Chapitre 48

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Veut-elle vraiment savoir ?

Rose

J’applaudis Marcus qui s’acharne à nous faire un tour de magie plutôt que de terminer son petit déjeuner. Il ne sera assurément pas magicien, mais il a au moins le mérite de nous divertir et de nous faire oublier durant quelques secondes que ma tante doit arriver aujourd’hui.

Philippe semble au bout de sa vie. Sa jambe tressaute sous la table, il a à peine fermé l'œil cette nuit, je l’ai senti se tourner et retourner dans le lit encore et encore. Si je suis également un peu à fleur de peau, j’ai l’impression d’être malgré tout plus sereine que lui. Que craint-il au juste ? Que ma tante s’oppose à ce mariage ? Elle n’a pas vraiment son mot à dire puisqu’elle m’a confiée à lui il y a de cela des mois. Et s’il a peur que je change d’avis, influencée par elle, c’est qu’il me connait vraiment mal.

— Ta serviette est par terre, c’est ridicule comme tour, marmonne Jeanne, récoltant un regard tueur de son frère.

— N’importe quoi ! s’agace le petit. Laisse-moi tranquille, tu n’es pas drôle !

— Au moins, je ne suis pas ridicule, contrairement à toi.

Philippe est tellement perdu dans ses pensées qu’il n’intervient même pas alors que le ton monte entre les deux. Louis se moque un peu d’eux et les calme lorsque Jeanne attaque derechef, leur rappelant l’importance de se soutenir entre frère et sœur. Jeanne et Marcus sont vraiment touchants, attachants. Ils ont beau passer leur temps à se chamailler, il y a un fort lien entre eux, sans doute renforcé par la perte de leur mère.

Aimée vient chercher les enfants pour leur matinée d’études et je me retrouve finalement en tête à tête avec Philippe après que Louis décrète avoir besoin d’air, l’ambiance étant trop pesante dans la salle à manger selon lui.

— Ma tante te fait-elle peur à ce point ? souris-je en rapprochant ma chaise de la sienne. Tu sembles plus préoccupé que la veille de ton duel…

— Je n’ai pas peur, me répond-il sans y croire lui-même. Enfin, si, un peu, j’avoue. Je crains de ne pas être à la hauteur et de voir ta tante tout mettre en oeuvre pour empêcher notre mariage.

— Alors il est heureux que nous soyons les seuls décideurs de ce mariage, non ? Enfin… officiellement, il paraît que tu es celui qui doit me marier.

— Mais si elle ne veut pas, cela va rendre les choses très difficiles. Tu imagines trouver un prêtre si elle l’interdit ?

— J’imagine toujours qu’elle n’a pas vraiment son mot à dire. Concrètement, si elle ne veut pas assister à ce mariage, tant pis pour elle. Nous irons nous marier à la capitale ou… peu importe où. J’ai du mal à croire ce que je vais dire mais bon, peu importe tant que nous finissons mariés, non ?

— Oui, tu as raison. On trouvera le moyen de passer outre si elle fait des siennes. Et puis, peut-être qu’elle va penser que c’est la meilleure idée possible ? Un miracle, ça peut arriver, il faut y croire.

Je hausse les épaules, mi-amusée, mi-perplexe. Je doute que tante Marie soit vraiment intéressée quant à savoir qui je vais épouser. Après tout, elle me parlait de confort, de finir avec un vieux pour être veuve rapidement… Tout ce qu’elle souhaitait, c’est que je ne perde pas le domaine.

— Nous n’avons que faire de ma tante, elle s’y fera et nous ferons front commun, murmuré-je en posant mes lèvres sur les siennes.

