Chapitre 49

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Le fiancé impulsif

Philippe

Au moins, on est fixés. Moi qui avais encore un mince espoir avant l’arrivée de Marie, je sais désormais qu’elle va tout faire pour m’empêcher d’épouser Rose. Et pourtant, j’ai pris des pincettes, j’ai essayé de la préserver mais ça n’a servi à rien. Dès qu’elle a vu ma fiancée m’embrasser, elle s’est énervée. Il faut dire que c’était un peu de la provocation, ce baiser. Comme toujours, cela m’a surpris, je crois que je ne m’habituerai jamais au côté direct et imprévisible de ma future compagne, mais en même temps, cela m’a bien plu. Cela m’a juste donné envie de lui faire plaisir et de me montrer sous mon vrai jour face à sa tante. Et alors que nous sommes en train de marcher au soleil, main dans la main, devant le château, je lui souris, ravi de voir que cette discussion avec sa tante n’a pas l’air de la perturber plus que ça.

— Tu crois qu’elle va abandonner comme ça ? lui demandé-je après lui avoir volé un baiser.

— J’en doute, ma tante est particulièrement têtue, mais cela n’a pas grande importance.

— Pas grande importance ? Tu trouves ? Elle va tout faire pour nous mettre des bâtons dans les roues, non ? Heureusement qu’elle a signé les documents pour te confier à moi, sinon, on n’y arriverait pas du tout. Je crois que je vais t’obliger à m’épouser, belle Rose. Tu ne vas pas avoir le choix, m’amusé-je à dire. Prête à te soumettre à cette marque d’autorité ?

— Je crois que je vais fuir avec le palefrenier au beau milieu de la nuit si tu joues à cela. Crois-moi, si je t’épouse c’est que je l’aurai voulu, cher tuteur.

— Ce ne serait même pas pour faire plaisir à ton tuteur, alors ? Pourtant, lui, ne pense qu’à ce plaisir !

J’aime la voir légèrement rosir alors que j’évoque cette question de plaisir. La tentation est là, tout le temps, mais pour l’instant, nous résistons. Ce n’est pas facile au quotidien, j’avoue, mais qu’est-ce que c’est plaisant… et frustrant !

— J’ai bien peur d’être trop égoïste pour cela. Je crois être incapable de me soumettre volontairement à qui que ce soit. J’aime bien trop vous tenir tête, Monsieur, me lance-t-elle en souriant, mutine.

Une nouvelle fois, sa façon de s’adresser à moi me rend fou. Fou de désir, fou d’impatience, fou d’amour et fou de frustration. Je l’imagine trop s’opposer à moi et la contraindre à se soumettre à mes désirs les plus insensés.

— Ecoute, Rose, je vais retourner voir ta tante. Je ne peux pas la laisser croire qu’elle a gagné et je m’en vais lui dire que c’est moi qui décide, te concernant, désormais. Il faut que je lui parle et tant pis si elle croit que je te force la main, c’est vrai de toute façon, quoi que tu puisses dire !

— Et en quoi est-ce vrai, au juste ?

— Eh bien, je décide que ton époux, ce sera moi. Tu n’as pas ton mot à dire, affirmé-je en souriant. Tu vois, je suis un monstre d’autoritarisme ! On dirait Napoléon lui-même, non ?

— Si tu étais Napoléon, je ne te rejoindrais pas dans ton lit chaque nuit, mon cher. Et je fuirais avant le mariage. Contente-toi d’être simplement Philippe, tu veux ? Je préfère.

— Oui, oui, je rigolais. Bon, j’y vais. Cela ne sert à rien de remettre à plus tard.

— Ah, tu ne joues pas au dégonflé, cette fois ? se moque-t-elle en lissant ma chemise avant de déposer un baiser sur ma joue.

— Je vais prendre exemple sur Napoléon au moins pour ça. Lui affronte ses ennemis sans se poser de questions. Et puis, si ça me permet de faire de toi ma femme, je suis prêt à tout, tu sais ? Je me moque de la choquer ou de l’énerver, désormais. J’ai essayé la manière douce, je passe à présent la vitesse supérieure.. Tu m’attends au jardin d’hiver ?

