Chapitre 41

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Rien à déclarer ?

Philippe

“Ridicule”, “mort de peur”, “fuir”… Ces mots tournent et retournent dans ma tête de manière incessante. Les seuls moments où je les oublie, c’est quand je repense à la sensation des lèvres de Rose sur les miennes et au désir que j’ai ressenti pour elle à ce moment-là. Quel contraste entre cette joie de la sentir s’ouvrir à moi et ce départ rapide ponctué de ces mots qui ne quittent pas mon esprit. J’ai l’impression de ne pas être à la hauteur et de réussir à la faire fuir à chaque fois qu’elle fait un pas vers moi. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Je n’arrive pas à lâcher la bride, à faire comme si c’était normal et naturel de tomber amoureux de la jeune femme à qui je suis sensé trouver un mari. Rose ne semble pas avoir ces soucis, elle, et je l’admire encore plus pour ça. Elle a cette capacité que je n’ai pas de suivre son propre chemin, de faire ce dont elle a envie. Quelle femme !

Je suis toujours dans le jardin d’hiver et je tourne en rond, sans même m’en rendre compte. J’ai vraiment l’impression d’avoir tout gâché avec Rose. Parce que clairement, j’ai envie de vivre quelque chose avec elle et que c’est réciproque. Mais là, je suis tout seul dans cet espace végétal et elle… Qui sait où elle est partie ? S’enfermer dans sa chambre ? Dans le parc ?

— Père ! Père ! Venez vite !

Affolé, je me demande ce qu’il se passe alors que Jeanne vient me rejoindre en courant. Depuis l’épisode avec Edouard de Quincampoix, je n’ai aucune idée de ce qu’elle a pu faire avec son frère. Ils me sont sortis de l’esprit, pensé-je de manière un peu coupable, et il est arrivé un malheur.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Où est votre frère ?

— Il faut venir, Père, vite ! Suivez-moi !

Et déjà, elle court vers l’intérieur du château sans attendre ma réponse. Inquiet, je m’élance derrière elle aussi vite que ma jambe blessée me le permet. Lorsque je la rejoins au milieu du hall, je suis surpris de voir mon fils courir dans le sens opposé, suivi de Rose qui semble vraiment aussi affolée que moi. Mais qu’est-ce qu’il se passe ?

— Viens, on les laisse !

Ma fille se saisit de la main de son frère et ils filent vers l’escalier qu’ils gravissent sous nos yeux stupéfaits avant de disparaître au premier étage.

— Tu vas bien ? finis-je par dire à Rose qui s’est avancée vers moi. Je crois que mes deux petits diablotins souhaitent que nous n’en restions pas à l’échange que nous avons eu dans la serre.

— Je n’ai plus rien à ajouter, pour ma part, alors ils se contenteront de cela, soupire Rose en jetant un regard en haut des escaliers.

— Peut-être que moi, j’ai encore des choses à dire ? affirmé-je en me tournant vers elle, avant de prendre ses mains dans les miennes. Est-ce que tu acceptes de m’écouter ?

Je ne sais pas vraiment ce que je veux lui dire mais ce dont je suis certain, c’est que je ne peux pas la laisser fuir à nouveau.

— Si c’est pour me dire que tu as pensé au Vicomte je-ne-sais-quoi ou au Marquis de je-ne-sais-où pour mon prétendant suivant, je ne suis pas disposée à l’entendre pour le moment, alors si tu pouvais avoir l’obligeance de remettre cette conversation à plus tard, je t’en remercierais grandement.

— Non, du tout, m’empressé-je de lui répondre. Si tu veux tout savoir, j’ai pensé à tes lèvres sur les miennes et à tout ce que j’ai ressenti quand tu es venue dans mes bras. C’était… tellement fort… Et puis, pour être honnête, j’ai aussi réfléchi à ce dont tu m’as accusé. Oui, je suis ridicule, oui j’ai peur devant une femme… mais tu n’es pas n’importe quelle femme, Rose. Tu es…

Je n’ose pas continuer, une nouvelle fois pris par une peur irrationnelle qu’il est déjà trop tard et que je vais encore baisser dans son estime à insister ainsi. C’est incroyable comme elle me fait perdre toute assurance.

