Natacha

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HORRIBLE.

C’est le seul mot qui me vient à l’esprit. Je suis passée par des moments difficiles aussi mais jamais je n'aurais pu imaginer l’ampleur de la plaie ouverte de mon ami. Ce que son père a fait est inhumain. Je ne peux pas le laisser prononcer le mot. C’est insoutenable. Mon cœur a lâché et je pleure comme une madeleine, allant jusqu’à renifler misérablement. Comment peut-on infliger ça à son propre enfant ? Je prends Steven dans mes bras comme sa mère aurait dû le faire et le berce lentement, attendant qu’il se calme. Je peine moi-même à stopper les soubresauts de ma poitrine.

Jonathan prend le temps d’essuyer mon visage doucement. Sa main s’attarde sur ma joue et son contact me rassure, me réchauffe. J’espère que mes yeux lui expriment ma gratitude car mes premiers mots sont pour Steven. Je veux tout savoir afin d’envoyer toutes ces informations à Patrick. Ce salaud ne va pas s'en tirer comme ça ! Hors de question. Je ne peux pas m’en occuper personnellement pour l’instant mais je jure au fond de moi qu’il ne restera pas impuni. Il m’intrigue au sujet de sa vengeance : j’espère qu’il ne va rien faire d’illégal…

Il te l’aurait dit dans ce cas-là, idiote…

Il a parlé de ne pas vous mettre en danger !

Non… Il ne veut pas nous nuire… Différent.

Mouai…

Steven a réussi habilement à clore la discussion sur son histoire : une belle pirouette pour enchaîner sur celle de Jo. Il prend quand même le temps de me remercier silencieusement en essuyant doucement les larmes que j’ai versées pour lui. Nathan nous raconte son histoire. Je l’observe à la dérobée : quelque chose dans son comportement m’intrigue. Il a ce tic, celui de caresser une partie de son tatouage, au niveau du poignet : une date écrite en chiffre romain. Son bracelet en cache une partie, je n’arrive pas à la lire entièrement. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai la désagréable impression qu’il nous ment. En tout cas, il ne nous dit pas toute la vérité…

Patrick le Soupçonneux déteint sur toi attention…

Mais c’est grâce à son flair hors pair qu’on a résolu des affaires difficiles…

Je sens le regard de mes deux amis se poser sur moi…

  • Pas de minauderies ! s’exclame alors Steven. On y est passé c’est à ton tour ! Donne-nous le nom de ton harceleur qu’on aille lui casser la gueule !
  • Ça va être compliqué… A moins de ne vouloir casser la gueule à la moitié des élèves de mon ancien lycée...

Rien que d’y penser mon coeur se serre. Je pensais pourtant avoir fait mon deuil… Pour parfaire ma couverture, Patrick a décidé d’utiliser mon dossier scolaire et une partie de ma vie personnelle afin que cela ne paraisse pas trop suspect. Le plus difficile a été de faire concorder les dates : les faits remontent quand même à un peu plus de sept ans…

  • Je venais d’entrer en seconde. Audrey, ma meilleure amie, et moi étions ensemble depuis le collège. Elle était grande, belle et bien faite… Je paraissais terne à ses côtés. Je me rends compte aujourd’hui que je devais certainement lui servir de faire valoir... Je… comment dire… j’ai gardé mon corps de petite fille jusqu’au lycée. Mes… euh… mes règles sont arrivées que lorsque je suis entrée en première et les changements qui vont avec aussi…

Mes deux amis me regardent avec des yeux ronds, à la limite de la gêne. Je souris et décide d’en rajouter une couche.

  • Vous savez quand même que le corps d’une femme se développe à l’arrivée des hormones non ?
  • Ça va ! Nous prends pas pour des imbéciles non plus ! me répond un Jonathan rougissant.