— Oui, je t’y attends… Bon courage, reviens-moi entier.

Je l’embrasse une nouvelle fois avec passion et la serre contre moi, autant pour me donner du courage que parce que j’adore la sentir à la fois si frêle et si fragile mais avec une force incroyable. Et quelle sensualité lorsqu’elle se love contre moi comme ça. Comment lui résister ? Impossible. Et donc, je cours, je fonce, je vole vers le bureau où Maxence m’a indiqué que Marie s’est retirée. Je devrais me formaliser qu’elle s’incruste ainsi dans mon espace mais là, ce n’est pas ma priorité, non, ma priorité, c’est le mariage et j’ai à peine refermé la porte derrière moi que je l’attaque directement.

— Vous savez que vous ne pouvez pas m’empêcher d’épouser Rose, j’espère ? l’interrogé-je en m’approchant d’elle alors qu’elle est en train d’étudier les comptes du domaine. Et comme vous pouvez le voir, elle est entre de bonnes mains.

— Je peine à croire que vous ayez décidé de cela pour les bonnes raisons. Que visez-vous au juste, Philippe ?

Les bonnes raisons ? Mais qu’est-ce qu’elle veut dire par là ? L’amour, ce n’est pas une bonne raison ?

— Je veux que Rose soit heureuse, c’est si compliqué que ça à comprendre ? Que pensez-vous que je cherche en l’épousant ? Me rapprocher de vous ? la provoqué-je, un sourire aux lèvres. Ce n’est pas le cas, désolé de vous décevoir, chère Marie.

— Récupérer le domaine ? L’argent qui revient à Rose ? Je vois que vous gérez plutôt bien ici, alors profiter d’une jolie femme et vous offrir ce que vous n’avez jamais eu, à savoir un chez-vous et un titre, semble attrayant.

— Vous ne pouvez pas vraiment croire ce genre de choses ? Vous n’avez pas vu la façon dont nous nous regardons ? Vous n’avez pas fait attention à cet élan qui nous pousse irrésistiblement l’un vers l’autre ? Plutôt que de parler chiffres et chiffons, parlons donc de la date du mariage ! Nous sommes impatients, elle et moi, de concrétiser notre amour !

— Oh je vous en prie, Philippe, ne me prenez pas pour une idiote non plus. Vous jouez sans doute très bien la comédie et Rose est tombée dans le piège, mais je ne suis pas une jeune écervelée. Rose et vous n’avez rien en commun et elle est bien naïve d’imaginer qu’outre sa beauté, elle puisse réellement vous plaire.

Son ton est sec et péremptoire, et je reste un instant interloqué devant tant d’assurance. Qui est-elle pour me juger ainsi ? Comment peut-elle se permettre de croire que je ne suis qu’un être vénal et intéressé ? Encore un peu et elle ternirait la pureté des sentiments que j’éprouve pour Rose. Qu’est-ce que cela m’énerve !

— Je crois que je vais finir par vous prendre pour une idiote vu les inepties que vous me sortez ! m’emporté-je. Non seulement Rose me plaît, mais je peux vous assurer qu’il n’y a jamais eu une telle flamme, même avec ma regrettée épouse. C’est la première fois que je découvre ce que veut vraiment dire le verbe aimer et que je le conjugue avec le mot passion !

— Rien que cela ! s’esclaffe-t-elle, moqueuse. La passion est-elle allée si loin que vous n’avez d’autre choix que de l’épouser après l’avoir salie ?

— Mais, je ne l’ai pas salie, voyons ! Je la respecte trop pour ça ! Et justement, j’en ai marre de me retenir et de rester frustré de ne pas pouvoir concrétiser ce feu qui nous consume. Je suis venu vous voir non pas pour vous demander votre avis mais pour parler du mariage. C’est ça, la seule chose qui m’importe. J’aime Rose, elle m’aime et nous allons officialiser cette union, que ça vous plaise ou non. Et comme je l’ai dit, même si j’aurais aimé pour Rose que vous lui accordiez votre bénédiction, nous allons nous en passer. J’espère que vous n’allez pas rentrer immédiatement en Angleterre car dès la semaine prochaine, nous allons passer devant le prêtre. Ou l’officier d’état civil si vos relations nous empêchent de convaincre un curé de nous marier. Et dans ma grande bonté, je vous invite à y participer. Peut-être que ça vous ouvrira les yeux sur cette idylle que je connais avec votre nièce !

