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Au cours des mois suivants, Clémence avait appris à mieux connaître Axelle. Plus que tout, elle avait appris à la comprendre. Oui, Axelle avait vécu plusieurs évènements traumatiques. Oui, elle en avait conçu un profond dégoût de sa propre sexualité. Sachant que le sexe ne suffisait pas à la satisfaire, Clémence ne nourrissait aucune attente envers elle et leur relation s’était approfondie de plus en plus sereinement. L’absence de plaisir charnel n’était pas un frein à ce qui composait sinon leur couple.

Motivée par l’admiration que sa nouvelle compagne nourrissait à son égard, Clémence avait continué à s’entretenir et son corps la remerciait chaque matin en lui évitant les poches sous les yeux, les maux de têtes et la sensation d’avoir pris dix ans devant le miroir. Un miroir qu’elle n’évitait plus en sous-vêtement, prenant même parfois le temps de s’admirer.

Quel gâchis quand même. Dire que personne ne va en profiter.

Perdue dans la contemplation du retour de ses abdominaux, Clémence n’avait pas entendu Axelle arriver. Avait-elle délibérément laissé la porte de sa chambre ouverte ? Non, l’idée de la fermer ne lui était simplement pas venue tant leur relation excluait toute notion de désir. Plantée dans l’encadrement, Axelle faisait mentir Clémence en restant figée, la bouche légèrement ouverte et les yeux écarquillés.

— Je pensais que tu cherchais ton portable, s’excusa-t-elle en détournant la tête.

La main tendue avec l’objet convoité, Axelle attendait qu’on la délivre ou qu’on la punisse, inconsciente du fait que Clémence désirait faire les deux. Finalement, elle lui attrapa le poignet et non le téléphone. Surprise, Axelle laissa échapper un petit cri lorsqu’elle la tira légèrement vers elle.

— Merci.

— De… de rien.

— Tu sais, ce n’est pas interdit de regarder.

— Non, je… c’était un accident.

— Mais ça n’a pas à en être un. Tu aimes me regarder, pas vrai ?

Reprenant une vieille habitude que Clémence lui croyait passée, Axelle hocha la tête en silence, le regard sur ses pieds nus.

— Il n’y a rien de mal à ça, lui assura Clémence.

— Non, je suppose.

— Alors je termine de me changer. Tu m’attends là ?

Sans ajouter quoi que ce soit, Clémence relâcha sa prise en lui soufflant le téléphone au passage. La tête blonde se redressa lentement, profitant de la scène tandis que Clémence se retournait pour se saisir de son pull fétiche. Changeant d'avis au dernier moment, elle le laissa tomber sur le coin du lit et ôta sa brassière.

De dos, ça ne devrait pas trop la traumatiser, pensa-t-elle malicieusement.

Avec une lenteur calculée, elle reprit le pull et laissa la laine doucement glisser sur son dos. Le rebord hésita à franchir ses fesses rebondies par l’exercice, si bien qu'elle l’aida de ses index comme on remet un maillot de bain en place. Lorsqu'elle se tourna vers Axelle, ce fut pour apercevoir sa robe trop longue s’enfuir de son champ de vision.

N’empêche que tu es restée jusqu’au bout.

Malgré sa pudeur et son dégoût des rapports physiques, Axelle avait absorbé l’historique de Clémence avec un calme surnaturel. Lorsqu’elle avait raconté sa propre histoire, il avait été beaucoup plus difficile pour Clémence de ne pas être submergée par l’émotion. Et beaucoup plus facile de comprendre ce qui empêchait Axelle de partager son lit, même pour y dormir. Elles avaient fini par trouver terminer la quasi-totalité de leurs soirées dans la méridienne du canapé. L’une contre l’autre, parfois même enlacées jusqu'à trouver le sommeil. Finalement, Clémence avait bien recueilli un chaton.

Au bout de quelques mois, Axelle vivait pratiquement chez elle. Les occasions de chahuter l’innocente jeune femme ne manquaient donc pas. Chaque fois qu'elle portait un haut échancré, Clémence s’arrangeait pour se pencher plus que nécessaire. Le visage rosi de sa compagne ne manquait jamais de la réconforter. Le retour de l’été et des minishorts d’intérieur avait provoqué de nombreuses situations similaires, même si vérifier l'effet provoqué était plus difficile.

