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Thomas poussa la porte et abaissa le loquet. Clémence et Karima étaient enfermées de l’extérieur et serrées comme des sardines. Lorsque Thomas fit claquer l’interrupteur du couloir, Karima sursauta, envoyant des vagues de plaisir au creux du ventre de Clémence. Elle l’avait piégée, maintenant le spectacle pouvait commencer.

Contrairement au casier où Clémence s’était éveillée au plaisir, l’armoire était creusée à même le mur et les portes étaient en bois épais. Il n’y avait strictement aucun moyen de respirer et l’atmosphère de leur prison devint rapidement suffocante.

Pourtant, le son de la pièce adjacente leur parvint plus clairement que dans le couloir. Les rires et les cris faussement effarouchés d’Élodie étaient comme des coups auxquels le corps de Karima répondait en tressautant. Si Élodie était le marteau, Clémence était l’enclume sur laquelle son jouet se tortillait à chaque impact. Elle jouissait du moindre mouvement, profitant par avance de ce qui allait advenir.

— On va étouffer ! chuchota Karima. Tant pis, je crie.

— Non ! intervint Clémence, je sens de l’air, attends.

Elle ne sentait strictement rien, mais elle savait. Sa main passa sous l’aisselle de son amie, la faisant tressaillir de surprise lorsqu’elle effleura sa poitrine imposante.

— Qu’est-ce que tu fiches ?

— Laisse-moi faire je te dis, j’ai senti un truc.

Ses doigts allèrent à la rencontre du mur, tâtonnant pour chercher ce qu’elle savait s’y trouver : un bord de papier peint mal collé. Ses ongles accrochèrent le coin coupant et elle s’y agrippa, tirant sèchement dessus pour leur donner de l’air.

Un sentiment de fraîcheur et de soulagement leur parvint. Mais aussi de la lumière et une idée plus précise de ce qui se jouait dans la pièce d’à côté. Devant le visage de Karima, une grille d’aération composée de feuilles de métal leur masquait en grande partie le spectacle. Clémence joua sa dernière carte pour parfaire son piège.

— Je n’ai pas assez d’air. Ouvre légèrement si tu peux.

Avec des gestes engourdis, Karima obtempéra et la pièce jusque-là masquée leur fut révélée lorsque les lames tournèrent sur elles-mêmes. La chambre de Thomas était sobre. Des murs bleu-gris, un placard noir, des draps anthracite. La blancheur de la peau d’Élodie n’en était que mise en valeur. Elle avait déjà enlevé son jean et attendait à genoux sur le lit que son amant ne termine de fixer l’appareil photo sur son trépied.

Juste à temps pour ne rien rater.

Lorsqu’elle fit mine d’enlever son pull, Thomas la stoppa :

— Attends, vas-y doucement surtout. Couche par couche, en prenant tout ton temps.

— Et si j’en ai marre d’attendre ?

— Alors tu ne seras pas récompensée pour ton travail.

— Mmmmh… tu es un horrible patron !

— Tout salaire se mérite, lui rétorqua Thomas avec un ton sérieux.

Élodie hésita. Il s’extirpa de son teeshirt et posa une main sur son appareil, attendant calmement la soumission de son modèle tandis qu’elle admirait son corps taillé à la hache.

— J’espère que ça comptera en heure sup’, le provoqua-t-elle en prenant une pose qui se voulait innocente, les avant-bras entre les cuisses et les épaules en avant.

— Je t’en payerai autant que tu voudras… mais d’abord…

Les clichés s’enchaînèrent. Dans le réduit sombre, les flashs rendaient la scène hypnotique. La respiration de Karima était irrégulière et Clémence prit soin de se rapprocher de la grille, s’appuyant un peu plus sur le corps de sa victime à mesure qu’elle avançait.

Le pull d’Élodie se souleva avec une lenteur calculée, révélant ses hanches, puis son ventre. La trentenaire était sûre de son corps et connaissait parfaitement les poses pour le mettre en valeur. Les cuisses et les fesses rebondies par l’agenouillement, elle serra les abdos en soulevant la laine lourde afin de révéler une taille fine et une poitrine modeste cachée derrière un soutien-gorge rouge harmonisé à sa culotte.

Elle avait tout prévu à ce que je vois.