— La semaine prochaine ? Mais vous êtes fous ! Il est hors de question que vous épousiez Rose aussi rapidement, je refuse de vous laisser faire tant que je ne serai pas certaine de vos intentions.

— Eh bien, ma chère Marie, j’entends votre refus, mais j’ai le regret de vous informer que ma décision est prise et que vous ne pourrez pas la changer. Je m’en vais en avertir immédiatement Rose qui sera ravie de voir que les choses avancent. Mes intentions sont honnêtes, je vous l’assure. Et si vous en doutez, ne prenez pas la peine de venir à la cérémonie, je veux que ce mariage soit parfait et il le sera. Les mauvaises langues comme vous ne sont pas les bienvenues.

Elle semble vraiment sous le choc, à la fois de l’annonce que je lui ai faite et du vocabulaire que j’emploie. Mais je m’en moque. Maintenant que j’ai pris ma décision, rien ne m’en fera changer. Je fais un petit salut qui est reçu avec une grimace et je me retourne sans un mot de plus, bien décidé à mettre à exécution cette décision que je viens de prendre et qui va réjouir Rose que je retrouve dans la serre, en compagnie de Jeanne et son frère à qui elle semble expliquer les différences entre les plantes qui se trouvent devant leurs yeux.

— Les enfants ! Rose ! J’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! commencé-je en réalisant à peine ce que je viens de lancer.

— Tante Marie est repartie ? m’interroge Rose.

— Thérèse a fait un gâteau au chocolat ? demande mon fils dans le même temps.

Je souris, amusé de leurs réponses avant de venir m’asseoir près de Rose qui me fait une petite place sur le banc où elle est installée.

— Non, mieux que ça ! Tu vas être contente, Rose, mais j’ai décidé que le mariage aurait lieu samedi prochain ! Que ta tante soit d’accord ou pas, rien ne nous empêchera d’être heureux !

— Samedi prochain ? C’est une plaisanterie, rassure-moi ?

Je suis surpris de sa réaction, surtout qu’elle a l’air de s’être tendue d’un seul coup à mes côtés. Cela ne lui fait pas plaisir ?

— Non, non, je t’assure, samedi, toi et moi, ce sera officiel ! C’est une bonne chose, les enfants, non ?

— Oh oui ! s’extasie Jeanne alors que Rose se lève en soupirant lourdement.

— Nous devions définir une date à deux, pourquoi as-tu choisi sans moi ?

J’offre un petit sourire aux enfants et saisis ma fiancée par le bras dans le but de nous éloigner un peu des deux petits pour échanger librement avec elle. Rose se dégage cependant et ne bouge pas.

— Je croyais que tu serais contente qu’une date ait été fixée et que ce ne soit pas dans cent sept ans… J’ai juste fait au plus vite pour éviter à ta tante de pouvoir nous nuire… C’est tout, expliqué-je doucement.

— Et tu penses sincèrement que l’on peut organiser un mariage en une semaine, Philippe ? Monsieur le gestionnaire du domaine, futur propriétaire, se sent pousser des aîles ? Je te souhaite bon courage pour toute l’organisation, mais il est hors de question que je vive les préparatifs de mon mariage comme un calvaire.

Eh bien ! Si je m’attendais à cette réaction ! Moi qui croyais qu’elle allait être ravie, elle refroidit immédiatement mes ardeurs, là.

— Je n’ai pas réfléchi à tout ça, pour être honnête. Et je ne veux pas que TON mariage soit un calvaire, répliqué-je, en insistant sur le possessif. Si tu as changé d’avis et que tu ne souhaites plus devenir mon épouse, il suffit de le dire. Moi, tout ce que je voulais, c’était affirmer à Marie que notre amour est plus fort que ses menaces. Mais c’est vrai qu’une semaine, c’est court et que j’ai dit un peu n’importe quoi. Je m’en excuse et… non, dis-moi ce que tu veux faire, alors.

