Chapitre 50
Essayages contrariés
Rose
Je grimace en observant mon cercle à broder et le dépose sur le guéridon près du canapé où je suis installée depuis une bonne heure. Je peine à me concentrer, de toute évidence, prise entre l’observation de Philippe, installé derrière son bureau, et mes réflexions quant au mariage. Thérèse est déjà des plus investies pour la préparation du festin, Louis a promis de nous trouver un bel orchestre et il est parti depuis l’aube pour Paris. Augustin, de son côté, a déjà commencé la mise en place extérieure avec son fils pendant que sa fille et ma dame de compagnie alternent entre la cuisine et le jardin, où elles s’amusent à tester quelques compositions florales pour agrémenter le buffet. Demain matin, Philippe et moi devons rencontrer le prêtre et je dois avouer que plus le grand jour approche et plus je suis fébrile, partagée entre la peur et l’excitation.
Philippe lève le nez de son document lorsque nous entendons tous deux Jeanne hurler mon prénom au loin. Un sourire se dessine sur mes lèvres tandis que son père fronce les sourcils.
— Je crois que ta fille est plus excitée que moi à l’idée des essayages de nos robes.
— Tu es sûre que tu ne veux pas que ce soit moi qui t’accompagne, plutôt ?
— Je ne crois pas que tu me seras très utile, ris-je en le rejoignant à son bureau. J’ai cru comprendre que tu préférais me déshabiller plutôt que m’habiller.
— Eh bien, justement, avant de mettre la robe, tu dois te déshabiller, non ? sourit-il en retour.
Mon prénom résonne à nouveau dans la maison tandis que j’embrasse mon futur époux et me retrouve finalement attirée sur ses genoux. Il est évident que si je suis déjà en retard, il ne me permettra pas de me rattraper auprès de Jeanne aussi facilement. J’ai cependant toutes les peines du monde à quitter ses lèvres et cette étreinte à la fois douce et ferme sur mon corps.
— Il va te falloir être un peu patient, mon cher. Après tout, tu me fais attendre pour le sexe, non ? Je vais peut-être rester dans ma chambre jusqu’au mariage, annoncé-je en me levant finalement.
— Où que tu te décides de rester, j’irai, sache-le ! Et donc, si tu t’enfermes dans ta chambre, je viendrai t’y retrouver. Je ne voudrais pas que ma fiancée s’ennuie.
— J’en prends bonne note. Je file avant que ta fille ne lance un avis de recherche, pouffé-je. Je devrais pouvoir me déshabiller seule, mais je te remercie de t’être proposé pour m’accompagner.
Je dépose un rapide baiser sur ses lèvres et quitte le bureau sans traîner, manquant de renverser Jeanne qui s’apprêtait à frapper à la porte. Je l’entraîne avec moi à l’extérieur et déchante en constatant que tante Marie se trouve dans la calèche.
— Que faites-vous là, Tante Marie ? la questionné-je alors que nous nous mettons en route pour le village. Vous ne m’avez pas prévenue que vous comptiez vous joindre à nous.
— Je viens m’assurer que vous n’allez pas me faire honte en faisant preuve de mauvais goût, bien sûr. Et puis, c’est votre mariage, c’est normal que je m’implique un tant soit peu, non ?
— Ce qui est de mauvais goût pour vous ne le sera pas forcément pour moi. D’autant plus que vos goûts viennent de Londres et que mes invités seront en majorité du coin.
— Quoi que vous choisissiez, cette petite sortie nous donnera le temps de parler de votre mariage. Je m’étonne que vous soyez tombée sous le charme de cet homme qui n’est plus dans la fleur de l’âge, si vous me permettez l’expression.
— Eh bien, n’est-ce pas vous qui me l’avez suggéré ? Un vieux pour être tranquille au plus vite ?
— Un vieux riche ou avec un titre ! persifle-t-elle. Vous n’avez donc aucune jugeote ?
— Pourquoi êtes-vous méchante avec Rose, Tante Marie ? intervient Jeanne de sa petite voix innocente. Mon père n’est pas si vieux que ça, en plus.
— Je ne suis pas méchante, je suis réaliste. Votre père est quand même plus âgé que sa fiancée…
— Il faut croire que je n’ai pas les mêmes exigences que vous, ma tante, soupiré-je en serrant la main de Jeanne dans la mienne. Tant que nous avons l’amour, un toit sur la tête et de quoi vivre, peu m’importe le reste.
Marie pousse un lourd soupir et met un terme à notre échange en tournant la tête en direction de l’extérieur. Jeanne semble un peu contrariée malgré le petit sourire qu’elle me lance et je commence à regretter de ne pas être partie seule de mon côté pour gérer ce dernier essayage.
Moi qui étais ravie d’enfiler ma robe, j’entre dans l’atelier de Madame Duchesnay, cette vieille bonne femme et ses six chats, qui me saute littéralement dessus et me fait deux bises comme si j’étais encore enfant. Jeanne s’extasie à nouveau devant les matous jusqu’à apercevoir sa robe, pendue à un miroir. Elle qui voulait se vêtir de tenues moins enfantines, a jeté son dévolu sur une toilette à la fois simple et colorée, pièce unique que la couturière a imaginée il y a quelques années.
