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— Qu’est-ce que tu fais plantée là, entre ! lança Clémence.

— Je dérange ? question Axelle.

Qu’est-ce tu racontes ? Tu vis ici !

Elle semblait sur le point de s’enfuir au moindre coup de vent. Clémence se dégagea de l’étreinte agréable et se leva avec précaution pour ne pas relancer le mal de crâne assourdi.

— Manel, je te présente Axelle, ma compagne. C’est notre nouveau voisin, expliqua-t-elle.

— Masseur à mi-temps, ajouta-t-il.

— Et bruyant le reste du temps. Il a proposé de me soulager de la migraine qu’il m’avait filée en défonçant pratiquement la porte.

— Une simple céphalée. Et c’est à peine s’il y a un gnon sur la peinture, je promets de réparer ça.

Axelle lui offrit son sourire gêné, plus mal à l’aise que timide.

— Bon, je pense que je vais vous laisser, décida Manel.

— OK, je vous envoie les frais de remplacement de la porte ?

— Pas moyen, je suis insolvable.

— Une notification de convocation au tribunal, dans ce cas.

— On fait comme ça. J’ai été ravi Axelle.

La porte se ferma, les laissant seules avec trop de questions non posées et de doutes pour que chacune se détende.

— Je te sers une infusion ? proposa Clémence.

— Oui.

La réponse laconique d’Axelle arracha une grimace à sa compagne. C’était toujours la petite blonde qui se proposait de s’occuper d’elle. L’inversion des rôles trahissait d’autant plus la culpabilité de Clémence.

Je n’ai rien de mal en plus. Si ?

Le doute était là, persistant entre elles. Clémence reconnaissait un charme certain à leur voisin — et ses bras ! — mais elle savait pertinemment qu’il ne pourrait pas lui apporter ce dont elle avait besoin. Seule Axelle le pourrait, si Clémence trouvait comment l'y amener.

Son manteau ôté, mais ses vêtements de ville toujours sur elle, le chaton sirotait la boisson brulante debout contre le comptoir de la cuisine, les mains posées sur le mug comme pour se réchauffer malgré la moiteur de la fin d’après-midi.

La boîte de macaron fut sacrifiée sur l’autel de la réconciliation silencieuse, mais le sourire de Clémence lorsqu’elle le déposa sur la table de la cuisine ne parvint pas à dérider Axelle. Cette dernière ne toucha même pas aux sucreries.

Olala, c’est mauvais signe.

Finalement, Axelle brisa le silence d’une voix chevrotante :

— Tu me le dirais si je ne te suffisais pas ?

Que lui répondre ? Non, cette Axelle-là ne suffisait pas. Elle la voulait pleine et entière, pas cette moitié de femme qui ne s’ouvrait pas complètement et dont elle ne pouvait pas s'abreuver. Ce n’était pas seulement d’un chat donc elle avait besoin, mais d’une amante. Le désir est présent, mais la passion manquait. L'ivresse des sens par-dessus tout.

Son silence poussa Axelle à se recroqueviller. C’était l’instant que Clémence avait redouté, celui au cours duquel il fallait tout risquer en blessant sa compagne. Elle n’était pas prête. Pas du tout. Axelle se leva comme un fantôme, mais elle l’arrêta en attrapant doucement sa main.

— Ne pars pas. Ce n’est pas ce que tu crois.

— Alors c’est quoi ?

— J’ai… besoin de quelque chose de plus, c’est vrai. Mais ce n’est pas juste charnel, c’est plus que ça. Et je sais que ça te ferait du mal.

— Comment ça ?

Clémence retira sa main pour se les passer dans les cheveux jusqu’à la nuque. Le mal de crâne revenait.

— J’ai peur de t’en parler.

— C’est si moche ?

— Oui. Très moche.

— Plus moche que pour moi ?

Avec un soupir honteux, Clémence se remémora les chapitres les plus sombres de la vie d’Axelle. Si elle n’était pas entrée dans les détails, la petite blonde en avait dit assez pour horrifier sa compagne. Et la paralyser. Impossible de lui demander plus que ce qu’elles partageaient déjà.

Seulement ce n’était pas qu’une question de sexe. Si ça n’avait été que ça, Clémence l’aurait simplement trompée, les occasions ne manquaient pas. Au pire, elle se serait contentée par elle-même.

Sauf que je ne peux pas.

— C’est différent. Toi tu as été la victime, tu n’as rien choisi, alors que pour moi… ça vient de moi, tu comprends ? Je ne suis pas normale.

— Tu voudrais que je fasse quelque chose, c’est ça ?

— C’est ça.

— Un truc en rapport avec le sexe.

— Oui.

— Je risque d’avoir mal ?

— Pas physiquement.

Axelle semblait complètement perdue.

— Tu… tu aurais besoin de me toucher ?

— Non, pas forcément.