Philippe m’attire contre lui en approfondissant notre baiser et c’est un raclement de gorge qui nous sépare. Je pouffe en voyant que le mari de Thérèse a détourné le regard, mais me calme rapidement lorsqu’il annonce que ma tante arrive…

Tout se passe très vite à partir de là. Notre table est débarrassée sans que nous ayons terminé notre repas, nous rejoignons l’entrée pour attendre Marie et le silence devient oppressant entre nous, comme si chacun avait besoin de se créer une bulle pour supporter ce qui ne tardera pas à arriver, à savoir une tante absolument pas d’accord avec cette union et qui nous le fera savoir.

— Tante Marie ! J’espère que vous avez fait bon voyage.

Je l’accueille avec le plus d’engouement possible avant de saluer ma cousine à son tour. Philippe se targue d’un baise-main et je n’ose même plus le regarder de peur que ma tante nous prenne sur le fait à peine arrivée. Je crois d’ailleurs qu’il en est de même le concernant, puisqu’il tend son bras à Marie et l’accompagne au salon où Thérèse a préparé quelques douceurs et des boissons chaudes. Léonie s’installe dans un fauteuil près du piano et sort son livre comme si nous n’existions pas tandis que je m’installe aux côtés de Philippe, à bonne distance.

— Vous avez donc une bonne nouvelle à m’annoncer, si j’ai bien compris, attaque-t-elle d’entrée de jeu. Mais où est cet homme qui a su convaincre ma nièce de l’épouser ? J’espère quand même qu’il n’est pas trop laid.

— Tout ce que je peux vous dire, c’est “mission accomplie” et ce ne fut pas une mince affaire, lui répond Philippe qui regarde le cadran de l’horloge comme s’il allait y trouver toutes les réponses aux questions de ma tante.

— Il est très beau, annoncé-je, et plus que cela. C’est un homme intéressant et respectueux. N’est-ce pas, Philippe ?

— Oui, oui, très respectueux, bégaie-t-il avant de se reprendre. Il fera un bon mari, je m’en porte garant.

— Il a des titres au moins ? Et quand est-ce que je le verrai ? Pourquoi n’est-il pas présent ? Vous ne l’avez pas prévenu de mon arrivée ? C’est étrange, tout ça.

— Il est au courant, oui. Et il n’est pas loin, répond mon fiancé sans toutefois oser aller plus loin alors qu’elle le regarde, perplexe.

— Eh bien, allons le voir. Il doit vraiment être difforme ou sans intérêt pour que vous le cachiez comme ça. Et pas de titre, je suppose ?

Un titre ? Non, mais il semblerait que mon promis n’ait surtout pas le courage de se présenter comme tel. Cela a le don de m’agacer, tout autant que Marie et son blabla ridicule. Peut-être que mon fiancé n’a tout simplement pas envie de lui parler ? Ce serait compréhensible étant donné son discours.

— Vous savez bien que nous n’avons pas les mêmes priorités, ma tante. Un esprit me semble plus attirant qu’un titre.

— L’esprit s’en va avec la vieillesse alors que les titres restent. Il faut voir plus loin que le bout de votre nez, ma petite. Bon, Philippe, vous m’emmenez où pour rencontrer ce prétendant ? A ce rythme-là, je vais croire que vous n’avez pas envie que je le voie ! Je vous préviens, s’il ne me convient pas, je le lui ferai comprendre à ma façon ! Charge à vous de trouver quelqu’un dans les quelques semaines qui restent avant l’anniversaire de Rose ! Me comprenez-vous bien ?

— Je vous entends, oui, répond-il, visiblement agacé. Mais vu votre énervement, je crois qu’il serait mieux d’attendre quelques heures. Ou même quelques jours, tiens.

Je soupire lourdement et les regarde tous les deux tour à tour. Je n’arrive pas à discerner lequel des deux m’énerve le plus à cet instant, mais s’ils pensent que je vais me taire et courber l’échine, ils ont oublié que j’étais présente dans la pièce.

