Avant la vente.

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L’après-midi avançait et avec lui une dizaine d’esclaves appartenant à Maître Mardouk Mazéélbash, Elles portaient de grands sacs de jute ravaudés, aussi rêches que le pain sec et de légumes qu'ils contenaient. Deux gardes leur ouvrirent le portail de l’enclos, c'était une vaste prison à ciel ouvert, découpée à la façon d’un damier. Hauts de trois pieds, de petits murets de briques dans lesquels étaient scellés d’innombrables anneaux de bronze, quadrillaient cette cour. Le sol n’était que terre battue, flaques de boues, amas d’immondices et d’excréments. Les mouches et diverses autres bestioles du même acabit y avaient fait nation. Un caniveau central coupait cette place de part en part. Il semblait bien impuissant à évacuer toute cette fange. L’odeur était abominable, le confort absent et l’hygiène une vue de l’esprit. Des gardes armés de longs fouets et de gourdins arpentaient le sommet des murets, ils étaient autant sadiques qu’experts au maniement de leurs instruments de travail. Les esclaves de la voirie, jetèrent plus qu’elles ne distribuèrent, le contenu des sacs à des filles affamées.

  • Grouillez-vous de bouffer, notre Maitre pense que vous ne serez pas épuisées par une petite promenade ! après la bouffe on va vous filer un peu de travail.
  • Et pour l’eau ? se hasarda Ashka.
  • Justement, on va ôter la chaine de vos colliers et on va vous donner des seaux. Vous irez remplir les grands abreuvoirs des animaux. Vous pouvez en profiter pour vous laver. À partir de demain vous serez mises en vente.

Qu’ils soient mâles ou femelles les porteurs d’eau étaient un spectacle des plus commun dans toutes les villes de cette partie-ci du monde. Souvent, aux fontaines, c’était un attroupement, une cohue indescriptible et il fallait bien un ou deux vigiles de la voirie pour y mettre bon ordre. Alors les coups de trique pleuvaient aussi drus que durant la mousson. Les garçons effectuaient rarement cette corvée, car on ne les gaspillait guère à de telles broutilles. C’était donc le plus souvent des filles ou des femmes souvent nues, qui portaient les seaux. Nombreuses, fourmillantes, besogneuses, elles sillonnaient les rues à toute heure et en tous sens, si bien qu’elles faisaient partie du paysage urbain. À force d’être présentes partout, elles en devenaient presque invisibles, mais fréquemment elles irritaient les gens avec leurs jougs et leurs seaux qui éclaboussaient la chaussée et les vêtements. Castelkatar comptait une trentaine de fontaines. Pourtant nombreuses étaient les grandes demeures possédant leurs sources d’eau. Cependant beaucoup de Maîtres demandaient à leurs esclaves de porter le joug pour être affectées à cette tâche. Il y avait plusieurs raisons à cela. Soit cette corvée était une punition, soit ils voulaient former sa nouvelle esclave car cette tache lui donnait un corp plus ferme et musclé. Elle avait aussi l’avantage de lui apprendre à se situer au sein de la cité. Mais, le plus souvent, les porteuses d’eau n’étaient qu’une sous classe d’esclaves. On les reconnaissait au joug qui était verrouillé à leur cou. Le travail était éreintant, et on ne comptait plus le nombre de viols dont elles étaient victimes, car nues et sans défenses elles étaient des proies idéales. Personne ne se souciait d’elles, en raison de la nature dégradante de leur travail, puisqu’il suffisait de changer leurs seaux, pour qu’elles curent et transportent les immondices. De fait, même les autres esclaves les évitaient, peut être avaient elles peur que leur condition puisse les infecter.

Ashka et une petite troupe d’esclaves furent donc affublées du fameux joug auquel pendaient deux seaux. Elles devaient parcourir un stade entre la fontaine qui était en réalité une cascade et l’abreuvoir principal. La douche était inévitable car elles devaient se placer sous la chute d’eau pour remplir les seaux. La source venant des montagne était glacée. Et c’était avec la chair de poule et les lèvres presque bleues qu’elles sortaient du bassin, avant de courir sous la menace du fouet remplir l’abreuvoir. Il ne fallut pas moins de sept aller-retour avant que leur calvaire ne finisse.

Enfin, après cette corvée harassante, elles retournèrent comme des bêtes bien dressées dans leur enclos.

Puis comme tous les soirs, malgré la fatigue, elles s’épouillaient mutuellement. Ashka, posa alors quelques questions à une de ses compagnes, une fille qui était déjà une esclave à Valdhore.