Les beaux jours étaient surtout l'occasion pour Clémence de découvrir degré après dégré le corps de sa compagne. Axelle possédait un squelette d’apparence presque fragile, mais des formes agréables. Elle était loin du corps fin et élancé de Clémence, mais il était mis en valeur par sa taille marquée qui accentuait l’équilibre parfait entre sa poitrine et ses hanches.

À présent que la température avoisinait les trente degrés à l'extérieur, impossible pour Axelle de s’emmitoufler dans des pulls et des robes longues. Elle avait donc opté pour la stratégie des teeshirts et shorts super-larges.

Malgré la curiosité que Clémence cultivait pour ce corps qu’on lui refusait avant même qu’elle l’ait réclamé, elle parvenait à retenir son désir en se contentant de ce qu'Axelle lui offrait en échange. Leur proximité tenait plus d’un amour doux, constitué de longues soirées d’hiver blotties l’une contre l’autre et de nuits été à se raconter leurs vies.

Ce qui excitait réellement Clémence jusqu'à parfois la rendre folle, c’était le désir qu’elle sentait monter chez sa partenaire lorsqu’elle la provoquait. Une faim taboue dont elles ne parlaient jamais, mais qui existait bel et bien, aussi tangible que la tension dans le ventre de Clémence lorsqu'elle voyait le rose envahir son visage. Rien ne semblait pouvoir pousser la jeune femme à dépasser cette barrière et Clémence ne savait pas si elle voulait réellement que cela se produise. Même si le sexe cessait d’être une torture pour Axelle, il n’en serait pas pour autant plus agréable pour Clémence.

Un soir qu’elles rentraient du restaurant, Axelle demanda :

— Tu travailles beaucoup moins ces temps-ci.

— J’en ai assez de me donner pour rien.

— C’est à cause de ta promotion ?

Encore un collègue qui lui était passé devant. Le cinquième ?

— Entre autres. J’ai aussi une bonne raison de rester un peu plus « à la maison ».

— Ah oui ? Oh…

Les fards d’Axelle au moindre compliment étaient vraiment touchants, comme si après la moitié d’une année, elle ne voulait toujours pas croire qu’on voulait bien d’elle.

— Arrête de rougir, sinon je t’embrasse.

C’était la menace suprême, celle que Clémence utilisait depuis quelques semaines avec un certain succès. Jamais encore leurs lèvres ne s’étaient touchées, pas même dans le demi-sommeil d’un réveil entrelacé.

— Hé les belettes, vous léchez pas en public ! lança une voix derrière elles.

Un groupe de trois hommes avançait dans leur direction, représentation vivante des mâles élevés aux stéroïdes et à la violence envers les femmes. Axelle enfonça immédiatement sa tête dans ses épaules, mais Clémence se retourna brusquement avec un air de défi :

— Et sinon quoi ?

— Oh, tu me cherches la gouine ?

L’insulte vola au-dessus de la tête de Clémence. Elle n’était pas homosexuelle après tout, mais la grossièreté du personnage la hérissait. Dans son sac, le shocker sans lequel elle le sortait jamais rassura ses doigts gelés. Il était tôt, la rue était encore bien éclairée et passante.

— Tu sais qu’on ne dit plus « gouine » depuis au moins dix ans ? Tu as voyagé dans le temps ou tu es juste un peu attardé ?

Les quelques mètres qui séparaient les deux groupes s’évanouirent et la claque envoya la tête, puis le corps de Clémence à l’horizontale. Tout était confus. Les cris paniquées puis étouffés d’Axelle, ses cheveux qu’on tirait jusqu’à les arracher, le sol qui raclait sa hanche et ses chevilles.

Lorsque les yeux de Clémence parvinrent à faire le point, elle trouva le visage de son agresseur à quelques centimètres au-dessus du sien, l’écume aux lèvres. Elle était au sol dans une impasse entre deux immeubles, l’homme à quatre pattes sur elle. Derrière son épaule, elle pouvait voir Axelle se débattre entre les bras d’un des deux autres, son minuscule visage presque entièrement recouvert pas la main massive.

