À l'ombre du chaos
Enfin, le camion s'immobilise. Un silence épais, presque palpable, succède au vacarme infernal du voyage. Personne ne bouge. La peur nous cloue sur place, paralysés. On dirait que même la mort retient son souffle. Puis, une étincelle. Un mouvement. Un cri étouffé. Et soudain, c'est la débandade. La folie nous emporte. Tous se ruent vers la sortie, poussés par un instinct de survie primaire.
Les corps s'entrechoquent, s'écrasent, se piétinent. Les plus faibles, ceux qui ont déjà tant souffert, sont les premiers à succomber, emportés par la vague humaine. Je reste en arrière, tapi dans l'ombre. Je sais que la précipitation ne mène qu'à la mort. J'attends mon tour, le cœur battant, les muscles tendus. Lentement, prudemment, je me dirige vers la porte, évitant les corps inanimés jonchant le sol. Dehors, c'est pire que tout ce que j'avais imaginé. On nous fait sortir dans une immense pièce, un hangar immense aux murs crasseux et suintants. La lumière, blafarde et vacillante, peine à percer l'obscurité. Des ombres difformes dansent sur les murs, amplifiant l'atmosphère oppressante. L'air est lourd, saturé d'une odeur nauséabonde de sueur, de sang et de mort.
Des flaques d'eau stagnent sur le sol, reflétant la lumière glauque. Des tuyaux rouillés courent le long du plafond, laissant échapper des gouttes d'une substance visqueuse et noire. Au loin, on aperçoit des machines imposantes, des engins dont on ignore la fonction, mais dont la présence ne présage rien de bon. Et partout, des visages. Des visages hagards, terrifiés, perdus. Des hommes, des femmes, des enfants, tous marqués par la souffrance. Et puis, il y a eux. Les gardes. Ils sont là, massés en rangs serrés, leurs armes pointées sur nous. Leurs visages impassibles, leurs regards froids et indifférents. Des monstres en uniforme, prêts à nous abattre à la moindre incartade.
Leur présence suffit à briser toute velléité de rébellion. Nous sommes pris au piège. Des voix s'élèvent, des ordres secs et impérieux, dans une langue que je ne comprends pas. On nous pousse, on nous bouscule, on nous regroupe.
Plus loin, j' aperçois un autre camion, rempli d' un autre groupe d'ethnie que je pense être des Hus.
Pour eux, c'est un enfer. Le passage est étroit, un goulot d'étranglement où la foule paniquée se heurte, s'entasse, se bloque. Ils sont plus agités, plus nombreux dans cette zone, la peur exacerbant leur instinct de survie. Ils se pressent, se poussent, s'écrasent, bloquant toute progression. Les gardes, impassibles jusqu'à présent, perdent patience. Ils ne cherchent pas à comprendre, à calmer les esprits. La violence est leur seul langage.
Ils empoignent leurs armes, les utilisent comme des matraques, frappant à l'aveugle, avec une force brutale et inhumaine. Certains sortent même des tasers, déchargeant des arcs électriques dans la foule. J'entends les cris résonner, des cris de douleur et de terreur qui me glacent le sang. L'odeur de chair brûlée se mêle à celle de la sueur et du sang, créant un cocktail nauséabond. Au milieu de cette mêlée infernale, je vois un homme et une femme, enlacés, tentant de se protéger mutuellement. Mais ils sont pris au piège, incapables de se débloquer. Les coups pleuvent sur eux.
L'un d'eux, je ne sais pas qui, finit par succomber, s'effondrant sous la violence des coups. Son corps, inerte, crée un espace, une ouverture. L'autre, désespéré, profite de cette opportunité macabre pour se dégager, se frayer un chemin à travers la foule. Il court, il trébuche, il tombe, mais il se relève, animé par un instinct de survie plus fort que tout. Mais à quel prix? À quel prix a-t-il obtenu sa liberté? Le visage de son compagnon, à jamais gravé dans sa mémoire, le hantera jusqu'à la fin de ses jours. Je détourne le regard, incapable de supporter plus longtemps ce spectacle d'horreur.

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