contre la Ligue d’Ellar et les cités-états qui la composent. Malheureusement le navire sur lequel servait Marius fut très rapidement capturé et il devint esclave au bord de l’un des joyaux de la marine Ellari, l’Obra. Des années passèrent sans que notre famille ne reçoive la moindre nouvelle de lui, puis tandis que la guerre s’éternisait, on raconte que l’Obra vogua un jour en solitaire jusqu’aux côtes du Nérev. Quand les galères de Legio s’approchèrent pour couler le navire avant qu’il n’atteigne la capitale, les marins de la Legio ne trouvèrent à son bord que des rescapés des Saints-Royaumes. Et Marius Valentii à leur tête. À l’aide de dissidents et des autres prisonniers, il avait réussi à fomenter une rébellion et à se débarrasser des soldats de la Ligue. Pour sa grande bravoure, Marius fut promu capitaine du navire par la Legio et l’Obra rejoignit la flotte de guerre de Néreva, sa figure de proue à l’image d’une sirène inspirant la peur et la terreur chez ses alliées d’autrefois. C’est pour commémorer ses exploits que notre famille arbore cette représentation sur notre blason.

La mercenarii continua de suivre Erys quand celui-ci eut enfin décider d’arrêter de contempler la tapisserie. Si la narration des exploits de son lointain ancêtre devait être particulièrement efficace sur les demoiselles facilement impressionnable de Dalata, pour sa part un tel récit l’avait laissé de marbre. Ses propres aïeuls avaient eux aussi participé à la Guerre du Détroit, un conflit déclenché par le penchant naturel de Néreva à privilégier le conflit à la négociation. Le Korvalys s’était joint aux autres provinces en plein milieu de la guerre alors que le conflit s’enlisait, ses terres hors de portée des forces de la Ligue d’Ellar. Elle se souvenait encore des leçons qu’Eldritch lui avait prodigué autrefois sur cette période de l’histoire des Saints-Royaumes.

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