Les Pagartooks.

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J’étais de retour dans cette région vraiment sauvage comprise entre les fleuves, du Ibai-Bahr et du Ibai-Arrek.

J’avais déjà parcouru la route de Ber-Madian qui descendait en pente rapide jusqu'à la plaine de Prévdanne.

Mon bahwein, une espèce de lézard géant, se déplaçait en'avançant que d'une seule patte à la fois, les trois autres le maintenant en équilibre. Il se mouvait par saccade rapidement puis faisait une petite halte, c’était la méthode que j’avais trouvée pour ménager mes iŭga qui couraient en encadrant ma monture. Deux de mes bio-drones nous survolaient, scrutant de leurs objectifs tous signes de vie alentours.

J’étais à la recherche de What mon roojas que j’avais laissé en liberté quatre mois auparavant sur un des plateaux sauvages qui nous dominaient. Comme tous les dix ans, je le laissais courir la gueuse, c’était un mâle alpha et comme moi il avait des besoins. Mais cette fois je lui avais intimé l’ordre de me ramener toute une horde de roojas, car je voulais les offrir à Samaël.

Mes quatre iŭga en sueur, étaient coiffées d’un tsunogasa, elles portaient une petite tunique de cuir brun, je les avais chaussé d’une paire de sandales spartiates hautes et elles étaient armées d’un naginata de belle facture. Bien évidement elles avaient autour du cou mon collier d’acier.

Notre chemin montait vers les falaises roses des hauts plateaux, leurs sommets étaient cachés par une buée vermeille. Sur notre parcours, de sombres crevasses couleur améthyste s'ouvraient dans leurs flancs polis. Nous avions laissé en bas, la longue vallée au fond de laquelle des palmiers balançaient leurs têtes légères près d’un fleuve limoneux, pendant que sous nos yeux grandissaient lentement les falaises.

Aussi, malgré le danger qu'il y avait à traverser cette contrée, je me devais de retrouver mon roojas, bien que le moment fut mal choisi, car les hauts plateaux tout entier étaient à feu et à sang, Greenheads, Mundars, Tarbass, Nogotays et Pagartooks marchaient sur le sentier de la guerre, aussi Antje éprouvait de sérieuses appréhensions, mais elle avait décidé de n’en laisser rien paraitre, alors elle trottinait tranquillement, avec l'apparence insouciante d'une jeune fille assurée de ne rencontrer aucune difficulté sur sa route.

Quant à moi, les conflits entre Greenheads, Mundars, Tarbass, Nogotays et Pagartooks me laissaient absolument indifférent, car la meilleure chose que pouvait faire ces sauvages, était de s’entre tuer.

Je ne suis pas de ce pays, me disais-je avec un raisonnement d'une étonnante lucidité ; en quoi, je me le demande, les querelles de ces tribus-là peuvent-elles me regarder ? Ma qualité de Reg et de Hors-Loi n'était-elle pas, du reste, suffisante pour me faire respecter partout et de tous. On l'avait bien vu lorsque les Greenheads, il y a six mois, avaient tenté de capturer ma caravane. Depuis, ils s'étaient bien gardés de m’approcher, à telle enseigne que mon simple nom leur inspirait l’effroi. Il était clair que ce qui était déjà arrivé ne manquerait pas de se reproduire, le cas échéant. Le sauvage qui oserait toucher à un cheveu de ma tête n'était pas encore né ! S'attaquer à un Reg en pleine possession de ses moyens cela ne s'était jamais vu, et ne se verrait probablement jamais.

Telles étaient les excellentes raisons qui me rendaient confiant...

De fait, j’ignorais que si les Greenheads me craignaient, ils étaient les seuls à me connaitre.

J’avançais donc, comme on dit vulgairement, la fleur aux dents... Le réveil ne devait pas tarder à venir.

En attendant, nous étions arrivés au sommet, notre route était inondée de soleil et de senteurs, les oiseaux gazouillaient dans les frondaisons des baquois et des kurts sauvages paissaient paisiblement une herbe rase.

Mes esclaves tout en courant se laissaient aller aux charmes de cette nature pleine de poésies, peut-être se laissaient-elles porter par l'air frais de cette fin de matinée. Peut-être ne m’eût occasionné un de ces creux auxquels je n'avais pas l'habitude de résister. Comme tout bon gourmet je n'étais guère un bon poète à jeun. Je devais même dire que les effluves du beau ne commençaient à m’émouvoir que quand j’avais le ventre plein, et que rien ne me disposait mieux à goûter les harmonies champêtres ainsi que la vue de quatre belles jeunes femmes, qu’une ou deux bouteilles de bons vins Dominien agrémentées d'une bonne pipe ou d’un bon cigare. Mais je ne crois pas qu’il me soit arrivé souvent, de prendre le dessous de la table pour le dessus.