Par esprit de conciliation, ou peut-être parce que ses jambes ne la portaient plus, Axelle accepta de réintégrer son siège. Leurs mains se joignirent à nouveau.

— Si ce n’est pas physique, je veux bien essayer.

— Chaton…

— Sinon tu vas me quitter.

Clémence lui lança un regard qui voulait dire « Non, jamais ! » mais Axelle lui sourit avec les larmes aux yeux.

— Et si tu ne me quittes pas, c’est moi qui partirai. Sinon tu ne trouveras jamais ce que tu cherches.

La discussion en était restée là.

Une autre semaine était écoulée sans que Clémence n’ose aller plus loin. Elle ne lui avait rien révélé, passant ses journées vautrées sur le canapé à s’abrutir devant des séries de moins en moins intéressantes à mesure qu’elle épuisait le stock. Sa vie se concentrait entre le salon pour empêcher son cerveau de tourner en roue libre, la cuisine pour compenser le vide qu’elle sentait grandir en elle et la salle de sport, pour tenter de réparer les dégâts.

Son désintérêt grandissant pour le téléviseur avait atteint un point où elle ne prenait même plus la peine de mettre Netflix en pause lorsqu’elle allait se chercher un encas. Le son lui suffisait pour suivre placidement les histoires abracadabrantes qui défilaient sans fin sur l’écran LED du salon.

Alors qu’elle écoutait les dialogues d’une oreille distraite, en pleine préparation une tartine à la purée de cajou, il lui sembla entendre les gémissements caractéristiques d’une scène d’amour. Comme elle regardait une série sur la bonne société anglaise, l’évènement était assez original pour qu’elle abandonne sa tranche de pain.

Passant la tête dans l’encadrement de la porte du salon, elle fronça les sourcils en apercevant une servante et un majordome en train de discuter sans passion dans les cuisines du manoir.

Mais qu’est-ce que…

Le son reprit, plus fort. Il ne venait pas de la télé. Clémence s’empara de la télécommande pour éteindre la barre son et chercha l’origine du bruit. La sensation agréable dans son ventre se mêla au souvenir doux-amer des ébats de Thomas et Laura, lorsqu’elle les avait surpris dans les toilettes. Comme alors, tout son corps devint fébrile, comme si c'était elle qui faisait quelque chose de mal.

La télécommande toujours à la main, elle se dirigea vers la porte d’entrée avec la démarche d’un zombie. Une fois dans le couloir, elle confirma ses doutes en approchant son oreille de la porte de gauche. Le son venait de chez Manel. Une sensation familière se répandit entre ses cuisses. En minishort au beau milieu du couloir, elle se sentait vulnérable, mais elle glissa néanmoins son index et son majeur dans le micro vêtement d’intérieur.

L’humidité était là, comme elle s’y était attendue. Son épaule se cala contre la porte son oreille à quelques millimètres du bois verni. C’était stupide et irrationnel. Si quelqu’un sortait attiré par le vacarme et la trouvait là, que ferait-elle ? D’aussi près, elle percevait non seulement les gémissements féminins, mais aussi les craquements du lit. Ou peut-être du canapé, car le son semblait venir directement de derrière la porte.

Son clitoris grossissait rapidement sous les caresses, tendant l'intégralité de son sexe comme la corde d’un arc. Les gémissements s’arrêtèrent quelques secondes, puis reprirent de plus belle. Sans savoir si elle avait vu juste, Clémence imagina un changement de position. À présent, elle pouvait entendre la chair frapper contre la chair et accéléra ses mouvements pour tenter de coller au rythme. Le son de claquement monta soudain en volume et en trois cris de bête blessée, s’en fut terminé.

Comme victime d’un électrochoc, Clémence se réveilla et sauta jusque chez elle comme un faon après un coup de feu. La télécommande du son dans une main, l’autre noyée par son plaisir, elle referma fort peu discrètement la porte à l'aide de son coude.

Je perds les pédales !

Elle faisait vraiment, mais vraiment n’importe quoi. Était-ce dû au manque ? Son corps lui envoyait-il un message d’urgence ? Le problème restait le même : comment amener Axelle à ce qu’elle désirait d’elle sans l’exposer directement à la violence de la vidéo qu’elle avait tournée dans ce but ?

Le dos contre sa porte, elle se laissa glisser jusqu’au sol. Le minishort était trempé, il faudrait en changer avant de le retour d'Axelle. Et prendre une douche. Derrière le bois, elle entendit des rires, quelques cris amusés, puis plus rien. Une idée germa peu à peu. En temps normal, Clémence l’aurait rejetée, mais au point où elle en était, rien ne devait être laissé de côté. Pas sans en analyser toutes les possibilités.

À mesure qu’elle y réfléchissait, un nouveau plan se mit à prendre forme et un sourire se glissa sur ses joues, jusqu’à libérer ses dents.

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