  • Tu te souviens de ces autres filles sur le pont ? Elles avaient l'air si désespérées, si sales, si mal traitées… C’était tout simplement terrible à voir. Est-ce que c’est cela qui nous attend ?
  • Ce qu’il va nous arriver ? Seuls nos futurs maitres le savent. Mais tu n’as pas vu quelles étaient laides ? elles ressemblaient à des iŭga. Des bonnes à rien, juste à remplacer des kurts et à abattre une dure besogne. Alors, c’est normal qu’elles soient traitées en conséquence, lui répondit sa compagne et elle se retourna prête à dormir.

Ashka anxieuse lui secoua l’épaule.

  • Mais ! Et nous ?
  • Bah, la seule chose que nous pouvons faire, ajouta-t-elle, c’est d’être agréable et aguichante. Parfois, des personnes libres comme toi, tombent dans l’esclavage et elles ne peuvent jamais s'y soumettre, ni s’y habituer. Pour ses propriétaires, c’est un mauvais placement et une source d’ennuis. Elles ne valent plus rien et finissent comme les esclaves de naissance qui sont laides ou idiotes. On les utilise pour les travaux les plus pénibles et quand elles ne sont plus bonnes, je veux dire pas même à tirer une cariole, on les dépose.
  • On les dépose ?
  • Oui on les tue, c’est le mot. Il y a tellement de façons de supprimer une esclave… Pourquoi, tu croyais qu’on mourrait de vieillesse ? Ashka ne s’était jamais posée la question. Pourtant sa famille possédait des dizaines voire des centaines d'esclaves. Puis elle poursuivit. Mais, nous sommes toutes jolies et moi, même si je suis un second choix… J’ai des compétences et une formation spéciale. Et toi tu es, une précieuse ridicule, tu peux plaire à un dresseur. Tout le monde pense que les esclaves de Res Termon Ïbm Al Fazzar ont de la valeur, même celles qui comme nous sont ici et non dans le caravansérail. Ce marchand a une grande renommée, il sait choisir sa marchandise. C’est pourquoi il suit les armées des conquérants comme Subarnipal, ainsi il a beaucoup plus de choix. Mais acheter un bon lot d’esclave n’est pas une tâche facile. La plupart des femmes libres sont rebelles et désobéissantes, cela exige un dressage couteux, ainsi que toutes sortes de punitions. Certaines sont assez stupides pour rester agressives ou tenter de s’échapper. Elles sont battues, fouettées durement, ce qui réduit leur valeur marchande. Dans ce cas elles sont vendues aux mines de sel, de cuivre ou de métaux rares. Pour d’autres, c’est enchainées à une rame qu’elles passeront le reste de leur vie ou alors elles seront attelées à un chariot. Je pense que les plus chanceuses seront jetées dans l’arène pour l’amusement des bons citoyens. Définitivement c’est un mauvais choix de se rebeller contre un marchand d’esclaves. Alors, essaye d’apprendre vite et ne déçois pas tes futurs maîtres ! Sinon jeunette ou pas tu finiras comme les filles du pont et crois moi… Comme je viens de te le dire, elles ne sont pas les plus à plaindre.

Elles s’étaient un peu mieux installées, essayant de passer le temps sachant qu’il n’y aurait rien à faire d’autre que de continuer à s’épouiller avant que la nuit ne vienne. Ashka eu un frémissement de dégout lorsqu’elle vit cavaler entre ses jambe une blatte grosse comme son pouce.

  • Bah ! Cet endroit grouille de cafards, constata sa voisine en haussant les épaules. Tu ne t’es pas encore habituée à eux ? Tu vas devoir t’y faire petite. Dans les enclos à esclaves, ils grouillent de partout. Dis-toi que tôt ou tard tu seras heureuse d’en manger.
  • Beurk ! Je ne m’habituerai jamais à ces bestioles ! répondit Ashka.
  • N’importe quoi ! tu fais déjà comme moi, tu bouffes déjà les poux.
  • C’est pas pareil ! c’est plus facile pour les tuer.
  • Bon si tu le dis… mais fais juste attention aux scorpions. Ils aiment se cacher dans les fissures des murets, comme celui où tu es adossée.

Ashka abandonna quelques instants son génocide pouilleux pour inspecter son coin de mur.

Res Termon Ïbm Al Fazzar qui connaissait sont métier fit son apparition sur le tard il était accompagné de Maître Mazéélbash. Le marchand avait négocié quelques arrangements avec l’appariteur. Ainsi la dizaine d’esclaves de deuxième choix qu’ils désirait vendre à Castelkatar serait transférées dans un endroit plus confortable.