Elle va étouffer !

— Alors tu fais moins la maligne, hein sale pute !

En réponse, Clémence lança ses ongles contre le visage mais une poigne dure la stoppa net avant de plaquer ses poignets au sol. Le troisième était à genoux derrière elle.

— Ouais vas-y, tiens la bien. Je vais lui apprendre à fermer sa gueule.

La position était parfaite pour que Clémence tente un coup de genou, mais à peine eut-elle bougé pour se donner de l'élan que le point de son agresseur s’abattit sur son ventre. Le souffle lui fit aussitôt défaut et sa tête tourna au point qu’elle crût qu’elle allait vomir. Pour ajouter à sa souffrance, l’homme enserra son cou en y enfonçant ses doigts pendant qu’il descendait son jogging et son caleçon de son autre main. Soudain, Clémence réalisa à quel point sa jupe la rendait vulnérable.

Forçant son bassin entre ses jambes, il glissa une main moite entre ses cuisses et y rencontra la dernière barrière, qu’il arracha d’un geste brusque.

— Wouhou ! Regardez ça les mecs, ça c’est du string de compétition ! Trophée !

— C’est un tanga Ducon ! ricana celui qui retenait Axelle.

Incapable d’accepter la réalité de la situation, Clémence se tourna vers la ruelle qu’elles n’avaient quitté que de quelques mètres. Les passants allaient forcément les voir, on allait venir. Un homme âgé entra dans son champ de vision et jeta un œil dans leur direction. Horrifiée, la jeune femme le vit se détourner avec un air courroucé.

Il croit quoi, qu’on est en train de s’exhiber ? Apprends à réfléchir !

Personne ne viendrait. Ou alors trop tard. Les ricanements des agresseurs et les cris étranglés d’Axelle étaient étouffés par un vrombissement croissant dans son crâne. Ses yeux dérivèrent sur son sac. Ouvert, son contenu éparpillé lors de sa chute. Le shocker.

Les doigts de l'homme relachèrent son cou pour aller s'enfoncer dans ses joues. Il la força à tourner son visage vers le sien.

— Je vais te baiser bien à fond, ça va te faire du bien un vrai mec pour une fois. Tu vas voir, après ça tu voudras plus autre chose qu’une bite.

Avec les bras retenus au-dessus de la tête et son poids étouffant sur son ventre et sa poitrine, Clémence pouvait à peine bouger. C’était ridicule, c’était d’un autre âge, mais ça lui arrivait maintenant. La main moite s’engouffra à nouveau entre ses cuisses, pour guider son sexe vers elle, en elle.

Juste avant de la pénétrer, il commis une erreur en cherchant à l’embrasser. Au lieu de tourner la tête comme son instinct le lui hurlait, Clémence accepta ses lèvres, puis sa langue, qu’elle invita et aspira avec force avant d’y planter ses dents du plus fort qu’elle put. Le sang tiède emplit sa bouche. Elle avait mordu si fort qu’elle crut un instant qu’il venait de ses propres gencives.

Le cri de bête qui s’ensuivit la libéra. L’homme se releva tant bien que mal en portant les mains à sa bouche ensanglantée.

— Merde, elle l’a mordu ! cria l’homme qui lui tenait les poignets.

Sa poigne se relâcha quand il leva un bras vers son ami en train de hurler comme tenter de l'apaiser. Clémence ne réfléchit pas, sa main fila vers le shocker qu’elle alluma pile sur le ventre de l’homme qui tenait encore son poignet gauche. Sans un cri, ce dernier s’effondra de côté en tremblant, les yeux révulsés.

C’était le tour du bavard. Même traitement, mais directement sur son sexe en train de ramollir. Avec une satisfaction mauvaise, Clémence vit la chair se contorsionner et brûler. Le cri devint inhumain, puis l’homme perdit connaissance, retombant directement sur elle. Les cris étouffés d’Axelle se libérèrent. Le troisième agresseur avait pris la fuite.

