Chapitre 35

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Les charmes offensifs de la vicomtesse

Philippe

Je me demande ce qui me pousse à agir ainsi. Cela ne me ressemble pas. Moi qui ai affronté les armées ennemies sans jamais avoir peur, moi qui me suis battu sans jamais me défausser, voilà que je me transforme en un pleutre qui essaie d’éviter l’adversité. Il faut dire que c’est bien la première fois de ma vie que je me trouve confronté à une telle difficulté. Et qu’est-ce qu’elle est mignonne et pleine de charmes, cette difficulté ! Il semblerait que nous ne soyons pas dans le même état d’esprit. Alors que je fais tout pour l’éviter, elle s’arrange pour multiplier les contacts. Il faut que je fasse preuve d’une malice sans pareille pour éviter de me retrouver en tête-à-tête avec elle. Cela fait en effet quelques jours que Rose essaie de me surprendre et que l’on joue au chat et à la souris. Je crois qu’elle a compris que je la fuyais et qu’elle veut m’interroger à ce sujet. Je n’ai nullement envie de lui expliquer que c’est moi le problème. Je ne suis pas du tout sûr de pouvoir résister encore à l’envie de l’embrasser, de la serrer contre moi et de perdre le peu d’honneur qu’il me reste…

Réfugié dans ma chambre, alors que je pensais avoir réussi à me faire oublier dans cet endroit hors de sa portée, j’ai la surprise de voir entrer la jeune femme qui occupe toutes mes pensées et qui referme la porte derrière elle, un sourire victorieux sur le visage.

— Rose ? Mais que venez-vous faire ici ? demandé-je en essayant de calmer le rythme de mon cœur qui s’est accéléré et de garder ma voix aussi calme et posée que possible. C’est… inconvenant, non ?

— Qui y a-t-il d’inconvenant ? Je mourais d’envie de visiter la chambre qui appartenait à mes parents, quel est le mal ? Si en prime, j’ai la chance de pouvoir enfin passer quelques minutes en tête à tête avec vous, c’est encore mieux !

Son petit air mutin ne me dit rien qui vaille et j’avoue que j’ai du mal à garder mon air sérieux et lointain tellement elle me donne l’impression que je n’ai qu’à demander pour qu’elle vienne prendre place dans mon lit et m’inviter à la rejoindre.

— Je ne suis pas certain qu’un tête-à-tête soit la meilleure des idées, soufflé-je alors qu’elle se positionne derrière ma chaise et que je sens ses mains se poser sur mes épaules.

Je n’ose me retourner de peur de tomber sur ce visage que je n’ai pas besoin de voir pour me souvenir de l’arrondi de ses pommettes, de la douceur de son sourire, de la pureté de son regard. Je frissonne quand je sens ses doigts caresser doucement ma nuque. Comment vais-je faire pour résister ?

— Il n’y a que pour vous que cela semble être un problème, Philippe. Qu’ai-je fait de mal pour mériter votre indifférence ?

Oh si elle savait que ce n’est pas de l’indifférence ! Bien au contraire ! Mais je ne peux pas lui avouer ce que je ressens, sinon on va droit à la perte. Déjà que je suis à la limite de la rupture…

— Rose, murmuré-je. Ne comprenez-vous pas que le problème ne vient pas de vous ? Vous n’avez absolument rien fait de mal, ce sont mes pensées qui ne sont pas pures. C’est de moi que j’essaie de vous protéger… Et vous ne m’aidez pas, je vous assure…

Je me lève et vais me positionner près de la fenêtre, espérant échapper ainsi à sa proximité, mais que ce soient mes gestes ou mes paroles, rien ne semble pouvoir l’empêcher de continuer ce petit jeu. Elle me suit en effet et me tire par la manche pour me forcer à la regarder. Je plonge alors mes yeux dans les siens et y lis un désir qui semble répondre au mien, une résolution que je n’ai jamais vue chez aucune femme. Il n’y a pas à dire, elle a un caractère hors du commun et une personnalité extraordinaire. Lui résister est la plus difficile des batailles que j’aie jamais menées !