Je réalise que mon monde ne tient plus qu’à un fil, qu’il risque de s’écrouler si elle me confirme que ce serait un calvaire de m’épouser et que cela ne la rendrait pas heureuse. J’essaie de prendre sur moi pour ne pas craquer devant les enfants, mais je n’en mène pas large lorsqu’elle reprend la parole.

— Je n’en sais rien, Philippe… Une semaine… Nous n’avons entamé aucune préparation, cela risque d’être une vraie course ! D’un autre côté, prévenir les gens si tard nous évitera sans doute d’avoir une partie d’indésirables à la cérémonie… Je ne sais pas si nous pouvons lancer les invitations et tout préparer en si peu de temps. Il faut voir avec Thérèse pour le repas, avec le prêtre pour la cérémonie, trouver un orchestre, il me faut une robe, il te faut un costume, sans parler des enfants, s’emporte-t-elle. Mon Dieu, cela promet pour les jours à venir !

Je suis soulagé de la voir parler de ces détails qui m’importent peu même si je réalise que pour elle, le mariage, c’est plus qu’une simple cérémonie qui officialise notre union. Au moins, elle n’est pas en train de me dire qu’il faut tout simplement en abandonner l’idée.

— Eh bien, soit, on peut prendre un peu plus notre temps, si tu veux. Je n’avais pas réalisé qu’il y avait tant de préparations… Je veux juste que nous soyons heureux tous les deux. Enfin, non, tous les quatre. Alors, on n’est pas à une semaine près… Ou un mois près même, si tu préfères… Dis-moi quand ça te semble raisonnable et ton jour sera le mien, comme ma vie est déjà à toi.

— Quel beau parleur tu fais, rit-elle, se détendant finalement. Si tu m’aides et que les enfants mettent la main à la pâte, peut-être que nous pourrons régler cela en une semaine…

— Tu es sûre ? Moi, en tout cas, je suis tout à ton service. Et Jeanne et Marcus aussi, j’en suis certain. Mais on peut également être raisonnables et nous laisser une semaine de plus… J’ai parlé sans réfléchir, ce serait stupide de nous enfermer dans ce délai qui semble quand même déraisonnable…

— Nous, on va aider ! s’écrie Jeanne à mes côtés.

— Eh bien, il ne va pas falloir tarder à se mettre au travail alors, nous avons une semaine pour tout préparer et la première étape, ce sont les invitations. Je crois que pour les faire, une rose du jardin accompagnée d’un carton serait plutôt sympathique. Et si vous alliez nous en cueillir une vingtaine, les enfants ? J’espère que vous êtes en forme pour écrire, Monsieur, nous avons de longues heures de travail devant nous.

— Attention aux épines ! crié-je alors qu’ils s’éloignent déjà en courant.

Je me tourne ensuite vers Rose qui me regarde avec une expression que je n’arrive toujours pas à déchiffrer.

— Je suis vraiment désolé d’avoir choisi cette date sans toi, Rose. Je n’ai pas réfléchi à autre chose qu’à nous deux. Si ça ne tenait qu’à moi, on irait voir le prêtre, là, tout de suite, et hop, dans une heure, on serait mariés. Mais je comprends que c’est un jour important et qu’il faut le préparer un peu. Alors, c’est parti pour les longues heures de travail. Et si on oublie d’inviter ta tante, tu crois que c’est grave ?

— Inviter qui ? me demande-t-elle, un sourire mutin aux lèvres avant de m’embrasser tendrement.

Quel soulagement de voir que je suis pardonné. Je ne suis pas encore son mari mais déjà, elle me rend fou. Il n’y a qu’avec elle que je perds tous mes moyens, que pour elle que je me transforme ainsi. Et j’ai horreur de me l’avouer, mais je ne changerais cet état de fait pour rien au monde.

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