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C’était un dimanche comme un autre. Sans devoir envers ses associations, Axelle traînait à la maison comme une âme en peine, si bien qu’elles avaient fini par se retrancher devant le téléviseur l’une contre l’autre. Avec octobre, l’été avait finalement rendu l’âme et le pull de Clémence avait fait son grand retour par-dessus son minishort et son teeshirt. De son côté, Axelle ne semblait pas souffrir du froid et avait gardé la même tenue qu’en août. Elle se contentait de se planquer sous un plaid qui avait été la propriété de Clémence. Autrefois.

D’abord, le son perça à peine derrière le brouhaha de dialogues et de musique de leur reportage, une histoire d’exposition sur Game of thrones dont Clémence n’avait strictement rien à faire. Caché dans les replis du pull, son pouce faisait rouler presque imperceptiblement la molette de sa télécommande. Bientôt, elle parvint à discerner les bruits libérés. Sans savoir ce quoi il s’agissait, difficile de les identifier, mais Clémence savait très bien à quoi elle avait affaire.

Discrètement, elle observait les réactions d’Axelle. D’abord, celle-ci ne parut pas percevoir autrement que comme un bruit blanc ce qui montait peu à peu. Puis, elle fronça les sourcils, certainement sous l’effort pour continuer à suivre le documentaire malgré le bruit. Enfin, ses yeux s’ouvrirent de plus en plus grands.

— Tu entends ça ? demanda-t-elle, son timbre de voix troublé.

— Mmmh ?

— Tu n’entends pas ?

Clémence prit un instant pour répondre.

— Je crois que c’est le voisin.

— Mais, c’est une voix de femme…

— Je ne crois pas qu’il soit si bruyant lorsqu’il fait ça tout seul.

Les joues et les oreilles d’Axelle virèrent au rose. Elle remua sans raison, comme si sa position était devenue inconfortable.

— Il… il exagère, non ?

— Tu veux qu’on aille lui demander d’arrêter ? questionna Clémence en donnant un coup de plus à la molette.

— Non ! Je n’ai pas dit ça mais… on peut mettre plus fort ? J’ai du mal à comprendre ce qu’ils disent.

— Si tu veux.

Le son du reportage redevint compréhensible, mais les ébats restaient parfaitement audibles. Ce n’était même pas un enregistrement de Manel, mais un simple fichier téléchargé depuis un site... spécialisé. Comment Axelle aurait-elle pu faire la différence ? Contre sa cuisse, la jambe de la petite blonde bougeait régulièrement, répondant à une impatience qu’elle-même ne devait pas comprendre. Sans la déranger ou l’interroger sur sa conduite, Clémence laissa la scène aller jusqu’à son terme avant de couper l’appareil installé derrière la grille de la VMC.

Bien longtemps après que les sons évocateurs aient cessé, Axelle continua de se tortiller. Feignant une parfaite innocence, Clémence ne fit rien pour la pousser plus loin. À présent que son plan était en marche, sa patience se trouvait démultipliée. Elle irait jusqu’au bout, même s’il lui fallait des mois pour parvenir à ses fins.

Au bout de plusieurs jours, les ébats bruyants de Manel étaient devenues leur routine, les faux entrecoupés de bien réels. Accoutumée, Axelle n’y réagissait plus autant, mais elle n’insistait plus non plus pour monter le son du téléviseur lorsque les gémissements et les cris empêchaient de bien comprendre. Un soir qu'ils étaient authentiques, Clémence lança :

— Et si on les invitait à diner ?

— Pardon ? Qui ?

Clémence la laissa sans réponse, tandis que les gémissements montaient en puissance. Piquant un fard si violent qu’on aurait pu faire cuire un œuf sur chacune de ses joues, Axelle lâcha un bref :

— Ah…

— On ne lui a plus parlé, depuis que tu l’as chassé de l’appartement.

— Je ne l’ai pas… tu trouves que j’ai été grossière ?

— Je ne crois pas, vu toutes les saletés que je lui avais balancées juste avant.

— Il te plaît ? envoya Axelle sans préavis.

Clémence prit un moment pour réfléchir. Lui plaisait-elle ?

— Je crois. Il est marrant en tout cas.

— Il est beau.

— Han-han ? Ce ne serait pas plutôt à toi qu’il plaît ?

En fond sonore, une femme atteignait l’orgasme. Après s’être affrontées du regard, elles éclatèrent de rire.

— Ce qu’elle piaille ! s’esclaffa Clémence.

— On dirait qu’elle fait une attaque, renchérit Axelle.

— J’appelle le SAMU, tu crois ?

— Chiche.

Attrapant son téléphone, Clémence se mit à pianoter avant de le porter à son oreille.

— Qu’est-ce que tu fais ? Non ! s’alarma Axelle en se redressant.

— Oui allô, le SAMU ? claironna Clémence. Ah ? C’est toi Manel ?

Axelle se laissa aller sur le dossier de la méridienne avec un soupir d’agacement.

— Mmh-mmmh, oui. J’espère que je ne te dérange pas ? Non ? Parfait, qu’est-ce que tu dirais de diner avec nous ? Non pas ce soir, je me doute que tu dois être affamé à l’heure qu’il est, mais on a déjà mangé de notre côté. Comment je le sais ? J’ai deviné. Demain soir, c’est OK ? Et évite d’abîmer la porte cette fois.

L’air courroucé, Axelle fit mine de la pincer pour se venger de sa frayeur.

— Et comment est-ce que tu as eu son numéro, pour commencer ?

— Il me l’a laissé dans la boîte aux lettres pour qu’on convienne d’un rendez-vous.

— Un rendez-vous ?

— Pour la porte, qu’est-ce que tu imagines petite jalouse ? se moqua Clémence en lui rendant ses pincements.

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