  • Cher Maître Mardouk, C’est le lot dont je vous ai parlé, dit-il en montrant les filles adossées au muret.
  • Oui, je pense que cela suffira à couvrir les droits de douane.
  • Et comme convenu, pour la différence, je prends sous ma protection les six charrettes de coton, comme vous me l’avez demandé, répondit le maître de caravane. Ce que je ne comprends pas c’est que vous voulez vendre des esclaves à Yuchekha ?
  • Oui mais pas n’importe lesquels. C’est simple Res Termon, ici nous avons trop d’esclave mâles, or je sais qu’il y a pénurie de ce genre d’articles dans les grandes cités comme Yuchekha.
  • Je comprends mieux. Je suppose que vos esclaves peuvent marcher ? Même s’ils sont nombreux, j’ai assez de chaines pour eux.
  • Très bien, ça me va, je ne veux pas perdre plus de temps, la foire aux esclaves est pour bientôt. Quand prévoyez-vous d’arriver ?
  • Les routes sont bonnes et toutes les armées sont autour de Valdhore. J’espère que sans trop de perte nous pourrons le faire en quinze jours, le plus difficile est derrière nous Maître Mardouk. J’ai gardé ma marchandise en bon état et mes hommes savent utiliser les fouets, comme avec les kurts ou les ânes, vos esclaves seront dans de bonnes mains.
  • Très bien, Res Termon, demain nous amènerons tout cela à l’entrepôt. Nous disposons de chambres de qualité, propres, spacieuses et confortables pour les personnages de haut rang. Voulez-vous que je vous en réserve une ?
  • Non merci, j’ai un ami en ville cela va faire deux ans qu’il m’attend.
  • En effet votre ami est la patience même. Permettez que je donne des ordres pour extraire votre lot de l’enclos.
  • Mais procédez monsieur. Sur ce le bonsoir et à demain.

Ashka faisait partie du lot. Pour la première fois depuis le début de son périple, elle n’était pas enchainée, elle ne portait que son collier de bronze. Pour la première fois aussi, elle put être avec une de ses camarade de classe.

Elles suivirent deux gardes et une esclave de la voirie responsable de leur cage. L’un des gardes trainait des pieds tandis que l’autre n’arrêtait pas de bâiller. Elles traversèrent en silence le grand enclos, passèrent une poterne, pour se retrouver dans le secteur des ergastules de la cité, il était situé non loin des étables des kurts. Là il y avait adossé à un des murs d’enceinte de grandes cages aux toits couverts de canisses de bambous. On ouvrit la cage qui était en bout d’allée. Ce devait être leur nouvelle prison, celle-ci était assez grande et elle aurait pu facilement contenir deux fois plus de captives. Il y avait même deux seaux remplis d’eau fraîche et deux pots avec un couvercle à d’autres fins.

  • Oh ! Noms des saintes reliques de Vādshāh* ! Ashnisak ! je ne rêve pas ? s’agit-il de toiles ? Du vrai tissu… et toute cette paille !

Amusée et moqueuse Tinninie qui était la responsable du groupe ajouta :

  • Ces cages ne sont pas très plaisantes, n’est-ce pas ? C’est pourquoi toutes les esclaves veulent être vendues à un maître et devenir des esclaves domestiques. Et non des esclaves de voirie ou de latifundia.
  • Mais non, tu te trompes, cela va faire plus de deux mois que nous sommes nues, enchainées. Que nous dormons à même le sol. Je ne me souviens pas quand j’ai dormi sur une couverture pour la dernière fois, déclara Ashka.

Tinninie prit un air mystérieuse et chuchota :

  • Je vois que vous ne connaissez rien aux ergastules. Alors, vous devez rencontrer nos petits protecteurs et leur rendre hommage ! Les filles semblèrent d’abord inquiètes, mais sourirent bientôt lorsqu’un couple de tatous écailleux se faufila entre les barreaux. Tinninie, était la seule à porter un vêtement, une tunique fermée par un lacet de cuir sur lequel était attaché une petite bourse. Celle-ci contenait les reliefs d’un maigre repas. Les deux tatous vinrent frotter leurs museaux aux chevilles de la fille. Ils attendaient le trognon de pomme qu’elle leur donna. Puis trois chats venus d’on ne sait d’où firent leur apparition. Ils voulaient qu’on les caresse. Ils commencèrent à contourner les jambes des filles, presque à s’enrouler autour. Ils prenaient leur aise et bientôt ce fut un concert de ronronnements.
  • Écoutez, les filles ! Chaque fois que vous restez quelque temps quelque part, soyez gentil avec les chats et les tatous ! Les petits protecteurs vous protégeront des rats, des scorpions, des serpents, des souris et des cafards. Ils veilleront à ce que votre sommeil ne soit pas dérangé par de telles vermines. Vous pouvez vous enfuir dans le foin il est propre et sec. Dormez bien.

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