Donc, j’avais un petit creux qui m'empêchait d'apprécier à sa valeur le panorama que j’avais sous les yeux, car comme je l’ai dit, nous avions atteint le haut du plateau. Il n’était pas midi, que j’ordonnais l’arrêt pour manger et pour que mes coureuses reprennent leur souffle. Elles ne verraient aucun inconvénient à ce que je leur offris un léger repas.

Antje, qui était de bonne humeur, obtempéra immédiatement à ce désir. J’arrêtai mon bahwein à l'ombre d'un magnifique bosquet de pandanus, et Saavati, qui venait de passer deux nuits sans dormir, s'allongea sur une natte avec l'intention évidente de faire une petite sieste.

Antje, au comble de la joie, ouvrit ma cantine à conserves et se mit en devoir de nous préparer un petit festin qui fût en harmonie avec l'admirable paysage qui se développait devant nous. Alors, un couteau à conserves en main, elle nous lisait les étiquettes des bocaux qu’elle choisissait.

_ Maitre, commençons par les hors-d’œuvre.

Elle ouvrit d'abord un pâté en croûte façon Teixó, un chef-d’œuvre au trois viandes, au thym frais et au vin jaune. Elle le plaça sur une natte de sparterie avec des tranches de saucisson, du thon mariné, des filets d’anchois sauce piquante, deux belles miches de pain, un bocal de cornichons et une amphore de vin rouge.

J’hésitai un peu sur les entrées, mais je finis par me décider pour une belle tranche de pâté accompagnée de cornichons.

_ Eh oui, les filles, je préfère charger le bahwein de provisions et de matériels, plutôt que de vous prendre en selle.

_ Notre Maitre est un pervers gourmand, intervint Chiendri.

_ Jeune fille, il faut avoir le sens des priorités. Tu préfères bien manger et courir ? Ou courir et manger du cycéon ?

_ Maitre, c’est bien ce que je disais. Tu es pervers, gourmand et méchant. Me répondit-elle entre deux bouchées de pâté en croûte, puis elle reprit, mais tu es un trop bon cuisinier.

_ Merci Chiendri, mais pense que tu vas devoir encore courir trois ou quatre bonnes heures. Alors ne mange pas trop.

Nous n’eûmes pas le temps de finir notre repas. Les drones nous prévenaient de l’arrivée imminente d’une cinquantaine de Pagartooks une tribu avec laquelle Yumi et Saavati avaient déjà eu maille à partir.

_ Dahouu ! c'était un signal donné par un olifant.

Saavati fut sur pied d'un bond et, comprenant la gravité de la situation, elle s'élança vers le bahwein qui se trouvait à deux pas pour saisir une arbalète à répétition, Yumi débâta le lézard pour en faire une barricade.

_ Dahouu ! dahouu ! Répétèrent des cors venus de toutes les directions, et, en un clin d'œil, sur le plateau apparu au loin une troupe armée qui fit tambouriner les glaives sur leurs boucliers.

Deux minutes plus tard des cris affreux s'élevaient de tous côtés, et bientôt chaque buisson protégeait un Pagartook armé d’un Xiphos de bronze.

Antje tout comme Saavati avaient empoigné une arbalète, les deux filles avec leur arme, commencèrent un tir roulant qui arrêta net les Pagartooks dans leur premier élan.

Une demi-douzaine de guerriers avaient déjà mordu la poussière, et ces indigènes, qui ne connaissaient pas encore cette arme perfectionnée, s'imaginèrent, vu la rapidité du tir, qu'une dizaine d’ennemis au moins devaient être cachés dans le bosquet de baquois ; Ils se retirèrent un peu en arrière pour délibérer, pendant qu’Antje et Saavati changeaient de chargeur, mais elles se gardèrent bien de tirer ; elles savaient par expérience que le silence après la première décharge agirait beaucoup plus sur l'imagination des Pagartooks que la continuation des hostilités. Ceci fait, Saavati s'adressa à Yumi et à moi, qui considérait cette scène avec une curiosité indifférente, tout en maugréant contre ces sauvages qui étaient venus troubler si malencontreusement cet instant gastronomique :

_ Prends une arbalète ! Lui dit-elle, saute dans le bosquet d’acacia qui est derrière toi, puis descends ces crétins ! ... Tu ne vois pas que notre Maitre veut manger tranquillement. Je vais les attirer sur ma gauche.

_ Merci, fillette, merci ! Lui criai-je ; mais vos petites affaires ne me regardent pas. Si vous avez un compte à régler avec ces affreux, eh bien, débattez cela en famille ; mais ne me mêlez pas à vos histoires dont je n'ai que faire.

Alors pendant qu’elle progressait par bonds successifs, une clameur épouvantable avait répondu à cet acte audacieux, et une demi-douzaine de Pagartooks, se détachaient du groupe pour se précipiter dans sa direction.