— Je pense être suffisamment mature pour pouvoir prendre soin de moi toute seule. Je n’ai pas besoin d’être protégée de quiconque, et encore moins de toi.

Pense à ta mission, Philippe. Pense à ce mariage que tu dois organiser pour elle. Pour sauver son domaine. Pense à l’importance de trouver un noble qui soit à la hauteur de cette femme magnifique. Ne sois pas égoïste ! Oublie ce que tu ressens un instant et retrouve la raison ! Mais pourquoi est-ce si difficile ? Comment ne pas succomber à cette odeur florale qui renforce la tentation qu’elle représente ? Même en m’admonestant mentalement, je perds pied peu à peu. Et en plus, ce tutoiement me donne tellement envie d’oublier tous mes principes !

— Vous êtes si différente des autres femmes, Rose. Je… je suis perdu quand je suis près de vous. Même Napoléon ne me fait pas autant d’effet…

Même cette blague un peu stupide ne permet pas de faire redescendre la température. Elle esquisse un léger sourire mais son regard ne perd rien en intensité. Je vais craquer, je le sais, je n’ai aucune volonté quand je me retrouve en sa présence. Je serre ses mains dans les miennes et ne suis même pas surpris quand elle répond en faisant de même. La distance qui nous sépare diminue et alors que j’entrouvre mes lèvres pour céder à ce besoin que j’ai de l’embrasser, elle rompt subitement le contact et me tourne le dos. Voilà, j’ai trop attendu et j’ai perdu ma chance.

— Rose ? Je… je ne comprends pas ce que vous voulez… Je suis perdu.

— Ce que je veux ? C’est simple, Philippe, et je pensais avoir été claire avec toi. J’aimerais réellement que tu cesses de me prendre pour une enfant et que tu entendes qu’aucun des hommes qui m’a été présenté ne me donne une quelconque envie de l’épouser. Le seul en qui j’ai aujourd’hui confiance, avec qui je pourrais lâcher prise, se trouve derrière moi et je n’ai jamais été une personne très patiente. Alors j’aimerais vraiment que tu te décides et surtout que tu cesses de me fuir, parce que je mérite mieux que cela.

Je crois que je l’ai vexée à tergiverser ainsi. Je m’avance et fais taire mes doutes en me collant dans son dos. Mes mains viennent se poser sur ses hanches et je la sens se tendre d’abord avant de se relâcher totalement et de s’appuyer contre mon torse. Je respire encore plus son parfum qui m’enivre légèrement et je dégage sa nuque avant de caresser doucement son cou et ses épaules.

— Tout n’est pas si simple que ça malheureusement, soufflé-je alors qu’elle penche la tête pour me faciliter l’accès.

— C’est toi qui rends les choses compliquées, soupire-t-elle en se dégageant doucement. Je te laisse, c’est l’heure de mon bain…

C’est peu dire que cette évocation et la façon dont elle me l’annonce ont le mérite d’exacerber mon désir. J’ai envie de la suivre alors qu’elle s’échappe de mon étreinte mais mon attention est attirée par des bruits de sabots sur les pavés de la cour extérieur. Je découvre avec stupeur en regardant à travers la vitre qu’une troupe de soldats vient de débarquer au domaine. Ils ont tous la tenue des grognards de l’Empire et je me demande ce qui les amène ici. Rose n’est pas allée prendre son bain et m’a rejoint à la fenêtre pour observer cette dizaine d’hommes envahir notre espace personnel. J’aurais bien aimé continuer notre conversation, confirmer notre rapprochement, oser enfin la tutoyer, continuer à explorer ce corps que je n’ai fait qu’effleurer, mais tout ça attendra.

— Je vais descendre voir ce que ces soldats nous veulent. Restez là, Rose, je crois que c’est plus prudent.