Clémence ne pouvait s’empêcher de ressentir de l’amertume envers Élodie. Certes, elle avait été à la manœuvre tout du long pour la jeter dans les bras de Thomas, et elle ne pouvait lui reprocher de lui voler un homme qui n’était qu’un jouet pour elle. Pire : un outil. Ce qui la faisait bouillir, c’était de voir à quel point son « amie de toujours » avait été facile à embobiner, l’aisance avec laquelle elle avait trahi Clémence. Du point de vue d’Élodie, Thomas était le soleil de sa meilleure amie, une passion qui l’avait transformée, revigorée. Pourtant, elle se l’était appropriée comme on vole le chouchou préféré d’une camarade de classe parce qu’on le trouve joli, avant de le jeter parce qu’il ne convient pas.

De tout leur groupe, c’était la plus égoïste et la moins mâture. De la même façon qu’elle avait profité des sentiments de Karima durant une décennie, feignant d’ignorer ce que son amie ressentait pour elle, Élodie avait ignoré les conséquences de ses actes en se lançant dans une aventure avec Thomas. Rien ne la gênait jamais vraiment, ni les vexations, ni les blessures qu’elle pouvait provoquer, du moment qu’elle s’amusait.

Tu vas t’amuser, aucun doute là-dessus.

Le pull tomba sur le parquet bosselé et la chair de poule recouvrit la peau découverte.

— Tu as froid ? questionna Thomas.

— Un peu, tu viens me réchauffer ?

— Bientôt…

Au lieu d’aller à la rencontre de son modèle, il se dirigea vers le convecteur électrique et tourna le bouton à fond. Comme prévu, le radiateur allait faire monter la température du mur sur lequel Karima se tenait appuyé. Profitant de l’obscurité, Clémence relâcha le sourire de prédateur qu’elle avait gardé enfermé toute la soirée, son souffle se perdant dans la chevelure bouclée de sa victime. La respiration de Karima était de plus en plus erratique, comme si elle hyperventilait tout en suffocant. Son amour presque obsessionnel pour Élodie allait enfin aboutir, non dans la satisfaction de son désir mais dans la déception et la frustration de la voir faire l’amour avec un autre, sans pouvoir la rejoindre ou s’en éloigner. Coincée entre le mur brûlant, sa propre incapacité à franchir sa honte et le corps fiévreux de Clémence, elle allait connaître une forme d’extase nouvelle, une passion douloureuse et libératrice. C’était elle que Clémence voulait piéger, elle qu’elle voulait déposséder de son secret, et non le couple d’amants qui l’aidait à torturer sa proie.

Avec une lenteur exagérée, prenant visiblement autant de plaisir que son photographe à se dévoiler, Élodie fit descendre son soutien-gorge jusqu’à découvrir des tétons d’un rose profond, presque brun. La respiration de Karima devint sifflante. Sa pudeur exagérée l’avait tout autant privée de l’intimité innocente que les étudiantes partageaient parfois lors des séances de révision ou des colocations improvisées après leurs soirées arrosées. Jamais elle n’avait pu se dévoiler et, en retour, jamais elle n’avait pu apercevoir les courbes dénudées de celle qu’elle convoitait en secret.

Clémence redécouvrit sans surprise la poitrine menue mais joliment formée de la jeune grimpeuse. Avec une certaine jalousie, elle constata qu’elle n’avait pas bougé d’un pouce en dix ans. Plus pointus que ronds, les seins aguichaient l’œil sans cacher les côtes peut-être trop visibles qui les soutenaient. Jouant de leur quasi-immobilité même lorsqu’elle se mit à quatre pattes sur le lit, Élodie recula en ordonnant du doigt à Thomas de la suivre.

Ce n’était pas ce qui était prévu. Son complice devait faire durer leur séance photo le plus longtemps possible, mais il céda, changeant le rythme du plan. Clémence se mordit les lèvres. Il allait trop vite, beaucoup trop vite pour ce qu’elle avait prévu. Réfléchissant à toute allure alors qu’il s’agenouillait à son tour, elle fut soulagée en voyant Élodie continuer de reculer, jusqu’à se redresser pour lui échapper. Le modèle amateur s’enfuit de côté, le contourna en courant et prit possession du précieux appareil numérique.

— À toi, ordonna-t-elle simplement.

