Chapitre 36

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Les coqs se défient

Rose

Un soupir passe la barrière de mes lèvres sans aucune discrétion lorsque je constate que le soldat insupportablement lourd et désagréable est installé à table. Je déteste le voir si près de Jeanne, il ne m’inspire aucune confiance même s’il semble être complètement obsédé par ma petite personne…

Philippe a le visage fermé alors que, du peu que j’ai compris, ils se sont côtoyés il y a quelques années. Je crois qu’il est affreusement jaloux et c’est aussi adorable qu’agaçant. Comment peut-il se montrer aussi possessif quand sa plus grande marque d’affection à mon égard a été ce petit moment dans sa chambre, face à la fenêtre ? Un frisson me traverse au souvenir de son souffle et de la pulpe de ses doigts sur la peau fine de mon cou, de ses mains sur mes hanches, de la chaleur de son corps contre mon dos.

Je me retiens d’envoyer promener Amédée qui se lève pour tirer ma chaise, m’installe en le remerciant d’un signe de tête et constate que Thérèse a encore fait un festin. Je déteste ça, ce soi-disant devoir d’accueillir les soldats, de les nourrir alors que je rêve de les mettre à la porte…

— Eh bien, je vous souhaite un bon appétit… A croire que Thérèse souhaite nous remplumer ou nous faire imploser. A moins que vous lui ayez fait nombre de demandes, mon cher Amédée ?

— Je n’ai fait que lui évoquer à quel point je vous trouve jolie et je lui ai demandé de me donner des forces pour enfin réussir à vous séduire et à vous convaincre de m’accorder un droit d’entrée dans votre chambre.

Qu'il est lourd ! Même Jeanne semble se retenir de lever les yeux au ciel et je me retiens de rire. Au moins, elle saura aisément repérer les hommes dans son genre pour les fuir…

— Il vous faudra bien plus que tout ceci pour accéder à ma chambre. Je vous souhaite d’ailleurs bon courage pour trouver ce qui le permettrait, je doute que quoi que ce soit puisse faire l’affaire, lui rétorqué-je poliment.

— Oh je suis sûr que j’ai tout ce qu’il faut où il faut pour vous séduire, jolie Rose. Je vous invite à venir voir sous la table et vous aurez un apéritif du meilleur goût ! ose-t-il me déclarer.

Difficile de ne pas remarquer à quel point Philippe fulmine, prêt à intervenir, mais je m’empresse de répondre pour éviter la déclaration de guerre qui, j’en suis persuadée au vu des derniers jours, menace d’éclater.

— Il y a des enfants à cette table et vos propos sont totalement déplacés. Je doute que votre Empereur apprécierait vous entendre parler de la sorte à une femme, Monsieur. Vous allez devoir envisager une autre stratégie que la goujaterie, je vous assure qu’elle me donne envie de fuir plus qu’autre chose.

— Oh, ne jouez pas à la prude ! Je suis sûr que vous aimez quand on vous parle comme ça. Vous êtes une petite coquine et j’ai bien vu le jeu auquel vous jouez depuis notre arrivée. Vous savez, nous allons bientôt partir, il est temps de passer à l’étape suivante.

— Je suis au regret de vous annoncer que vous partirez sans que vous et moi soyons passés à l’étape suivante, soupiré-je, agacée par son insistance.

— Ah, j’aime une femme avec du caractère et qui sait résister ! Je trouve qu’il n’y a rien de plus attirant qu’une rebelle avec un joli décolleté.

— Non mais ce n’est pas bientôt fini, tout ça ? Elle n’est pas intéressée ! Elle l’a dit et redit ! Ça suffit, Amédée ! s’emporte Philippe qui s’est levé brusquement. On dirait un garçon de ferme qui n’a pas tiré son coup depuis des semaines et qui est prêt à tout pour sortir son engin ! Tu as intérêt à arrêter tout de suite ou je te montre de quel bois je me chauffe, espèce de foutriquet d’officier !

— De quel droit te permets-tu d’insulter un officier au service de l’Empereur ? Tu crois que parce que tu as été blessé pendant la guerre, tu as tous les droits ? Je ne vais pas te laisser me rabaisser comme ça et je demande réparation !

— Réparation ? répète mon tuteur sans comprendre ce que le militaire lui dit.

— Oui, Philippe. Je te provoque en duel. Si tu es autant un homme d’action que de paroles, tu dois l’accepter. J’ai bien compris que tu voulais te réserver la jolie Rose, ici présente. Je vois clair dans ton jeu, tu sais ? Et donc le prix pour le gagnant, bien entendu, c’est l’accès à la chambre de la jolie fleur présente à nos côtés.

— Mais enfin, je ne suis pas un prix ! m’exclamé-je alors que Philippe reprend déjà la parole.

—Voilà que tu salis encore l’honneur de Rose, Forban ! J’accepte ce duel avec plaisir et comme je suis celui qui est provoqué et que j’ai le choix des armes, je choisis le pistolet. Ton heure sera la mienne !