— Va donc l’enfiler avec Madame Duchesnay, je vais essayer la mienne avec ma tante, souris-je. Tu vas être sublime.
La couturière orchestre les choses comme une cheffe, installant le matériel de part et d’autre de la pièce, et je me retrouve rapidement devant ma propre robe, ou plutôt devant celle de ma mère, ajustée à ma taille et quelque peu modifiée pour que le col claudine soit légèrement plus ouvert. Elle est magnifique et je dois avouer que la porter m’émeut particulièrement.
— Elle est superbe, non ? demandé-je à ma tante en dénouant le lacet sur ma poitrine pour me déshabiller.
— Elle n’est surtout pas très récente. Quelle idée de mettre cette vieillerie. Pourquoi ne vous êtes-vous pas décidée pour une de ces belles créations de Madame Duchesnay ?
— Parce que je voulais porter la robe de ma mère, à défaut de l’avoir à mes côtés. Et puis, elle ne fait pas si vieille.
— En même temps, pour épouser un grognard, c’est vrai que faire un effort n’est pas forcément nécessaire. Vous êtes vraiment sûre de vouloir épouser quelqu’un sans éducation ni noblesse ? Vous pouvez me le dire s’il vous menace ou vous met la pression, vous savez ?
— Est-ce si difficile de croire que je puisse être tombée amoureuse de Philippe ? Qu’un tire m’importe peu et que je cherche seulement à être heureuse ?
— Oui, c’est difficile. Si je l’ai choisi, c’est que je pensais qu’il n’y avait pas ce risque. Et je ne me trompe jamais. Il vous a promis de vous laisser faire ce que vous voulez de vos fesses ou quelque chose de ce genre ? C’est ça, le marché que vous avez conclu avec lui ?
— Il ne m’a rien promis du tout, enfin ! C’est arrivé comme ça, nous n’avons pas vu les choses venir, que voulez-vous ! Je suis amoureuse de lui, est-ce si dramatique ? la questionné-je en enfilant ma robe.
— Mais oui, c’est dramatique ! Cet homme ne marche même pas droit ! Comment pouvez-vous le trouver attirant ?
— Dites, vous avez conscience que je vous entends ? intervient Jeanne, me faisant grimacer. Mon père marche droit, et vous seriez sans doute moins coincée et hautaine si vous souffriez comme lui !
— Vos manières, jeune fille, la réprimande ma tante. Comment osez-vous parler ainsi à une adulte ? Votre père a un problème à la jambe, il n’est pas noble et tout ça ne joue pas en sa faveur, s’énerve-t-elle face à la petite qui ne se démonte pas.
— Je crois que lui comme moi préférons encore ne pas être nobles plutôt que d’avoir votre esprit étriqué et la critique facile. Vous n’avez même pas cherché à le connaître réellement et vous l’insultez sans raison, c’est stupide et assez immature, en vérité. Dire que c’est moi qui suis réprimandée sur mes manières, je n’en reviens pas !
— Vu l’éducation que cette jeune fille a reçue, ça promet pour les futurs enfants que vous aurez, Rose, gronde ma tante qui lance un regard noir à Jeanne dont je suis très fière à l’instant même.
— Personnellement, je crois que je commence à avoir hâte de faire des enfants. Les repas en famille promettent d’être très intéressants, ris-je en étreignant Jeanne. Tu es parfaite comme tu es, ma belle. Sois fière.
— Je le suis. Et trop contente que tu deviennes ma nouvelle maman. On va rendre fous Marcus et Papa, hein ?
— Evidemment ! Ce sera l’objectif de chacune de nos journées, m’esclaffé-je en faisant signe à la couturière de nous rejoindre.
Marie bougonne dans mon dos mais peu importe. Je commence à en avoir assez de l’entendre tout critiquer alors que préparer un mariage en si peu de temps est déjà suffisamment angoissant. Je n’ai plus mes parents pour m’accompagner durant ces moments, j’avais l’infime espoir qu’elle se montrerait un minimum compréhensive et soutenante, ce qui est loin d’être le cas. Bon, je m’y attendais, évidemment, puisqu’il a fallu que je jette mon dévolu sur un roturier, déjà père de famille et plus âgé sans l’être suffisamment aux yeux de ma tante.
— Vous êtes magnifiques, mesdemoiselles, nous complimente la couturière en resserrant mon bustier sans grande douceur. Les retouches me paraissent bonnes, je vais chercher le voile et tout sera parfait.
Le mariage approche à grands pas et j’avoue qu’entendre cela me rassérène quelque peu. Dans quelques jours, je serai mariée et je peine à y croire. Marie devrait déjà être satisfaite de voir que j’accepte cette histoire d’épousailles après tout, pourquoi n’est-elle jamais contente ?
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