— Que je reste ici ? Pourquoi donc ? Je te l’ai dit, je n’ai pas besoin qu’on me protège et je ne vois pas pourquoi je serais en danger.

Je hausse les épaules, certain que je ne la ferai pas changer d’avis et lui fais donc signe de me suivre, résigné, jusqu’en bas où Maxence a déjà fait entrer les militaires dans le hall. Je prends le temps de les observer en descendant les marches et constate qu’ils ont l’air fourbu mais pas menaçant. Je reconnais l’officier qui fait un pas vers nous. Il s’agit d’Amédée, un trentenaire blond et opportuniste, qui a su bien choisir son camp et a combattu à mes côtés il y a quelques années alors qu’il n’était qu’un jeune engagé, tout juste sorti de sa campagne bretonne. Nous n’avons jamais vraiment accroché, tous les deux, mais en tant qu’anciens camarades de guerre, je me dois de l’accueillir dignement.

— Amédée, c’est bien toi ? demandé-je en m’avançant pour lui serrer la main. Qu’est-ce qui t’amènes ici, sur ce domaine à l’écart de la capitale ?

Le bougre ne me répond pas car il vient de bloquer sur la jeune femme qui ne me quitte pas d’une semelle. Il bave, presque, et moi, ça m’énerve.

— Amédée, interviens-je, je te présente la vicomtesse de Valois, propriétaire de ce domaine et sous ma responsabilité. Rose, voici Amédée, capitaine dans l’armée de Napoléon, continué-je, obligé de faire les présentations pour ne pas paraître impoli, même si mon ton trahit clairement mon agacement.

— Mais quelle merveille ! J’étais ici pour te voir et te demander l’hospitalité pendant quelques jours, mais je vais peut-être devoir prolonger mon séjour parmi vous afin de découvrir la perle qui se cache dans cet écrin ! Madame la Vicomtesse, enchanté de faire votre connaissance.

— J’espère que le plaisir sera partagé, lui répond Rose en lui tendant solennellement la main. J’imagine que nous n’avons pas vraiment le choix que de nous montrer accueillants ? Sans quoi, sans doute mériterons-nous d’être pendus haut et court comme l’a été mon père au nom de notre cher Napoléon ?

— Nous sommes en mission pour l’Empereur, en effet, répond sèchement le blond qui semble offusqué par le ton pris par Rose.

Personnellement, je m’y suis habitué et je ne relève pas plus que ça. Je dois même dire que j’apprécie la voir aussi rebelle et suis rassuré de constater qu’elle ne semble pas attirée par le soldat qui nous fait face.

— Amédée, nous n’avons pas la place pour que tu t’installes ici avec tes hommes. Je suppose que vous avez dans votre bardas ce qu’il faut pour camper. Le temps est clément, je te propose d’installer vos tentes dans le jardin. Bien entendu, vous pourrez venir prendre vos repas ici et profiter des salles d’eau. Cela vous irait comme ça, Rose ? l’interrogé-je alors que l’intéressé fulmine, clairement en colère de ne pas être mieux accueilli que ça.

— J’imagine que l’on va devoir faire avec, soupire Rose avant de sourire poliment. J’ose espérer que vous traiterez les employés avec respect, messieurs… Mais je ne doute pas que vous ferez en sorte que tout se passe bien, mon cher Amédée.

Mon cher Amédée ? Mais c’est quoi, ce petit mot doux qui le fait sourire en grand malgré le manque d’enthousiasme de la jeune femme. Il tente un sourire qui ressemble plus à une grimace selon moi et répond sans plus m’adresser un regard.

— Mes hommes vont aller s’installer dehors en effet. Quant à moi, je suis sûr que vous trouverez un endroit pour me loger dans cette demeure. Au pire, si vraiment toutes les chambres sont occupées, je suis sûr que Philippe me laissera la sienne. A moins que vous ne m’invitiez à partager la vôtre, ma chère Rose. Je vous ferai ainsi découvrir la grandeur et le talent d’un soldat de l’Empereur. Et je vous préviens, cette organisation est non négociable. Ne m’obligez pas à vous forcer la main, ajoute-t-il, menaçant.