— Ma tante, que mon futur époux vous convienne ou pas me passe largement au-dessus et ne changera strictement rien à notre choix. Vous m’avez confiée à Philippe pour qu’il me trouve un époux ? Vous avez perdu tout droit de décision. Quant à vous, Monsieur Maynard… soupiré-je en me tournant dans sa direction pour le défier du regard.

L’un de ses sourcils se lève et mon sourire s’étire quand je comprends qu’il saisit ce que je veux dire. Philippe sait que je ne me dégonflerai pas, contrairement à lui, apparemment. Je glisse une main sur sa nuque et me dresse jusqu’à poser ma bouche sur la sienne. Rien ne vaut les actes, semble-t-il, et je ne me gêne pas pour appuyer mon baiser alors que mon futur époux reste totalement stoïque.

— Voilà, vous savez tout, ma tante, souris-je en me réinstallant confortablement, sous son regard outré.

— Comment ça, je sais tout ? C’était quoi, ce… cet acte insensé ? Léonie, dites-moi que je suis en train de faire un cauchemar ! C’était… abject, non ? Monsieur Meynard, vous vous laissez agresser comme ça, sans résistance ? Ou alors… Je ne vous croyais pas si vénal et si fourbe, assène-t-elle en le fusillant du regard. Je vous préviens, si vraiment vous comptez épouser ma nièce, ça va finir en boucherie ! Pire qu’à une bataille de votre Empereur, je vous le promets !

— Quelle indélicatesse, tante Marie ! Je n’ose croire avoir entendu sortir ces mots de votre bouche, lui lancé-je théâtralement. Je n’agresse pas cet homme, enfin ! Nous nous aimons !

— Je crois que ta tante ne sait pas ce que c’est, l’Amour. Vu sa tête, elle n’a jamais expérimenté ce que nous sommes en train de vivre, Rose.

La réaction de ma tante a au moins le mérite de faire réagir Philippe qui se redresse sur le divan et semble prendre une autre dimension à mes côtés. Physiquement, il est à nouveau présent alors qu’il donnait jusque-là l’impression de s’enfoncer dans le tissu.

— Madame, reprend-il, j’aurais souhaité vous en informer dans d’autres conditions, je voulais réfléchir à une façon respectueuse de vous prévenir mais apparemment, ce ne sera pas le cas. Votre insistance va être récompensée car oui, je vous le confirme, ce sera moi qui vais épouser Rose, que vous le vouliez ou non. Vous m’avez donné une mission, je l’ai accomplie. Loin de toute perversion, de toute fourberie et sans vénalité aucune, je vous le dis en toute sincérité : je suis amoureux de Rose et, je le répète pour que vous compreniez bien, je vais l’épouser. Alors, que la bataille commence et on verra bien si ça se termine en boucherie.

Ma tante semble tendue de part en part, son visage est rougi par l’énervement, ses yeux brillants de surprise et je me demande si elle ne risque pas la syncope tandis que sa fille rit silencieusement sans s’impliquer dans l’échange qui pourrait bien déraper davantage. Finalement, son regard froid alterne entre Philippe et moi avant qu’elle ne se lève, vacillant quelques secondes sur ses pieds comme si elle jouait la comédie, puis elle lève le menton avec défi.

— Le voyage a été long, je vais monter me reposer. Nous rediscuterons de tout cela plus tard. Rose, Philippe.

Elle quitte la pièce sans oublier d’interpeller sa fille pour qu’elle la suive, et Philippe lâche un lourd soupir alors que je me lève à mon tour.

— Je vais prendre l’air en attendant qu’elle digère la nouvelle… Tu m’accompagnes ?

La réaction de ma tante est excessive et décevante. Ne souhaitait-elle pas que je me marie avant mes vingt-et-un ans ? Elle va avoir ce qu’elle voulait, pourquoi en faire tout un plat ? Sans parler de son attitude théâtrale qui nous oblige à rester à sa disposition. Au moins elle obtient ce qu’elle souhaite, nous nous occupons beaucoup trop d’elle et de son avis.

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