1 - Provision insuffisante
Je tâtonne dans la pénombre pour saisir mon téléphone, l’esprit embrumé. Il est 3h32 du matin et la sonnerie m’a surpris en phase de sommeil profond. J’entends la voix de ma femme dans le combiné.
« Chéri, je ne peux pas retirer de l’argent : le distributeur indique ‘provision insuffisante’ ». J’entends des pleurs d’enfants autour d’elle.
« C’est impossible » je lui réponds avec un bâillement. « Laisse-moi vérifier sur l’appli et je te rappelle. »
J’ouvre l’appli de ma banque sur mon iPhone persuadé que le solde insuffisant doit s’expliquer par un problème technique.
La liste de mes comptes s’affiche devant moi, tous à zéro.
Compte courant joint : solde nul ;
Compte courant individuel : zéro ;
Compte d’épargne : que dalle…
Je suis maintenant complètement réveillé et un sentiment d’angoisse commence à s’emparer de moi.
J’ai été envoyé par mon entreprises aux Etats-Unis où j’habite depuis quelques années. Ce n’est pas notre première mésaventure bancaire depuis notre départ en expatriation. Notre banque en France, une célèbre banque en ligne, nous avait autoritairement fermé nos comptes bancaires en raison de notre nouvelle qualité de résident fiscal américain. Mais en dehors de l’indélicatesse de mettre fin à une relation commerciale sans nuage, la péripétie n'avait eu d'autre conséquence qu'un transfert des fonds vers une autre banque.
Cette nuit, la situation est plus ennuyeuse : notre argent n’est plus là et je n’ai aucune idée où il a bien pu passer. La crainte d’un piratage s’immisce dans mes pensées.
Ma femme est seule en France avec nos quatre enfants en bas âge. L’aînée a 6 ans, la dernière n’a pas 18 mois. Je suis à 12 000 kilomètres de ma famille, totalement impuissant à leur venir en aide.
Je calcule rapidement l’heure qu’il est en France : 10h40, mon banquier doit être joignable.
Je compose le numéro de mon agence et suis rapidement mis en communication avec la personne en charge de mon compte. C’est un homme que je n’ai jamais rencontré, mais qui jusqu’à présent, a toujours été courtois, diligent et efficace.
Il me rassure rapidement : personne n’a volé notre argent.
Soulagement.
Mais, comment expliquer que l’argent ne soit plus là ?
J’entends mon banquier me parler de créance, d’huissier, de saisie bancaire et d’URSSAF. J’ai du mal à comprendre.
Peu à peu, ça devient plus clair dans mon esprit : nous devons de l’argent à l’URSSAF qui a décidé de se servir elle-même en passant par un huissier. Mais la créance en elle-même ne représente pas plus de 10% du montant de nos avoirs saisis…
« C’est normal, » m’explique le banquier, « l’huissier peut saisir un montant plus important par anticipation de créances futures ». L’explication me paraît fumeuse.
Mon banquier calme mon inquiétude : les fonds peuvent être restitués en une quinzaine de jours, une fois la situation régularisée.
Je ne réaliserai que plus tard l’optimisme excessif de cette affirmation. Joindre l’URSSAF depuis les Etats-Unis, avec sept heures de décalage horaire, est une véritable gageure en temps normal. En plein été, c’est une mission impossible. Nous sommes le 17 juillet...
Je réfléchis : il me reste un peu d’argent sur un plan épargne entreprise. Je me connecte pour en débloquer une partie. Les fonds seront sur mon compte bancaire dans un délai de quelques jours. En attendant, il faudra trouver une autre solution pour parer au plus pressé.
Mon banquier me donne les coordonnées du cabinet d’huissier. Je n’ai jamais eu affaire à cette profession.
Leur manière d’agir me paraît insondable : s’ils ont pu communiquer avec mon banquier qui sait parfaitement me joindre, comment les huissiers n’ont-ils pas pensé à leur demander mon contact ? Pourquoi sortir l’artillerie lourde quand un coup de téléphone aurait suffi à débloquer toute l’affaire ?

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