Je ferme le poing, agacé et prêt à en découdre, mais n’ai pas le temps de répondre que Rose intervient de manière cinglante face à la goujaterie de cet homme qui se croit tout permis parce qu’il a la supériorité du nombre et des armes.

— Vos menaces ne me font pas peur, Monsieur, mais croyez-bien que je préfère encore la pendaison à une nuit en votre compagnie…

— Je t’ai dit qu’elle était sous ma responsabilité, Amédée, grondé-je en l’interrompant avant qu’elle ne blasphème contre l’Empereur. Tu touches un seul de ses cheveux et je te préviens que comme à la grande époque, tu ne feras pas le poids contre moi. Je ne le répèterai pas et donc écoute-moi bien : Sache que si toi ou un seul de tes grognards manque de respect à Rose ou à une personne de sa maisonnée, je vous mets dehors et utiliserai tous mes contacts pour que vous soyez envoyés sur le front de l’Est où les premières lignes vous accueilleront avec un grand plaisir. Me suis-je bien fait comprendre ?

Je ne suis pas sûr que ce que je viens de dire soit vrai, ma blessure a tout changé sur les rapports de force qu’il pouvait y avoir entre nous, mais il semblerait que mon ton et la menace que je viens de formuler suffisent à calmer les ardeurs d’Amédée qui me fusille du regard avant de faire un salut militaire rigide et froid.

— Je vais installer mes hommes derrière le château. A mon retour, vous me montrerez ma chambre. Qu’elle soit prête ou je vous assure que c’est dans celle de la vicomtesse que j’irai. Et ce n’est pas une menace, c’est une promesse. Je suis certain que personne ne condamnera un honnête soldat d’avoir fait comprendre à une noble qu’elle a déjà de la chance de ne pas être passée par la guillotine.

Sur ce, il tourne les talons et donne des ordres pour que sa troupe le suive à l’extérieur. Dès qu’il disparaît de notre champ de vision, c’est comme si la tension redescendait. Je me tourne vers Rose qui semble légèrement secouée par la scène qui vient de se dérouler sous ses yeux même si elle le cache bien et qu’elle gère avec un calme assez admirable.

— Je pense qu’il va falloir fermer la porte de la salle d’eau à clé, Rose. Sinon le bain risque d’être perturbé et pas de la manière où je l’imaginais il y a quelques instants encore…

— Je crois que je vais me passer de bain pour aujourd’hui… et j’espère qu’ils partiront vite. Je ne dormirai pas sereinement tant qu’ils seront ici.

— Peut-être qu’il va falloir que je vienne vous border et venir vous protéger, finalement, souris-je en me montrant plus direct que je ne l’ai encore jamais été auprès d’elle.

— Dommage qu’il faille en arriver là pour que tu te décides, mon cher, murmure-t-elle, le sourire aux lèvres.

— Je sais que je peux être lent à la détente, mais je ne suis pas complètement stupide ou insensible à tes charmes non plus. Je… Il semblerait que tes pouvoirs de persuasion et de séduction soient vraiment plus puissants que ce à quoi je m’attendais.

J’ai le plaisir de la voir rougir à ces propos, la sentant moins assurée tout à coup, mais elle me sourit avec grâce et remonte à l’étage avec légèreté. Je l’observe un instant avant de faire signe à Maxence de s’approcher pour lui demander de préparer une des chambres réservées pour les domestiques du domaine, au deuxième étage, le plus loin possible des quartiers de ma protégée. Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer si les soldats n’étaient pas arrivés. C’est incroyable comme Rose arrive à faire sauter aussi facilement toutes les barrières que j’ai tenté d’ériger.

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