Théâtre de l'horreur
Nous sommes enfin conduits vers la dernière salle. Je le sais instinctivement, comme si mon corps avait enregistré une sorte de compte à rebours macabre. Et puis, la vision qui s'offre à nous confirme mes pressentiments. Le spectacle est d'une théâtralité macabre. Des cadavres d'hommes, suspendus par les pieds au plafond, oscillent lentement. Leurs gorges sont béantes, lacérées. Le sang, encore frais, s'écoule en un lent goutte-à-goutte. Ploc. Ploc.
Ploc. Un rythme funèbre qui ponctue l´horreur. Étrangement, la peur ne me saisit pas. Pas la peur panique, paralysante, que j'aurais pu attendre. Est-ce parce que mes yeux ont déjà été gavés d'atrocités ? Parce que mon esprit s'est habitué, résigné, à l'inhumanité ? Peut-être. Ou peut-être que cette absence de peur est une forme de détachement, un mécanisme de survie que mon corps a mis en place pour se protéger de la folie. Je suis comme anesthésié, spectateur d´un tableau morbide qui ne me touche plus vraiment.
Je regarde ces corps mutilés, ces visages figés dans l'effroi, et je ressens une profonde tristesse, mais pas de terreur. Je me sens vide, vidé de toute émotion. Suis-je devenu insensible ? Me suis-je habitué à l´horreur au point de ne plus la ressentir ? La pensée me glace. Si c´est le cas, alors ils ont gagné. Ils ont réussi à détruire mon humanité, à me transformer en un simple témoin passif de leur barbarie. Mais au fond de moi, une petite voix murmure. Une étincelle de résistance qui refuse de s´éteindre.
Non, je ne suis pas insensible. Je suis juste épuisé. Épuisé de voir, d´entendre, de sentir cette horreur. Mais je suis toujours là. Je suis toujours vivant. Et tant que je serai vivant, je me souviendrai. Je me souviendrai de chaque visage, de chaque cri, de chaque goutte de sang. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ces atrocités ne soient jamais oubliées.
La salle se transforme en un pandémonium. La vue de ces corps suppliciés brise le peu de contrôle que nous avions. Des hurlements, des supplications s'élèvent, une cacophonie de terreur. Autour de moi, les gens s'agitent, tentent de reculer, de fuir, mais les gardes sont impitoyables, les repoussant sans ménagement vers le centre de la pièce. Un homme est désigné. Il est tiré de la foule, ses pieds traînant sur le sol, ses mains agrippées à tout ce qu'il peut trouver. Il hurle, implore, mais ses paroles se perdent dans le brouhaha général. Je l'observe, impuissant. Il semble jeune, à peine plus âgé que moi.
Son visage est marqué par la peur, mais aussi par une innocence que la vie n'a pas encore eu le temps d'effacer. Il est mené vers une machine étrange, une structure métallique massive et menaçante. Deux murs émergent du sol, se refermant sur lui, l'écrasant, le maintenant fermement en place. Ses cris redoublent d'intensité. Il pleure, supplie, implore la clémence de ses bourreaux. Dans la foule, un homme se débat, tente de se frayer un chemin vers lui. C'est son père. Je le reconnais à la ressemblance dans leurs traits, mais aussi à l'expression de désespoir qui déforme son visage. Il supplie les gardes, les supplie de le prendre à la place de son fils, de laisser ce jeune homme vivre.
Il se jette à leurs pieds, leur offrant sa propre vie en échange. Il prie Dieu, implore une intervention divine. Mais les gardes restent impassibles, leurs visages de pierre ne trahissant aucune émotion. Ils sont sourds à la douleur, à la souffrance, à l'humanité. L'un d'eux s'approche du jeune homme, un pistolet à la main. Un éclair métallique brille dans la lumière blafarde de la salle. Un coup de feu claque, sec et brutal. Le jeune homme s'effondre, sa tête rejetée en arrière. Un filet de sang coule de sa tempe, souillant son visage.
Mais ce n'est pas la fin. Les gardes, avec une froideur méthodique, le saignent. Son corps est suspendu, la gorge tranchée, et le sang s'écoule abondamment, ruisselant sur le sol. Même mort, il n'a pas droit au repos. Son corps, son sang, sont offerts en spectacle, un avertissement macabre à ceux qui osent encore espérer. Je suis terrifié, mais aussi rempli d'une rage sourde. Je veux me battre, me révolter, mais je sais que c'est inutile. Je suis prisonnier, impuissant. Tout ce que je peux faire, c'est observer, me souvenir, et attendre mon tour.
Je sais que bientôt sera mon tour, que l'on éteindra bientôt la flamme derrière la façade de mes yeux. Alors j'attends patiemment. La nausée me serre l'estomac, mais je la contiens. La peur, elle, est une compagne plus difficile à maîtriser. Elle me mord les entrailles, me glace les veines.

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