Chapitre 34

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Confidences en cuisine

Rose

Je termine de brosser Lune, la raccompagne au box dans un calme apaisant et la câline un moment avant de refermer la porte. Nous sommes parvenues à éviter l’averse durant notre balade, mais je n’y échappe pas en quittant les écuries pour regagner la maison. Lune termine sèche et propre, pour ma part, nul doute que je ne ressemble plus à grand-chose lorsque j’entre précipitamment par les cuisines. Thérèse sourit en me détaillant, les mains dans la farine, tandis que je me débarrasse de ma veste d’équitation.

— Que nous prépares-tu de bon ? la questionné-je en me servant un verre de lait.

— Un ragoût de mouton, tu verras, il est toujours aussi bon.

— Je n’en doute pas une seconde ! Marcus risque de venir te faire remarquer que cette pauvre bête ne méritait pas de mourir.

— Et si c’est le cas, je lui dirai que son ventre n’est pas d’accord avec sa bouche ! Il dévore toujours tout ce que je prépare, le petit monstre.

Je souris, attendrie par ce petit monstre alors même qu’il n’est pas dans la pièce. C’est l’effet Marcus, il a conquis le cœur de chaque adulte du domaine.

— Tout le monde adore ta cuisine, Thérèse. Même le plus ronchon de nos invités du moment.

Pas besoin de préciser à la cuisinière de qui je parle. Philippe est ronchon depuis qu’il est arrivé au domaine et, s’il n’a pas encore déménagé, il s’enferme dans le bureau de mon père depuis notre conversation d’il y a deux jours… Il m’évite comme si j’étais une maladie extrêmement contagieuse. Nos seuls moments en commun sont à présent le petit-déjeuner, qu’il écourte lorsque j’arrive, ainsi que le dîner, qu’il est plus ou moins obligé de partager avec moi puisque les enfants le font également.

— Il a l’air encore plus ronchon qu’avant, d’ailleurs. Je crois qu’il est inquiet car il n’arrive pas à te trouver de mari et il prend son rôle vraiment à cœur.

— Si seulement il m’écoutait, soupiré-je en m’asseyant sur le banc opposé au côté où elle est installée pour cuisiner. Je crois qu’il se prend bien trop la tête.

— Tu ne crois pas qu’il t’écoute déjà trop ? Il aurait pu simplement te trouver quelqu’un et t’obliger à l’épouser. Là, il n’a pas l’air très déterminé à te forcer la main, je dirais.

Je reste silencieuse un petit moment avant de soupirer lourdement.

— Comment sait-on ce qu’un homme éprouve pour nous s’il ne nous le dit pas ?

— Ah les hommes, c’est pourtant facile de lire en eux, d’habitude, non ? Dans ceux qui sont venus ici, tu en as un qui n’a rien dit et tu crois qu’il est amoureux ?

J’hésite à être totalement honnête avec elle, mais il s’agit de Thérèse, ma seule figure maternelle à présent que ma mère n’est plus ici. Je ne vois pas à qui je pourrais parler de tout cela, la solitude me pèse et mes interrogations m’empêchent de dormir. Je suis totalement perdue, j’ai l’impression de m’être fourvoyée. Et si j’avais tout imaginé, finalement ?

— Je le croyais, mais il n’a pas fait sa demande, alors je me dis que j’ai dû mal interpréter son attitude.

— Et quelle est cette attitude qui t’interroge ? Si tu me la décris, je pourrai te donner mon avis. Enfin, si tu le souhaites.

— Je ne sais pas, marmonné-je. Des regards en coin, d’autres plus appuyés, des petits sourires, une certaine considération ? Et puis de la complicité aussi…

— C’est déjà bien, tout ça. Ce sont des signes très encourageants. Mais… avec qui as-tu passé assez de temps pour voir tout ça ? Ne me dis pas que tu penses à Léon ? Tu sais bien que mon fils n’est pas un garçon pour toi !

— Quoi ? Non, ris-je. J’adore ton fils, mais il ne s’agit pas de lui… Disons que… Disons qu’il est possible que passer beaucoup de temps avec Philippe me pousse à m’interroger.

— Philippe ? Mais… c’est ton tuteur ! Et il n’est pas noble, ce n’est pas raisonnable de t’imaginer de telles choses. Enfin… continue-t-elle en réfléchissant visiblement en même temps qu’elle parle, c’est vrai que certains de ses regards… Mais c’est normal, non, vu comme tu es jolie ?

— Cette histoire de noblesse me dépasse totalement, marmonné-je. N’y a-t-il pas plus important qu’un titre ? Et puis, je ne perdrais pas mon titre de vicomtesse en épousant un homme qui n’en a pas.

— Si, il y a plus important que le titre quand on est jeune comme toi. Mais pour Philippe, tu crois qu’il est sincère avec toi ou bien qu’il se dit que ce titre justement, ça pourrait l’intéresser ?

— Je ne pense pas que le titre l’intéresse, puisqu’il me repousse sans cesse, grimacé-je. Je suis totalement perdue, Thérèse… Il semble pourtant sous le charme, du moins je le crois…

— Il te repousse ? Parce que tu lui fais des avances ? Mais c’est le monde à l’envers ! s’exclame-t-elle, surprise, avant d’éclater de rire. En tout cas, il est vraiment bête de te résister. Et très fort aussi parce que tu as beaucoup de charme, ma jolie. Il t’intéresse donc tant que ça ? Il n’est pas trop vieux pour toi ?

