L'ultime rotation
Cependant, un autre groupe de gardes débarque et choisit un petit nombre d'entre nous, moi y compris, et nous sort de la salle. Je suis sauvé ? Bien évidemment que non. L'air frais mord ma peau, une sensation oubliée depuis trop longtemps, mais elle n'apporte aucun répit. Mes pieds traînent sur le sol rocailleux, suivant le rythme imposé par les gard es. Je ne sais pas où ils nous emmènent, mais je devine aisément qu'il ne s'agit pas d'un lieu de repos.
Une autre machine de mise à mort se présente à nous. Plus imposante, plus complexe que celles que j'ai vues jusqu'à présent. Des tuyaux courent le long de sa structure métallique, des câbles épais la relient à une source d'énergie invisible. Elle ressemble à une gueule béante, prête à nous engloutir. La mort, encore et toujours.
J'essaye de comprendre ce que disent les gardes, leurs voix rauques et gutturales résonnant dans l'air. Je tends l'oreille, me concentrant au maximum. Je pense avoir entendu que cette machine nous tuera en l'honneur du respect d'un dieu. Un dieu ? Quel dieu pourrait se réjouir de telles atrocités ? Quel dieu exigerait un tel tribut de sang ? Ma foi, si tant est qu'il m'en reste une, s'effrite un peu plus à chaque instant.
Les gardes nous poussent vers la machine. Je résiste, mais leur force est supérieure à la mienne. Je me débats, mais mes efforts sont vains. Je suis une feuille morte emportée par le vent, ballotée vers un destin inéluctable. Mes compagnons d'infortune sont dans le même état que moi, résignés, terrifiés. Certains pleurent, d'autres prient. Moi, je me contente de regarder la machine, essayant de percer son mystère, de comprendre son fonctionnement. Peut-être, si je parviens à comprendre, pourrais-je trouver un moyen de lui échapper. Mais je sais, au fond de moi, que c'est une illusion. Il n'y a pas d'échappatoire. La mort nous attend.
Encore une fois, l'un d´entre nous est choisi. C´est une femme d´une trentaine d´années. Ses yeux sont exorbités, le blanc visible tout autour de l´iris. Elle ne parle pas, ne résiste pas, ne bouge pas. Elle semble paralysée par la peur, transformée en statue de sel. Les gardes n'ont pas de mal à la mettre dans la machine. Ils la soulèvent comme une poupée de chiffon, la jettent à l´intérieur sans ménagement. À l´instant où ils la lâchent, elle se met à trembler, à s´agiter dans tous les sens, frappant sa tête contre les murs comme prise d´une folie soudaine. Un râle sourd s´échappe de sa gorge, un cri de désespoir contenu pendant trop longtemps.
Les murs se ferment sur elle, l´écrasant pour la maintenir en place. Son corps se tord, ses membres se plient dans des angles impossibles. Je détourne le regard, incapable de supporter cette vision. Mais je ne peux pas m´empêcher d´entendre ses cris, de plus en plus aigus, de plus en plus désespérés. La machine tourne à 180 degrés. Un grincement métallique déchire l´air. Une lame, aiguisée comme un rasoir, apparaît, descendant lentement vers sa gorge. Je ferme les yeux, me bouchant les oreilles, mais le bruit de la lame qui tranche la chair me parvient malgré tout, clair et précis. Un jet de sang chaud me gicle sur le visage.
La femme reste en vie. Elle agonise. Ses spasmes se font plus violents, son corps se débat frénétiquement. Des bulles de sang remontent à sa gorge, éclatant dans un gargouillis sinistre. Ses yeux me fixent, remplis de douleur et de supplication. Je voudrais l´aider, la soulager, mais je suis impuissant. Je ne peux que la regarder mourir, lentement, atrocement. Sa vie s´échappe, goutte après goutte, répandant une odeur de fer dans l´air. Finalement, ses mouvements ralentissent, puis s´arrêtent complètement.
Son corps reste inerte, suspendu dans la machine. Ses yeux sont toujours ouverts, fixant le vide. La mort a enfin mis fin à ses souffrances. Mais la vision de son agonie restera gravée dans ma mémoire à jamais. Un frisson me parcourt l´échine. Je sais que bientôt, ce sera mon tour. Et je me demande si j´aurai le courage d´affronter la mort avec plus de dignité que cette femume. Ou si comme elle, je serai brisé par la peur et le désespoir.

Annotations