Le Coucou (5)

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Les échos de la fête retentissaient à travers le manoir. Une demeure moderne et élégante, avec de grandes arches ouvertes sur un parc luxuriant.

Des couples s’encanaillaient parmi les massifs de fleurs ou sirotaient des coupes de vin pétillant sur les terrasses. Des ménestrels et des danseuses égayaient la soirée dans la salle à manger, tandis que les invités riaient et dégustaient de délicats petits fours. Dans les recoins intimes ou alanguis sur les méridiennes, leurs mains s’égaraient sous les jupons, leurs lèvres s’effleuraient avec volupté et laissaient échapper de brûlants soupirs.

Les réceptions du doyen Grimald n’avaient pas leurs pareilles à bien des lieues à la ronde. Ces soirées très cotées attiraient le gratin de la région, qui venait y épicer une vie par ailleurs quelque peu maussade.

La fête battait son plein, pour le plus grand bonheur de l’hôte. Accoudé à la cheminée, l’œil rivé aux courbes ondulantes des ghawazi, Theo Grimald achevait de rogner une cuisse de poulet. Il suçota l’os avec indécence, le jeta dans la flambée puis fit glisser le tout avec une longue rasade de vin.

— Parfait, parfait… Toi là, ma beauté. Oui toi, ne sois pas timide.

Interpelée, Malda lui fit face. Elle savait qu’il avait un faible pour elle. Ce n’était pas la première fois.

— Viens donc par-là, insista Grimald.

Elle s’approcha. Sa lourde main s’abattit sur son fessier. Il poigna goulûment et l’attira tout contre lui. Elle pouvait déjà sentir sa virilité durcie, à travers son haut-de-chausses.

— Si nous allions profiter de la fin de la soirée dans un endroit un peu plus intime ? chuchota-t-il.

Son haleine sentait le vin. Puis il plaqua sa bouche couverte de graisse sur la sienne. Il n’attendit pas de réponse. Il n’en avait de toute manière pas besoin. Sa main calleuse se referma sur celle de Malda comme si elle avait empoigné une épée et le guildien l’attira à sa suite. Elle ne résista pas.

Ils quittèrent la grande salle. Dans le corridor, près de l’escalier, une jeune catin aux jupes retroussées s’appliquait à offrir une petite gâterie à l’un des invités. Grimald lui administra une bonne fessée au passage et la pauvre manqua de s’étrangler. Le maître des lieux ricana.

Puis ils montèrent à l’étage et gagnèrent sa chambre.

La porte se referma avec fracas. Malda sursauta. Le doyen tisonna le foyer, y ramena un peu de vie. Ensuite il s’approcha, saisit sa robe de ses deux mains puissantes et déchira. Jamais elle n’avait retrouvé sa nudité si rapidement. Elle laissa glisser au sol les vestiges de sa tenue et frémit sous son regard gourmand.

Lui, par contre, prit tout son temps pour se dévêtir. Il déboutonna avec soin col et manchettes, dénoua sa chemise. Il révéla un torse musclé, guère amolli par sa vie de faste, et blasonné de quelques cicatrices impressionnantes. Des témoignages de son ancienne vie. La plus marquante lui zébrait la poitrine d’une aisselle à l’autre.

Puis Grimald fit glisser sa ceinture dans sa main. Appuyé au montant du baldaquin, il couva Malda du regard, tandis qu’il l’enroulait autour de sa paume. Un sourire léger, presque compatissant, étira ses lèvres.

La jeune femme ne dit rien. Elle avait l’habitude. Grimald était fort. Il faisait mal, parfois, mais il payait fort bien. À gestes félins, elle se mit à quatre pattes sur le lit et cambra le dos. Elle ferma les yeux. Et ravala son premier cri, lorsque le cuir lui fouetta les fesses.

La nuit s’étirait sur le manoir, paisible, seulement troublée par la rumeur lointaine de la fête. Un refrain enfiévré, un gloussement polisson. Rien d’inattendu. Et puis tout à coup, l’atmosphère se refroidit, un hurlement déchira la tranquillité nocturne. Lui succéda un étrange moment de silence interloqué. Même les flonflons s’étaient interrompus. Ensuite un autre cri étranglé, puis un appel à l’aide, puis le brouhaha d’un mouvement de panique.

Dans la chambre à l’étage, Grimald se retourna vers la porte, sourcils froncés.

— Mais qu’est-ce qui se passe, bon sang, grommela-t-il.

Il se détourna de Malda et avança vers la porte. Au rez-de-chaussée, le tapage paraissait s’être quelque peu éloigné. Parfois, un cri retentissait, de panique ou d’incompréhension. Au loin aussi, une plainte lancinante. On y lisait des larmes de douleur.

Grimald récupéra une épée exposée au-dessus de la cheminée, puis se hâta pour ouvrir la porte. Sa main se posa sur la poignée. Le feu sembla diminuer d’intensité dans le foyer, comme étouffé par un voile impalpable, créant une pénombre inquiétante. La chaleur aussi s’envola tout à coup. Et la porte s’ouvrit à la volée.

Le doyen, repoussé, chuta sur le dos. Son épée roula par terre jusque sous le lit avec un chant métallique retentissant. Dans l’encadrement de la porte, découpée par les lueurs moribondes de l’âtre, se dressait une haute silhouette noire. Malda ne put retenir un cri.

Grimald bondit sur ses pieds et plongea sur l’inconnu avec une vitesse stupéfiante. En dépit de sa corpulence et de son âge, ses réflexes guerriers n’avaient rien perdu de leur fulgurance. Mais l’autre vacilla à peine sous l’impact et, sans difficulté apparente, renvoya son assaillant bouler dans la chambre. Ce dernier heurta le lit, qui émit un grincement d’outrage. Mais aussitôt, il se redressa sur un genou, récupéra son épée et se massa les côtes.

— Qui es-tu ? grogna-t-il. Que me veux-tu ?

L’intrus ne répondit pas. Il avança d’un pas. Mais le puits de ténèbres sous sa capuche ne révéla pas ses traits.

Grimald déplia sa grande carcasse pour le regarder dans les yeux. L’inconnu fondit sur lui avant qu’il pût amorcer un coup de lame. Ils traversèrent la pièce, heurtèrent le mur, renversèrent un candélabre, se battirent et débattirent tandis qu’une fine pellicule de givre couvrait la croisée et prêtait à la nuit une pâleur hivernale.

Happée par son instinct de survie, Malda bondit du matelas et fila vers la porte. La voie était libre, rien d’autre ne comptait plus. Nue et glacée, elle se rua dans l’escalier. Devant elle : des pas précipités alourdis de mailles. Derrière elle : un cri et le tintement du verre brisé. Et sous elle, les marches de pierre lisses et froides. Très froides. Glissantes. Elle dérapa, chuta et la douleur explosa.

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