Le Coucou (21)

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Quatre silhouettes, menaçantes et armées, entrèrent dans le halo de la lanterne que tenait l’homme d’armes. Elles s’immobilisèrent à la périphérie du cercle de lumière. L’immense Ulrich, sa lourde francisque aux mains. Le taciturne Hagan, une hachette au poing, une autre à la ceinture. L’inquiétant Melvellio, la dague brillante et l’œil plus brillant encore. Et enfin Klaes, ses crache-poudres parés à faire feu. En découvrant le spectacle, il déposa un baiser sur le canon de Flammèche, un baiser sur celui d’Étincelle et invoqua le nom d’Yseh.

— C’est bien l’œuvre de notre gus, commenta-t-il.

La victime avait des allures de pantin désarticulé, ainsi allongée, le pantalon sur les chevilles. Sa bouche n’était qu’un fouillis de dents et de sang. Ses yeux fixes, grands ouverts, pleins d’une terreur figée à tout jamais étaient tournés vers le ciel. Le blanc avait viré au rouge, autour des iris, après que tous les petits vaisseaux eussent explosé.

Melvellio s’accroupit et ramassa un chapeau informe, à deux pas.

— C’est le vieux qui a tiré son coup.

— Putain, t’as raison. Au moins, il aura profité une dernière fois.

La sentinelle agita sa lanterne.

— Vous êtes qui, vous ?

— Nous ? fit Klaes avec une moue moqueuse. On est les gars qui viennent ramasser votre merde.

— Notre merde ?

Ulrich fit un pas de plus et toisa l’homme d’arme.

— Qu’est-ce qui se passe, ici ? Où sont passés tes potes ?

— Ce qui se passe ?

— Tu vas pas répéter tout ce qu’on dit, non ?

— Je… Notre patrouille est tombée sur ce gars, en train de faire un sort à celui-ci. La Frousse est parti chercher du renfort. Les autres… ben je sais pas trop. Ils se sont dispersés pour ratisser les rues.

— Il est parti vers où ? demanda Klaes.

Un hurlement déchirant jaillit d’un endroit à quelques rues à peine. Les quatre vénates échangèrent un regard et se précipitèrent dans cette direction. Tandis qu’ils se faufilaient dans les venelles obscures, ils percevaient des cris et des bruits de course dans les parages. Le chahut attirait du monde.

Ils arrivèrent les premiers. L’homme d’arme respirait encore, douloureusement. Mais des bulles de sang apparaissaient de temps à autre entre ses lèvres. Des aiguilles de verre acérées saillaient de ses yeux, de son visage, de sa gorge. Sa peau était déchirée, ravagée par ce hérissement improbable.

Melvellio s’abaissa et brisa l’une des aiguilles entre ses doigts. La pointe glacée, dans le creux de sa paume, fondit doucement. Hagan inspecta le sol. Ulrich et Klaes jetèrent des regards dans toutes les directions.

Des lueurs de torches et de lanternes approchèrent.

— Bordel, ils sont quatre ! s’écria un homme d’armes.

— Ils ont des armes à poudre ! s’étrangla un autre.

— On vient juste d’arriver ! rugit Ulrich.

— Bande d’abrutis ! renchérit Klaes. On est avec le questeur !

Disputes et débats emplirent la ruelle d’un tintamarre infernal. Au point que des persiennes s’ouvrirent sur des regards assoupis.

— Vos gueules ! » cria Hagan, plus fort que les autres. Et même ses collègues en restèrent cois, car il n’était pas du genre à élever le ton. C’était comme s’il avait retenu ce cri des années durant. « Bon sang, j’essaie d’écouter !

Un silence irréel fit suite à son intervention. Il eut l’occasion de mettre à profit son ouïe fine. Brièvement, mais suffisamment. Il bondit aussitôt dans une direction et, sous les vociférations des hommes d’armes de la patrouille qui repartaient de plus belle, les autres vénates lui emboîtèrent le pas.

À toute allure, ils enfilèrent une série de ruelles étroites, rencognées entre des jardinets et des arrières cours noyés de nuit. Et bientôt, au gré de leur course, une brume givrante se leva et s’épaissit. Plus moyen de voir quoi que ce soit au-delà d’un bras tendu. Ils furent contraints de ralentir. Et le froid les saisit jusqu’à la moelle des os.

— Sorcellerie ! grogna Ulrich.

— Restez sur vos gardes, chuchota Klaes. Il ne peut pas être bien loin.

— Y a qu’à suivre cette brume, fit remarquer Melvellio.

— Chut ! souffla Hagan.

Le nez au ras du sol, le Brümien avançait à pas de loups. Ils longèrent une rue, puis une autre. Et la brume se leva peu à peu. Ils finirent par déboucher sur une avenue plus large. Hagan se redressa, tourna la tête à gauche, puis à droite, huma l’air.

Il choisit la droite et s’approcha de l’une des portes de Tristheim. Elle était fermée et gardée. La sentinelle somnolait sous une torchère et ouvrit soudain les yeux à leur approche.

— Qui va là ? Qui va là ? Les portes restent fermées, la nuit. À moins d’avoir un sauf-conduit du baron.

Hagan l’ignora et dressa l’oreille.

— Vous avez entendu ?

— Quoi donc ?

— Des tuiles brisées.

Le Brümien passa sous le nez du factionnaire, gravit un escalier qui menait au rempart et redescendit presque aussitôt.

— Il est passé de l’autre côté. Il a sauté sur un toit. Je l’ai aperçu et je crois savoir où il va.

Klaes s’approcha du portier.

— Pourriez-vous nous ouvrir la porte, s’il vous plaît ? Nous n’avons guère envie de passer par les toits.

— Je… Chef ! appela-t-il. Chef !

Un gros homme moustachu, les yeux gonflés de sommeil, affublé d’une chemise ouverte maculée de taches de vin fit son apparition au bout de trois appels.

— Quoi qu’y a ? ronchonna-t-il.

Klaes soupira et remisa sa lassitude grandissante.

— Y a que les vénates du questeur sont sur la piste du mystérieux tueur que votre baron en personne nous a demandé d’attraper ! Si vous voulez pas avoir de problème, vous feriez mieux d’ouvrir !

L’officier protesta à peine, surtout lorsque son œil fatigué tomba sur la hache d’Ulrich. Ils ouvrirent une porte-guichet et les vénates quittèrent l’enceinte pour rejoindre les faubourgs extra-muros.

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