_ Cela promet une belle bagarre ! Dis-je, en continuant à regarder cette scène en amateur, personne n'a manqué son départ.

_ Maitre ! Je te le demande un peu, ce n’est pas juste ! Pourquoi Saavati veut-elle me faire courir, le ventre vide ? Je n’ai pas encore gouté ce merveilleux pâté... Je ne vois pas pourquoi je ne continuerai point à déjeuner ?

Tout en poursuivant son étrange soliloque, Yumi s'assit sans façon et étendit de nouveau sa main droite pour prendre une belle tranche de pâté, dans la gauche elle tenait la hampe de son naginata... Mais aussitôt les épouvantables hurlements recommencèrent de plus belle.

_ Vous faites chier ! Soit ! Et elle attaqua bravement sa tranche de charcuterie.

Mais au même moment un Pagartook au casque d’or sauta par-dessus un buisson, contourna notre bosquet de pandanus avec un entrain sans égal pour se camper devant nous.

_ Après le chant, la danse, grommela Yumi, c'est complet !

_ Débarrasse-m’en ! Lui dis-je, et tu auras du chocolat. Je n'eu pas le temps d'en dire plus long, le gaillard était sur elle. Les lames allaient se croiser.

Yumi dès lors parut fort tranquille, alors que son assaillant prenait la garde basse comme l'exigeait l'infériorité de taille de son adversaire.

Celle-ci se montrait insouciante et se battait bien.

Après quelques secondes de ferraillement, Yumi, en parant trop tard un coup légèrement porté sur le fil de sa lame, releva la pointe du glaive de son adversaire, qui lui fit une égratignure au visage ; personne ne prononça un mot...

Yumi sentit son sang tiède couler sur sa joue fraîche et s'anima un peu ; le combat changea de physionomie ; il y eut un moment où les armes des combattants étaient tellement engagées que les deux pointes, en décrivant leurs cercles, leur éraflaient la poitrine de lignes sanglantes, puis elle rompit de quelques semelles, et le Pagartook, par une feinte de flanconade, tenta de plonger son épée dans la poitrine de mon esclave dont la lame de son hirumaki effleura sa cuisse. Elle se fendit, les semeganes de son manche heurtèrent violemment le xipho, la violence du choc cassa la lame de bronze. Yumi fit tournoyer son naginata dont l'extrémité du manche était pourvue d'une masse de métal pourvue d’une pointe. L’ishizuki perfora le front de son adversaire. Il tomba après avoir chancelé quelques secondes puis elle retourna son hirumaki pour le clouer sur le sol argileux.

_ Chère Yumi, je trouve que ce fut laborieux. Lui dis-je.

_ Je sais Teixó, mais je n’aime pas combattre le ventre vide.

_ Mais où est Chiendri ? Hurla Antje qui rechargeait son arme ?

_ Je l’ai envoyé faire le ménage sur leurs arrières. Cette fille se prend pour une femelle mngwa depuis que je lui ai donné des Tekko-kagi et des Ashiko. Puis je hurlais pour que les Pagartooks entendent : Nous avons tué votre chef au casque d’or ! Brigands ! Bande de brigands vous vous déshonorez devant des femmes ; elles couvrent vos faces de honte ! Si vous continuez… Moi Teixó je détruirai vos villages, je déterrerai vos morts, je vendrai vos femmes aux Mundars !

Tout à coup, comme j’allais continuer de maudire nos ennemis, un troupeau de roojas fondit sur eux criant furieusement

_ Tokkhtaa ! tokktila !

Le choc fut si violent et si soudain que les Pagartooks survivants furent séparés les uns des autres et culbutés en moins d'un instant. Car pendant que les Pagartooks nous attaquaient, What et sa horde, qui arrivaient derrière nous, l'avaient cerné. Maintenant c'était fini et bien fini. Parmi les morts qui jonchaient le plateau, un homme agonisait, la tête appuyée sur son bouclier ; un autre était debout la tête dans le gosier de mon roojas.

Saavati, son naginata ensanglanté à la main, la figure rayonnante de l'auréole de la victoire fit un clin d’œil à Yumi alors qu’elle allait engloutir une énorme tranche de roastbeef rose qui dormait dans sa gelée.

_ Que les Dieux vous emportent ! Cria Chiendri. Voilà que vous mangez sans moi ?

Elle prit une terrine sur la natte et, voyant qu'elle était vidée, la jeta au loin.

_ C’est Bon ! Dit-elle en éclatant de rire. Aujourd'hui je n'ai eu le temps ni de déjeuner, ni de boire du bon vin Dominien, et hier j'ai à peine souper. Trucider du barbare pour se coucher le ventre vide c’est pas une vie d’esclave !

_ Bon les filles, vous finissez de manger on range tout et on retourne au bateau. Je crois qu’on en a fini ici.

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