Clémence craignait qu’il ne la trahisse en jetant un œil vers la grille, raison pour laquelle elle avait insisté pour qu’il reste de dos le plus longtemps possible, mais le jeune homme semblait entièrement absorbé par son amante. Soudain, le désir du jeune homme provoqua le sien. Thomas ne jouait plus la comédie, il avait envie d’Élodie au point d’oublier leur plan et la menace que Clémence faisait peser sur lui. Il risquait de tout gâcher, mais son oubli était source de plaisir en lui seul. Clémence comprit qu’elle devait rester concentrée sur Karima, au risque sinon de se perdre en même temps qu’elle.

Pas cette fois. J’aspire à plus grand, à plus puissant.

Autant pour stabiliser sa vue que pour échapper au mur de plus en plus chaud, Karima plaça ses mains de chaque côté de la grille, libérant l’accès à sa poitrine et son ventre pour celles de Clémence. Cette dernière se retint, en proie à un désir qui risquait de lui échapper. C’était trop tôt, bien trop tôt pour ça.

Thomas faisait tomber les boutons de son jeans un à un. Le métal claquant si fort que Clémence en tressaillait et, cette fois, c’était en Karima que ses tressaillements se répercutaient. Peu à peu, son amie allait prendre conscience du désir en elle, de leur proximité gênante, alors même que son cœur se brisait, heurté de plein fouet par l’impossibilité d’être Thomas, de s’emparer de ce corps interdit et de le posséder pour elle seule. Tout cela alors que celui de Clémence était si proche, si compatible en ce rare instant. Se retournerait-elle par dépit afin de se libérer de sa frustration ou se focaliserait-elle entièrement sur l’objet de son désir inaccessible ? Sans doute ferait-elle encore autre chose. Quelque chose d’inattendu. Pour une fois et depuis des années, l’incertitude était totale.

Enfin, le noir profond du boxer tendu à l’extrême émergea et le jean glissa jusqu’à découvrir des cuisses musclées, recouvertes d’un duvet clair.

— Enlève-le ! ordonna Élodie en provoquant flash après flash.

Les yeux brillant de bien plus qu’une simple luxure, Thomas s’exécuta. D’abord d’un seul côté, tandis que sa partenaire faisait glisser ses doigts sur sa culotte d’une main en continuant à photographier de l’autre. Ensuite l’autre hanche, libérant à moitié l’énormité d’une virilité encore contenue.

— Stop !

Le son résonna si fort que Clémence crut un court instant que c’était Karima qui avait crié.

— Reste comme ça, insista Élodie, ne bouge plus.

Clémence fronça les sourcils, à la fois impatiente et curieuse de savoir ce que la photographe amatrice mijotait. Après quelques manipulations, elle découvrit qu’Élodie avait déclenché le mécanisme de retardement.

— Une photo toutes les dix secondes annonça la photographe. Combien la carte mémoire peut-elle en contenir ?

— Des milliers.

— Mmmh, ça suffira tu crois ?

En riant, elle vint placer sa cuisse contre la sienne et s’empara du sexe en partie dévoilé pour le masser à la racine, d’abord avec douceur, comme une caresse, puis de plus en plus fort en s’enfonçant sous le tissu noir à mesure des flashs. Le lent mouvement de sa main se répercuta dans ceux du bassin de Clémence.

— Qu’est-ce que tu fais ? se plaignit Karima.

Clémence ne répondit pas. Le couple leur faisait pratiquement face. C’était comme si c’étaient elles qui prenaient les photos. Sans qu’Élodie en ait conscience, elle se livrait totalement à ses amies. Elle montrait à Karima ce qu’elle avait toujours redouté, ce dont elle avait entendu parler et probablement imaginé tant de fois, se prenant à rêver que c’était elle qui était caressée par son amie et non un amant anonyme.

La main menue disparut totalement à leur vue et Thomas laissa échapper un grognement. Nouveau flash. Sa paluche parut disproportionnée par rapport à celle de son amante lorsqu’Élodie s’en empara et l’emporta jusqu’entre ses cuisses sur le fin tissu rouge. Nouveau flash. Elle libéra le poignet de Thomas et la main de ce dernier se glissa sous sa culotte. Les deux amants se firent face et échangèrent un premier baiser.

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