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L’effet de la dernière estocade de Clémence ne se fit pas attendre. Alors qu’elle aidait Axelle à débarrasser, des cris bien plus puissants que ceux qui rythmaient normalement leur quotidien se firent entendre depuis l'appartement voisin. Axelle se figea et Clémence en profita pour se glisser juste à côté d’elle. Ses lèvres à quelques millimètres des mèches épaisses qui masquaient l’oreille de la petite blonde, elle lui glissa :

— Je vais leur parler du bruit ou bien tu y vas ?

— Arrête !

— Nadia a insisté : « Il faut venirrr ! ». Ce serait impoli de refuser, tu ne crois pas ? Peut-être qu’elle s’attend à ce qu’on les rejoigne toutes les deux.

Plus rouge que rose, Axelle s’écarta d’elle avant de s’enfuir vers la cuisine avec un bruit de vaisselle malmenée. Clémence hésita un bref instant. Fallait-il la pousser davantage ?

Et merde, tant pis !

Rejoignant sa proie dans la pièce encombrée, elle lui bloqua l’accès à la sortie. Axelle lui tournait le dos, en apparence concentrée sur le remplissage du lave-vaisselle. Clémence n’était pas dupe. Les tremblements de ses doigts et le rose qui continuait de percer sous les mèches envahissantes lui indiquaient l’état de vive émotion de sa compagne.

Et ce n’est pas de l’agacement ou de la peur.

Axelle se refusait au plaisir, parce qu’elle s’était construit un mur de certitudes que Clémence devait à présent briser. En se condamnant à l’abstinence, Axelle les condamnait toutes les deux, l’une à la frustration et l’autre au déni.

— Tu sais, j’ai senti ton regard sur Nadia.

— Ce n’est pas ce que tu crois ! se défendit Axelle en se retournant brusquement.

Elle se trouva nez à nez avec Clémence. Cette dernière plaça ses mains sur le plan de travail en les passant par-dessous les bras de sa compagne dans une étreinte non consommée, mais pleine de promesses. Les cris débridés de Nadia enlevaient toute rationalité à la scène. Clémence sentait une ivresse qui n’avait rien à voir avec l’alcool se répandre en elle.

— C’était quoi, alors ? Elle ne te plaît pas ?

— Elle… non !

— Alors tu pensais à eux, c’est ça ?

— Pas du tout !

— Tu les imaginais en train de faire l’amour, comme en ce moment.

Comme pour appuyer ses dires, les cris s’accompagnèrent bientôt de bruits sourds. Le couple faisait l’amour directement sur le mur mitoyen de leur appartement.

— Je crois qu’ils nous défient d’y aller, gloussa Clémence.

— Tu… tu es folle !

— Ou peut-être qu’ils nous invitent à les imiter ?

Axelle releva la tête, affrontant son regard plus durement que Clémence ne s’y attendait et le doute s’insinua en elle. N’avait-elle pas choisi la mauvaise méthode ? N’était-elle pas en train de torturer inutilement sa compagne ? Leurs regards continuèrent de s’affronter et Clémence sentit son cœur s’emballer, tandis que son corps réclamait son dû. Même si elle ne pouvait pas voir Manel et Nadia, la proximité et le volume sonore de leurs ébats faisaient malgré tout monter en elle ce désir pervers si particulier. Répondant à une impulsion soudaine, Clémence réclama :

— Embrasse-moi !

— Qu… quoi ?

— Rien d’autre, c’est promis. Juste un baiser.

Axelle resta muette. Clémence ne pouvait pas s’imposer physiquement à elle, impossible donc de parcourir les derniers centimètres qui les séparaient. Un océan aurait été plus facile à traverser pour Axelle. Les traumatismes et les blessures, son intimité et sa pureté volées, Clémence les connaissait sans les comprendre.

Mais elle n’a pas dit non. Elle n’a pas encore dit non.

Les lèvres rondes d'Axelle s’ouvrirent, mais les mots furent ravalés. Son souffle court caressait la bouche et le menton de Clémence. L’haleine légère et sucrée lui parvenait par vagues qui parcouraient toute son échine, alors que de ses jambes remontaient les vibrations induites par les coups contre le mur. La tension était disproportionnée, comme si elles avaient quinze ans.

Tout ça pour un simple baiser. Juste un baiser de rien du tout.

Les plaques tectoniques bougèrent, chassant l’océan à mesure que l’espace se réduisait entre elles. Les mèches raides du carreau long de Clémence heurtèrent le casque fauve. Son estomac se noua à l’idée que ce contact indirect et inattendu n’effraie Axelle. Leurs nez se frôlèrent lorsque Clémence inclina la tête en fermant les yeux. Le monde était devenu trop flou pour les garder ouverts.