Je ne peux m’empêcher de pouffer. Cette diversion est la bienvenue car j’ai senti un instant mon cœur s’alourdir…

  • Bon… Ma taille s’est donc affinée et ma poitrine s’est… comment dire… affirmée ? Bref, je prenais de plus en plus de formes… Pour moi, c’était du pareil au même : j’avais eu mes règles, c’est normal pour une fille, point. Pour moi peut-être, mais pour le coup… Les garçons me remarquaient un peu plus… Surtout qu’Audrey m’avait relooké ! Et du coup… ils ont commencé à plus s’intéresser à moi… Et moins à elle. Je me sentais flattée même si je repoussais leurs avances le plus souvent. Je ne me voyais absolument pas avec un garçon. Jusqu’au jour où je suis tombée sous le charme de Cédric. Il a commencé à me draguer et Audrey m’a même poussé dans ses bras, disant qu’il était beau, gentil et que comme j’étais jolie maintenant je devrais lui donner sa chance.
  • Comment ça jolie maintenant ? me coupa Jonathan.

Sa remarque me fit plaisir sans que je sache pourquoi.

  • Je n’ai pas fait attention à ses paroles à l’époque… mais avec du recul, je réalise qu’elles étaient pleines de mépris. Bref. Je suis donc sortie avec lui et il m’a présenté à sa bande, composée pratiquement que de garçons. J’y ai fait entrer Audrey, histoire de ne pas être la seule fille et nous nous retrouvions durant la pause méridienne. J’ai toujours été un peu garçon manqué, depuis petite les poupées et les barbies très peu pour moi, j’étais plutôt mangas combats et jeux vidéos. Du coup, j’arrivais à discuter avec les garçons : nous parlions jeux playstation, motos... Audrey était un peu en retrait. Un jour, un des garçons a ramené une bouteille de whisky au lycée. Personnellement, je n’y ai pas touché, j’avais bien trop peur des conséquences. Nous étions cinq ce jour-là : Stéphane, Éric, Vic, Cédric et moi. Audrey n’était pas au lycée, elle était grippée. Vic était le plus fragile : il a trop bu et est tombé malade, n’arrêtant pas de vomir. Les garçons étaient dégoûtés. Je n’osais pas l’emmener à l’infirmerie, du coût nous sommes restés ensemble dans les toilettes à soutenir ce pauvre Vic. J’ai même été obligée de le déshabiller pour le nettoyer ! Un vrai cauchemar ! Bref… Tout est rentré dans l’ordre et personne n’a su pour Vic. Bien que nous formions un couple, Cédric et moi n’étions jamais allés plus loin que des baisers et quelques caresses volées. Pourtant, ce jour-là, encouragé par les vapeurs de l'alcool, il a voulu tenter d’aller plus loin. Dans les toilettes. J’ai refusé net et ça ne lui a pas plu. Après avoir tiré Vic d’affaire, Cédric m’a simplement plaqué.

Je m’arrête, histoire de respirer un bon coup. Malgré que ce ne soit pas totalement la vérité, il y a quand même des passages vrais dans cette histoire. Et malgré que cela date de sept ans, la douleur est toujours là, tapie au fond de moi, prête à ressurgir. J’inspire un grand coup et continue.

  • J’ai appelé Audrey pour lui raconter. Elle ne m’a jamais répondu. Elle m’évitait clairement, ne répondant ni à mes textos ni à mes appels. Je suis même allée chez elle : ses parents m’ont accueillie froidement mais elle n’est pas descendue de sa chambre. Leur attitude m’a semblé bizarre. Au lycée, certaines filles, parmi les plus populaires, chuchotaient sur mon passage. Les terminales s’étaient mis à me siffler, comme on sifflerai un chien. Ce simple geste me mettait hors de moi. Puis, j’ai commencé à entendre des rumeurs sur moi : comme quoi quelqu’un m’aurait vu dans les toilettes avec quatre garçons… que j’étais saoule… que j’y ai passé toute une après-midi... Je n’en revenais pas ! On s’était pourtant juré de ne rien dire pour que personne n’ait d’ennuis ! Je suis allée voir la bande et là ! BOUM ! Je me suis prise une énorme claque. Je retrouvais Audrey assise entre les jambes d’un Cédric qui racontait à qui voulait l’entendre que nous avions fait un plan à cinq dans les toilettes, que j’étais une bonne petite prête à satisfaire tous les honnêtes désirs d’un mec. J’ai bousculé Audrey de sorte qu’elle se retrouve à terre et me suis campée devant Cédric. Je l’ai giflée de toutes mes forces en lui demandant si celle-là aussi était bonne avant de repartir.
  • Bien joué ! Je te reconnais bien là Nat.
  • Oui. Mais avec ce geste, j’ai signé ma descente aux enfers.

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