Ses sensations physiques étaient confuses, comme assourdies par le choc maintenant que le pire était passé. Elles arrivaient confusément, sans ordre d'importance : la chaleur désagréable du béton chauffé par le soleil toute une journée, la vulnérabilité de ses jambes dévoilées sous sa jupe bien trop relevée, sa joue pulsante et les crampes dans son abdomen. Le reste, elle préférait ne pas l'explorer.

Sans surprise, la police mit plus de vingt minutes à arriver, si bien qu’un des deux agresseurs put reprendre connaissance et parvint à s’enfuir avant leur arrivée. Shocker vissé au poing, Clémence l’avait glacé du regard en faisant grésiller l’appareil, mais ce n’était que de la bravade car ses jambes pouvaient à peine la porter.

Les deux heures suivantes, elle explora les locaux et l’administration d’un autre âge de l’hôtel de police. Au moins, le décorum correspondait à l’agression. Le flic qui recueillit sa plainte était obèse, revêtu d’un pull synthétique qui avait dû voir plus de biscuits et de cafés renversés que d’arrestations. Tâches à l’appui. Sa voix monocorde parfaitement désintéressée et la nature misogyne de ses quetions déstabilisèrent presque autant Clémence que sa conclusion :

— À votre place, je me ferais pas trop d’illusions. Comme il y a pas eu viol, le procureur ne poursuivra pas. Ça se terminerait en TIG, au mieux, et ils sont débordés alors…

Après avoir signé sa plainte, Clémence s'était levée sans un mot. Il ne l'avait même pas regardée quitter la pièce.

Un véhicule noir qui faisait deux fois la taille de sa Mini avait ramené Axelle et Clémence à l'appartement. L’esprit dans du coton, Clémence ne cherchait pas à comprendre pourquoi sa compagne n’avait pas simplement appelé un Uber. Elle se laissait guider comme une vieillarde à l’esprit et au corps dévasté par les ans. Axelle la déshabilla de A à Z — une première — avant de la revêtir de son pyjama de concours : un vieux teeshirt AC-DC qui en avait vu de dures et un shorty qu’elle avait spécifiquement acheté en lot pour provoquer sa presque-colocataire soir après soir.

Cette nuit-là, Axelle s’endormit contre elle, partageant pour la première son lit. Une autre première. Elle s’était endormie comme une souche, probablement épuisée par l’émotion. Sans doute pensait-elle devoir veiller sur Clémence jusqu’au bout, mais cette dernière ne trouvait pas le sommeil, les évènements tournant sans fin dans sa tête. Des tremblements incessants agitaient ses bras, ses épaules et ses jambes sans parvenir à réveiller Axelle.

La peur était toujours aussi vive malgré l’ordonnance de vin moelleux prescrite par sa compagne qu’elle avait religieusement suivie. En double dose. Pourtant, ce n’était pas le traumatisme ou la frayeur qui la retenait dans cet improbable éveil cotonneux. C’était la culpabilité.

Quelque chose ne tourne vraiment pas rond chez moi.

Même si elle s’en voulait d’avoir mis Axelle en danger, Clémence ne se sentait pas responsable de ce qui leur était arrivé. On ne pouvait pas vivre la tête baissée par peur de la violence, qu’elle que soit sa forme. Le problème, c’était ce qu’elle avait ressenti derrière la peur. Chaque fois qu’elle y repensait, cette pensée obsédante la poursuivait. Ça l’avait frappée durant leur attente dans la ruelle et tourmentée au commissariat ; cela la hantait dans ce lit confortable, la chaleur d’Axelle contre sa peau : la sensation de tension dans son bas-ventre et l’humidité entre ses cuisses alors même que le pire avait été sur le point d’arriver.

L'idée de ce qui aurait pu arriver lui donnait envie de vomir. Rien chez cet homme n'aurait pu déclencher cette réaction chez elle, ni ses mots, ni son physique de butor et encore moins sa violence. Ce qui l’avait excitée, c’était Axelle. Axelle qui criait et pleurait en se débattant pour venir à son secours. Axelle qui la regardait sur le point de se faire violer.

Je suis complètement folle. Folle…. folle… folle…

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