Son cœur cognait dans sa poitrine, résonnait dans son crâne. Le contact fut si léger que Clémence crut un instant avoir rêvé. Puis il se reproduit, de plus en plus fort jusqu’à ce qu’elle déforme ses lèvres pour épouser celles qui venaient à son contact. La jeune femme avait l’impression d’être retombée en adolescence, à l’époque où ce geste était l’aboutissement d’une relation, sa fin ultime sans arrière-pensées.

Elle s’était promise de ne pas brusquer Axelle, mais sa main se souleva d’elle-même pour trouver son dos, puis l’autre sa nuque. Les bras de sa partenaire l’entourèrent également et les mains minuscules se plaquèrent contre ses omoplates comme si Axelle cherchait à éviter la noyade. Incapable de se contrôler, Clémence ouvrit un peu plus la bouche et goûta le baiser offert. Elle trouva des lèvres douces sous sa langue, goût macaron citron, pleines et pressantes de désir.

Les bras d’Axelle serrèrent plus fort et sa bouche se pressa plus encore contre la sienne. Clémence découvrit la pointe de sa langue timide et la caressa doucement, l’invitant à la rejoindre, à danser contre la sienne. La respiration d’Axelle ne cessait d’accélérer, jusqu'à en devenir furieuse. Les mains plaquées dans le dos de Clémence se mirent finalement en mouvement, cherchant ses reins, ses côtes, ses épaules.

Sans le vouloir, Clémence se penchait de plus en plus, poussant sa compagne à tordre le cou pour rester en contact. Les fesses d’Axelle se pressèrent contre le plan de travail et son genou passa entre les cuisses de sa tortionnaire, faisant doucement refluer la fente de la robe portefeuille vers le haut.

La main de Clémence s’infiltra sous les mèches blondes pour trouver la joue arrondie, puis s’enfoncèrent dans la chevelure pour l'écarter de son visage. Elle voulait la dévorer, embrasser et mordre jusqu’au moindre centimètres de cette peau si longtemps interdite. Axelle sentait bon, elle avait toujours senti bon, mais à l’odeur douce et agréable venait s’ajouter celle plus intense du désir. Ce corps si menu était à bout de souffle, si vulnérable que Clémence voulait s’y jeter, au mépris de sa promesse et de toutes les conséquences.

Le genou d’Axelle continuait de monter. Était-ce l’expression de son propre désir ou un pur réflexe, de ceux qui nous viennent lorsqu’on est soumis à une pression d’une extrême intensité ? Comme ses lèvres quelques instants auparavant, la cuisse de la petite blonde grignotait l’espace qui la séparait de la terre promise. Les sensations saturaient l’esprit de Clémence.

Un simple baiser, juste un putain de baiser !

Elle sentait la moiteur envahir ses dessous, jusqu’à en devenir absurde. La cuisse d’Axelle avança d’un millimètre de trop et Clémence s’arqua de plaisir, séparant leurs lèvres pour la première fois depuis une éternité.

— Je t’aime ! laissa-t-elle échapper.

La jambe d’Axelle se retira aussitôt et Clémence reprit ses esprits lorsqu’elle se sentit violemment repoussée. Axelle n’était plus là. Elle avait filé par-dessous son bras. Un bruit de clé l’informa de sa position dans l'entrée, puis celui d’une porte claquée de son départ.

Merde !

Trop tard pour lui courir après. Pas assez de force dans les jambes pour essayer. La respiration encore haletante, Clémence se laissa lentement tomber à genoux, profitant de la fraîcheur de carrelage contre ses mollets et ses cuisses. Lorsque ses yeux tombèrent sur ses dernières, elle constata la marque laissée par sa propre excitation, une bande luisante qui partait du genou pour aller se perdre dans les plis de sa robe. Malgré sa culotte, l’humidité avait conquis ses cuisses lorsqu’Axelle s’était pressée contre elle. Et malgré son inexpérience, la petite blonde l’avait forcément senti. Clémence l’avait souillée. Une fois encore, Axelle avait été abîmée par ceux qui auraient dû la protéger.

Merde !

Dans l’appartement de Manel, les cris avaient cessé. Impossible de dire quand, ses oreilles avaient bourdonné si fort qu’elle se demandait si elle n’avait pas frôlé le malaise vagal. Et tout ça...

Tout ça pour un baiser.

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