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Clémence regarda sa montre une fois encore, prenant sur elle-même pour ne pas soupirer d’agacement lorsque le plombier lui promit d’une voix nonchalante qu’il n’en avait plus que pour une minute ou deux. Cela en ferait bientôt quarante qu’il lui tenait le même discours, allongé sous le plan de travail de sa cuisine à faire on ne savait quoi avec le tuyau d’évacuation de l’évier. L’odeur d’égout était écœurante, mais pas autant que le personnage qui tentait — espérait-elle — de colmater la fuite.

Il lui avait tout fait. Arrivé avec plus de trente minutes de retard malgré sa promesse d’être sur place en dix, il avait écouté son problème d’une oreille distraite en effectuant une mission de reconnaissance par satellite dans le décolleté pourtant très professionnel du tailleur de la trentenaire, avant de peiner à se concentrer sur son travail une fois accroupi devant l’évier, son regard attiré cette fois par la hauteur de sa jupe, beaucoup moins professionnelle, il fallait bien l’admettre.

— Alors ? questionna-t-elle en surveillant l’heure.

— Juste une petite min…

— Je ne peux plus attendre. J’ai repoussé mes premiers rendez-vous de la matinée, mais je dois être partie dans vingt minutes. Si vous n’avez pas fini d’ici là, tant pis.

Un silence gêné s’ensuivit. Clémence bluffait : ni réunion, ni attente particulière ne l’attendait ce matin. Elle pouvait pousser son retard d’une heure encore, mais l’accumulation de travail et de messages en retard, elle, ne disparaîtrait pas toute seule. Chaque minute passée à attendre en vain qu’il résolve son problème, c’était deux de plus à trimer pour rattraper son retard.

— Bon, se décida-t-il, on peut en finir vite, mais je vais avoir besoin de votre aide. Vous voyez ça ?

Clémence se pencha pour observer la tuyauterie, consciente de révéler bien plus qu’elle ne le désirait de ses cuisses en s’agenouillant.

— Ici, insista l’homme. Tenez ce tube bien fermement pendant que je le fixe.

Révélant un chemisier sans manches en ôtant sa veste, elle se résolut à avancer sa tête et ses épaules dans la puanteur d’égout, à laquelle vint rapidement s’ajouter celle plus puissante encore des aisselles de l’artisan.

C’est une blague… ce type est un cliché ambulant !

Tant bien que mal, elle s’empara du tuyau en plastique, la tête si penchée en avant que son carré long se désagrégea pour venir envahir son champ de vision, ajoutant d’épaisses mèches brunes à l’obscurité que peinait à contrer la minuscule lampe de l’ouvrier.

— Voilà, bougez plus ! grogna-t-il en faisant tourner son outil, ne manquant jamais de la toucher à chaque mouvement.

Le contact de sa peau moite et poilue la fit frémir. Clémence résista tant bien que mal, allant jusqu’à fermer les yeux pour lutter contre les effluves et la sensation d’enfermement que lui procurait la pénombre et la trop grande proximité du plombier. Sa claustrophobie maladive ne l’épargna pas et l’opération lui parut durer des heures. Le liquide douteux qui s’échappait de la tuyauterie en ruisselant sur ses mains lui dégoulina des poignets jusqu’aux coudes. Les râles de l’homme lui provoquaient des haut-le-cœur qu’elle peinait à contenir. Heureusement, la délivrance arriva dans un ultime grognement de bête, lui permettant de profiter pleinement de son haleine âpre.

— Voilà ma p’tite dame, ça devrait tenir un petit moment comme ça.

Clémence se recula si vivement qu’elle se cogna durement l’arrière du crâne sur le rebord. Étouffant un cri de douleur et de frustration, elle resta un moment à genou à se retenir de masser la zone meurtrie pour ne pas salir ses cheveux. Elle avait besoin d’une douche à plus d’un titre, mais c’était un luxe qu’elle ne pouvait se permettre si elle voulait éviter d’aggraver son retard. Elle ferma les yeux quelques secondes pour se reprendre. L’instant critique était passé sans qu’elle ne fasse un malaise, tout allait s’arranger à présent.

Tandis que l’homme rassemblait son matériel sans pour autant se relever, elle rouvrit les yeux pour apercevoir la bosse grotesque qui déformait le jean recouvert de taches.

Non, tu te fais des idées. C’est juste un pli…

La bosse bougea brusquement vers le haut pour retomber aussitôt. Une fois. Puis deux. Clémence se releva aussi vite qu’elle put, manquant de peu de glisser en appuyant sa paume encore gluante sur le plan de travail bien trop lisse. Elle avait cru avoir atteint le niveau de nausée maximum lorsqu’il lui avait présenté dix bons centimètres de la raie de ses fesses en se penchant pour constater les dégâts, mais elle avait sous-estimé le personnage. Cherchant à meubler le silence pour évacuer de son esprit la vision de l’entrejambe tressautant, elle interrogea :

— Comment ça, « un petit moment » ? Ça va encore lâcher ?

— J’ai fait au plus vite parce que vous êtes pressée, mais si vous voulez que ça tienne pour de bon, faudra que je revienne et que je change le tout.

Tu peux courir pour que je te rappelle !

— Je vois. En l’état, combien de temps ça pourra tenir ?

— Je sais pas trop. Disons quelques mois, au mieux, mais à votre place, j’attendrais pas. Si ça pète encore, ça pourrait vous ruiner la baraque.

Clémence observa sa cuisine recouverte de serpillières et de seaux remplis d’une eau à la couleur douteuse.

Pire que ça, vraiment ?

Après un chèque au montant aberrant pour rétribuer quelques tours de clef à molette, elle se retrouva enfin seule et consulta sa montre en soupirant de lassitude. Il lui fallait encore éponger le sol et aérer l’appartement avant de partir, sinon l’odeur imprégnerait durablement les lieux.

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