— J’ai essayé de lui faire comprendre mon intérêt, ça l’a fait fuir. Je crois que cette question d’âge le gène plus que moi… et que la seule chose qui l’intéresse finalement, c’est mon physique. Sinon, pourquoi me repousser ? Je pensais que nous nous entendions suffisamment bien pour qu’il puisse au moins envisager davantage avec moi, mais il faut croire que je me trompe sur toute la ligne vu comme il me fuit.

— Viens donc près de moi, il faut qu’on parle sérieusement, me dit-elle en prenant un air plus grave. Je crois que tu te trompes. S’il n’y avait que ton physique qui l’intéressait, ce n’est qu’un homme, ça fait longtemps qu’il t’aurait mise dans son lit, recherche de mari ou pas. Là, s’il résiste, c’est qu’il y a autre chose. Tu sais bien que tu as une personnalité et une intelligence qui peuvent rendre fou n’importe quel prétendant !

— Sauf qu’il a connu mes parents, je crois que ça le retient de beaucoup de choses. J’ai conscience d’avoir trop de caractère, j’imagine que les hommes sont plus attirés par les femmes dociles et non celles qui remettent tout en question, mais je n’ai pas l’impression que ce soit son cas…

— Il doit avoir peur du scandale. Tu vois, même moi qui le connais, je l’imaginais déjà à la poursuite de ton titre. Alors les autres, ça sera encore pire. Et tu comptes faire comment avec lui, avec cette situation ? Insister ? Ou tu vas laisser tomber ?

Je lève les yeux au ciel et souffle bruyamment.

— Je ne vais pas insister encore et encore. Je lui ai dit clairement les choses, il sait ce que j’éprouve pour lui… C’est à son tour de se bouger, non ?

— Tu penses que tu lui as dit clairement les choses ! Mais il faut parfois être beaucoup plus claire que ça, crois-en mon expérience ! Si je n’avais pas forcé le destin, mon Augustin serait toujours en train de me couver du regard sans faire un geste ! Et ce n’est pas faute de lui avoir fait des œillades, de lui avoir dit qu’il était beau, séduisant et j’en passe. Même s’il ne faut pas s’abaisser non plus, je crois que si tu veux qu’il se passe quelque chose avec le beau Philippe, il va falloir faire encore un petit effort. Et réfléchir aux conséquences derrière s’il cède à tes avances.

— Et à quelles conséquences dois-je réfléchir au juste ? Je me fiche de ce que peuvent penser les gens, les seuls dont l’avis m’importe dans cette situation ce sont les enfants.

— Eh bien, vu comme ils t’ont adoptée, tu n’as pas trop de soucis à te faire. Tu es vraiment amoureuse, alors ? Ou c’est un gros mot qu’il ne faut pas prononcer ?

Je hausse les épaules en récupérant une pomme que je mords pour ne pas avoir à répondre dans la seconde. Suis-je amoureuse ? Ou simplement attirée ?

— Comment le savoir, Thérèse ?

— Est-ce que ton petit cœur palpite quand tu le vois ? Est-ce que tu as envie de passer tout ton temps avec lui ? Est-ce que tu rêves de lui ? Est-ce que tu te vois partager sa couche ? Et… faire tout ce qui va avec ? Tu sais de quoi je parle ou tu veux que je t’explique ?

— Eh bien, Thérèse ! m’esclaffé-je en rougissant malgré tout. Tu ne passes pas par quatre chemins à ce que je vois… Je ne connais pas tous les détails mais je sais où tu veux en venir… Et la réponse est oui, j’en ai envie et j’ai confiance…

— Oh la la, ma petite Rose est amoureuse ! Quelle surprise ! Mais il va falloir faire attention à tes jolis pétales et ne pas les abîmer. Et je vais mener ma petite enquête pour voir ce que notre Philippe pense de toi. Je ne veux pas qu’il te fasse souffrir !

Je souris à sa remarque et l’enlace affectueusement. J’ai bien conscience qu’il s’agit là d’une marque d’affection rare qui ne devrait pas vraiment avoir lieu entre nous, mais Thérèse est aujourd’hui la seule femme qui a suffisamment connu ma mère pour envisager de lui faire confiance et de prendre conseil auprès d’elle… Comme si elle pourrait avoir les propos que ma mère aurait tenus, le même avis ou au moins un semblant de réflexion similaire.

— Quand bien même me faire souffrir ne serait pas son intention, disons qu’il n’est pas très doué… Sa façon de me maintenir loin de lui n’est pas très agréable.

— Le pauvre, il doit être convaincu qu’il est en train de fauter car ta tante l’a missionné pour te trouver un nobliau de sang pur et qu’il ne l’est pas.

— Mais je me fiche de savoir si c’est un noble ou non, soupiré-je. Le domaine restera dans la famille, qu’il le soit ou non. Tout ce que je veux, c’est pouvoir choisir un homme avec qui je me sens bien, c’est normal, non ?

— Ce n’est pas dans l’ordre des choses mais je te comprends. Et je suis ravie de voir qu’avec lui, tu te sens bien, c’est déjà un bon début. Il faut peut-être le pousser un peu pour qu’il oublie ses grands principes.

J’acquiesce et dépose un baiser sur sa joue avant de quitter les cuisines pour aller me changer. Évidemment, impossible de croiser Philippe, même si je fais un détour par le salon et le jardin d’hiver. J’imagine qu’il passe encore une fois sa journée dans son bureau, qu’il ne quittera que dans l’après-midi pour passer un moment avec ses enfants. Je pourrais me joindre à eux, mais je n’ai pas très envie qu’il soit ronchon en leur présence et par ma faute… Il ne me laisse cependant pas le choix, s’il ne m’accorde pas un peu d’attention, il va falloir que j’aille la quérir, et je suis persuadée que je peux avoir plein d’idées pour l’obtenir.

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