— Je suis ? Casse-pieds ? Irréfléchie ? Agaçante ? Imprévisible ? Irrévérencieuse ? Capricieuse ? Dis-moi donc, Philippe, j’ai bien conscience que beaucoup de mots peuvent me qualifier et qu’ils ne sont pas tous très positifs.

— Au contraire ! lancé-je sans même réfléchir. Je ne vois que du positif chez toi. Je te trouve belle, charmante, pleine de caractère et dotée d’une force spirituelle incroyable. Je crois n’avoir jamais rencontré une femme comme toi, aussi pleine d’énergie et de vitalité. Tu es superbe, intelligente, séduisante… et clairement hors de ma portée, c’est ça qui me désespère.

— Je pensais te remercier pour tous ces compliments, souffle-t-elle avec un timide sourire, mais la fin de ta phrase me laisse grandement perplexe…

Et voilà, je suis encore en train de perdre mes moyens et de ne pas réussir à faire ce qu’il faut, à dire ce que je pense vraiment.

— Tu pensais vraiment ce que tu m’as dit tout à l’heure ? Que tu te moques de mon absence de titre ? Que je pourrais faire un bon mari pour toi ? Je… je crois que je t’apprécie trop pour risquer de te perdre et que ça me rend gauche et maladroit. Mais je t’assure que ce que je ressens pour toi n’a pas d’égal. Tu es… une féérie devenue réalité.

— Crois-moi, tu l’aurais compris si je n’étais pas sincère tout à l’heure. Ce n’est pas mon genre de mentir et, contrairement à toi, je ne me voile pas la face. Je ne te demande pas de m’épouser aux premières lueurs du jour demain, juste… de l’envisager ? D’y réfléchir sérieusement.

Ses yeux sont brillants et je me demande ce que j’ai fait pour mériter l’attention d’une telle femme. J’essaie de comprendre les mots qu’elle vient de prononcer mais mon regard est attiré par le sien, ma bouche semble aimantée vers la sienne et je me penche sans plus réfléchir pour profiter à nouveau de ce baiser qui me tente tant. Elle ne résiste pas et je profite encore davantage que la première fois des sensations qui me parcourent. J’oublie toute timidité ou tout doute et referme mes bras autour d’elle pour la serrer contre mon corps. Elle gémit légèrement lorsque je resserre mon étreinte et que ma langue s’insère entre ses lèvres pour venir jouer avec la sienne. J’ai l’impression qu’elle s’abandonne totalement à mon assaut et sans plus aucune retenue, je l’embrasse avec fougue. Elle noue ses bras derrière mon cou et tout son corps vient se lover contre le mien. Je ne veux surtout pas briser la magie de ce moment et continue à partager cet instant hors du temps avec elle jusqu’à ce que finalement, elle me repousse gentiment sans toutefois s’écarter de moi. Mes mains toujours posées sur ses hanches, ses bras toujours autour de ma nuque, nous nous regardons, le souffle un peu court.

— Est-ce que ceci te suffit pour te convaincre que je fais plus que l’envisager ? demandé-je après quelques instants. Je crois que je suis prêt à t’épouser aux premières lueurs du jour, si vraiment c’est ce qu’il faut faire pour te retenir et ne plus te laisser t’éloigner de moi. Je suis désolé, Rose, je ne suis pas forcément comme Louis, un séducteur capable de tout pour obtenir les faveurs d’une dame. Je ne suis qu’un honnête homme qui doute et ne sait pas comment faire pour lâcher prise. Je sais par contre que tu es la première femme à me faire tant rêver d’un futur meilleur et plein d’amour.