— Eh bien demain, au lever du jour. Et ne t’avise pas de croiser mon chemin avant ça, je risquerais de ne pas avoir la patience d’attendre jusqu’à demain pour te régler ton compte.

Je n’arrive pas à croire ce que j’entends et je crois bien que Marcus et Jeanne sont tout aussi stupéfaits que moi. Viennent-ils de condamner l’un d’eux à mort ? Un duel ? Mais c’est n’importe quoi !

Je me lève à mon tour afin d’attirer l’attention des deux idiots de cette tablée et congédie les enfants qui n’auraient jamais dû assister à cela. Cela a au moins le mérite de calmer Philippe qui les observe quitter la pièce sans grand enthousiasme.

— Ce duel est totalement ridicule, Messieurs ! Se battre pour une femme l’est encore davantage ! Je n’ai pas besoin d’être défendue au prix d’une vie et cela ne changera absolument rien au fait que vous n’aurez jamais mes faveurs, Amédée. C’est inutile d’en venir à cela.

— Vous changerez d’avis lorsque votre amoureux à l’insulte facile ne sera plus de ce monde, ma chère Rose. Je vous l’assure. Vous aurez besoin d’un nouveau protecteur.

— Je crois que c’est l’Empereur qui va avoir besoin de remplacer un de ses officiers, gronde Philippe, visiblement excédé par le grognard qui continue ses provocations contre nous.

Je ne vois pas bien comment mettre un terme à tout cela. Tout ce que je sais, c’est que la peur monte en moi à l’idée que Philippe se batte et qu’il soit blessé, voire pire. Le pistolet ? C’est quand même assez radical.

— Mais enfin, arrêtez ! m’écrié-je en les fusillant l’un après l’autre du regard, sans grand succès. Vous êtes vraiment ridicules ! Philippe, pense aux enfants, enfin ! Et vous, n’avez-vous pas honte de provoquer en duel un ancien camarade qui vous accueille à notre table ?

— Lorsqu’on accueille quelqu’un à sa table, on ne lui manque pas de respect, sinon, c’est la mort assurée, répond Amédée lugubrement.

— Le destin favorisera celui qui est dans son droit, je ne peux me dérober, Rose, j’en suis désolé mais seul le duel pourra mettre fin à cette dispute. Il n’y a pas d’autre issue.

— Très bien. Sachez tous les deux que votre stupidité m’afflige et que je peux me montrer très inventive pour empêcher ce duel. Croyez-moi, je ne vais pas me gêner pour trouver une solution à votre besoin ridicule de savoir qui a le plus gros gourdin autour de cette table ! Et vous rêvez tous les deux si vous pensez que je vais servir de trophée à l’un de vous. Il est hors de question qu’un homme capable d’en tuer un autre pour une raison aussi ridicule me touche.

— Mais Rose…, commence Philippe, l’air désespéré.

— Mais Rose, le coupe Amédée en l’imitant. Ne sois donc pas pathétique. Moi, je suis un réaliste. Celui qui d’entre nous deux l’emporte aura la voie libre pour s’occuper de Rose, il n’y a pas à discuter là dessus.

— Je crois que vous ne comprenez pas, cher Amédée, cinglé-je. Vous ne me toucherez pas. Je préfère encore me noyer dans une mare ou finir comme mon père que de partager quoi que ce soit avec vous. Sur ce, je vous souhaite bon appétit, personnellement je n’ai plus faim et plus aucune envie de vous voir l’un comme l’autre.

Je quitte la salle à manger sans traîner et gagne ma chambre, agacée par ce comportement d’Amédée. Une partie de moi comprend que Philippe n’ait pas le choix, mais il n’en reste pas moins que cette histoire de duel est vraiment nulle. Cet homme n’a peur de rien et surtout il est prêt à tout pour gagner ma couche…

Je m’installe devant ma coiffeuse et dénoue mes cheveux en m’observant dans le miroir. J’ai bien conscience que mon tuteur veut simplement protéger ma vertu, mais étant donné son comportement des derniers jours, je sais aussi qu’il veut plus ou moins marquer son territoire… et je ne saurais dire si cela me plaît ou non.

Toujours est-il que plus je réfléchis à cette histoire de duel et plus ma peur augmente. Je n’ai aucune envie que Philippe s’implique là-dedans, je ne veux pas que Jeanne et Marcus se retrouvent sans père et je ne suis pas prête à le perdre non plus, quand bien même il me repousse, quand bien même il cherche à me convaincre que lui et moi ne pouvons pas être ensemble. Avec la présence de l’armée, difficile pour moi de me rapprocher davantage encore de lui, notre situation stagne et mon vingt-et-unième anniversaire approche. Si je ne souhaitais à la base pas me marier et faire traîner les choses, il est possible que mes envies soient remises en question… Encore faut-il que Philippe survive… Même si j’ose imaginer qu’il a choisi le pistolet pour une bonne raison, je ne peux m’empêcher d’avoir peur qu’il ne s’en sorte pas. Je sens que la fin de journée et la nuit vont être longues et j’espère sincèrement que ses enfants ne seront pas privés de leur père par ma faute.

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