— Si j’avais voulu d’un séducteur, je me serais tournée vers ton ami… Et je ne me suis jamais éloignée, c’est toi qui n’as eu de cesse de me repousser. En a-t-on terminé avec ce jeu du chat et de la souris ? Parce que j’ai peur de ne plus pouvoir me passer de tes lèvres, termine-t-elle dans un chuchotement mutin.

— Il va nous falloir trouver de nouveaux jeux, alors, déclaré-je avec plus d’assurance que jamais auparavant, suite à sa déclaration. Mais je suis sûr qu’ils te plairont davantage. Et… pour moi aussi, c’est impossible de me passer de ces baisers. Quand on a goûté au Paradis, comment se contenter de moins ?

— Alors, que faisons-nous à présent ? me questionne-t-elle à nouveau.

Voilà la question que je n’ai pas osé poser jusqu’à présent, mais fidèle à son habitude, elle met les pieds dans le plat. J’ai agi sans trop réfléchir, depuis que les enfants ont manigancé pour nous réunir, mais la réalité est de retour.

— Tu sais ce que j’ai envie de te répondre et qui risque de te surprendre ? J’ai envie de dire que j’ai trop attendu et qu’il est temps de profiter un peu de la situation, non ? Et pour la suite, on verra après… Quoique…

Je prends un air mystérieux et la regarde en souriant, m’étonnant toujours que cette femme parfaite puisse être intéressée par moi. Je n’arrête pas de me le dire, mais elle est magnifique, rayonnante et sa proximité est une ivresse qui me fait tourner la tête.

— Je ne suis pas sûre de bien comprendre, mais quelque chose me dit que tu vas éclairer ma lanterne, cher tuteur aux douces lèvres.

— Eh bien, si je veux respecter les bonnes manières, il y a une chose qu’il me faut faire, même si ce ne sont pas vraiment les conditions idéales.

Sans plus hésiter, je pose un genou à terre et prends sa main dans la mienne. Son regard surpris se fixe au mien et j’ai le sentiment que nous sommes seuls au monde, qu’il n’y a plus rien d’autre qu’elle et moi. C’est magique, presque irréel.

— Rose, Vicomtesse de Valois, acceptez-vous de m’épouser ? Je ne suis qu’un humble serviteur de ce domaine, mais j’ai l’outrecuidance de penser que tu ne vas pas refuser cette proposition que je te fais du fond de mon cœur.

— L’outre-quoi ? intervient la petite voix de mon fils que je découvre, avec Jeanne, assis en haut du grand escalier.

— On s’en fiche, dis oui, Rose ! s’écrie mon aînée en frappant dans ses mains, un grand sourire aux lèvres.

— Je crois que nous avons un public impatient, glousse Rose alors que ses beaux yeux noisette s’embuent. Es-tu vraiment sûr de toi ? Je ne suis pas facile à vivre, tu te souviens ?

— Tu ne veux pas tout simplement me rassurer et accepter ? demandé-je, ma voix vibrant plus que je ne le souhaiterais. Bien sûr que je suis certain de le vouloir !

— Lève-toi, bon sang, je ne voudrais pas que tu souffres pour une demande en mariage que j’accepte évidemment. Comment refuser ?

Je n’ai pas le temps de réaliser ce qu’il se passe que j’entends les cris de joie de Marcus et Jeanne en haut des escaliers. Alors qu’ils dévalent les marches pour nous rejoindre, je me redresse et Rose me saute dans les bras, naturelle et spontanée comme elle l’est toujours, et nous nous embrassons à nouveau en nous serrant l’un contre l’autre. Nous ne sommes obligés de nous éloigner que lorsque mes deux enfants viennent se glisser entre nous et nous nous retrouvons dans une étreinte à quatre qui me fait un bien fou. Je n’arrive toujours pas à réaliser ce qu’il vient de se passer, ce vers quoi nous nous dirigeons. Tout ce que je sais, c’est que je suis heureux et que tout le monde autour de moi l’est aussi.

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