Chapitre 22

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Touché coulé

Rose

Je souris en observant Marcus tenter d’aider Thérèse à préparer notre repas de ce midi alors que Jeanne glisse les mets dans un panier en osier. Installée sur le plan de travail comme lorsque j’étais enfant, je plonge mon index dans la gelée de groseilles plutôt que de l’étaler sur la tarte aux pommes. Oui, j’ai toujours été une gourmande et je suis plutôt habituée à gêner plutôt qu’à aider en cuisine, mais Thérèse en est consciente et cela la fait sourire plus qu’autre chose.

Les enfants sont tout excités de ne pas passer la journée enfermés à faire du calcul et de l’histoire, le soleil est au rendez-vous et j’ai hâte d’être une vilaine fille en me baignant dans ce bras de rivière où j’allais, enfant, avec mes parents. Je suis certaine que Jeanne et Marcus vont beaucoup s’amuser et j’ai bon espoir de dérider encore un peu plus Philippe qui me semble un peu moins renfermé sur lui-même. Marcus est aux anges de savoir que son père nous accompagne… Et la gouvernante s’est précipitée pour nous tenir compagnie également lorsqu’elle l’a su. Je la soupçonne d’avoir le béguin pour son patron et ça m’agace de la voir minauder dès qu’il est dans les parages. Le pire, dans tout ça, c’est que Philippe ne semble absolument pas s’en rendre compte, trop occupé à gérer le domaine, fuir ses gamins ou moi-même, me trouver un prétendant digne de ce nom…

La preuve à cet instant, alors que nous sortons finalement devant la maison, les bras chargés. Aimée est en train de le reluquer comme je le ferais avec une tarte aux fraises… Bon, la comparaison est vraiment discutable, Philippe est plus appétissant qu’une tarte.

Je m’arrête net à cette pensée et manque de me faire renverser par Louis qui me suivait. Il bougonne en me contournant alors que mon regard se perd sur mon chaperon. Depuis quand Philippe me plaît-il ? Et depuis quand ma colère envers lui s’est-elle apaisée ?

La petite main de Marcus qui se glisse dans la mienne me ramène à la réalité et je descends les marches à sa suite, enjouée par la balade à venir. Il nous faut faire un bon kilomètre à pied avant de couper à travers champ pour gagner la rivière. Marcus et moi nous moquons d’Aimée et Jeanne qui n’apprécient pas vraiment les hautes herbes, Louis titille la gouvernante avec son humour lourd tandis que Philippe observe tout ce petit monde comme s’il se demandait ce qu’il fait ici avec nous… ou comme s’il tentait de décrypter le fonctionnement d’un être humain tant il n’a plus l’habitude.

C’est avec un plaisir non feint que nous installons notre déjeuner près de la rivière. Bien que j’aie conscience qu’une dame ne doit pas se promener pieds nus, je ne tarde pas à quitter mes chaussures et je me laisse tomber près de mon chaperon, déjà assis au sol, le regard perdu sur l’eau et Marcus qui y trempe ses pieds.

— Le coin vous plaît ? Vous allez profiter ou bouder toute la journée de ne pas pouvoir travailler ?

— Je ne boude pas, grommelle-t-il, ce qui provoque l’hilarité de sa fille.

— Vous boudez tout le temps, on dirait, Père !

— Mais… non, je suis heureux de prendre l’air et l’endroit est charmant, ajoute-t-il en posant ses yeux bleus sur moi.

Je lui souris et me perds quelques secondes dans ce regard franc qui me fuit la plupart du temps mais qui, aujourd’hui, semble plus à-même de s’ouvrir aux échanges. Et il le prouve durant le repas en discutant avec Jeanne et Marcus, même s’il reste sur des sujets de conversation très basiques qui impliquent qu’Aimée s’incruste. Evidemment, parler de ce qu’apprennent les enfants au quotidien ramène la gouvernante au premier plan. Suis-je une ingrate de vouloir qu’elle se fasse un peu oublier ? Oui, je suis une vilaine personne et j’en ai conscience, ce qui ne m’empêche pas d’agir malgré tout en m’éloignant un peu pour ôter ma robe. J’ai bien conscience que cela ne se fait pas, mais je ne compte pas échapper à la baignade, même si la longue chemise que je porte sous ma robe n’est pas des plus agréables à porter, mouillée. En Angleterre, les bains de mer sont plus courants qu’ici, et la rivière est plus chaude que la Manche.

Je n’ai même pas de l’eau jusqu’aux hanches que Marcus court me rejoindre après avoir ôté ses propres vêtements, ramenant mon attention sur lui alors que je surprenais son père en train de m’observer. Jeanne semble hésiter quant à la suite, Aimée est outrée quand Louis ricane et se déshabille pour faire de même.

— Père, vous venez ? demande Marcus, un timide sourire aux lèvres.

— Ne dis pas que tu n’aimes pas ça, l’apostrophe son ami, sinon je raconte à tout le monde tes exploits pendant la campagne d’Allemagne. Il nage comme un poisson, votre père !

— Louis, grogne-t-il à nouveau avant de retirer lentement sa chemise. Je vais voir si l’eau n’est pas trop fraîche.

— On veut savoir ! s’esclaffe Marcus tandis que j’observe son père se dévêtir sans m’en cacher.

— Une fois, commence Louis, ignorant totalement le regard furibond de mon tuteur, il a réussi à entrer dans le camp ennemi en passant par la rivière, juste pour leur piquer la viande qu’ils faisaient griller ! Il n’en a même pas ramené pour nous, le gourmand !

— Tu oublies de dire que j’y allais pour récupérer des informations sur le camp, ce que j’ai fait, quand même !

Jeanne s’est éloignée pour enlever sa robe et semble moins à l’aise que moi tandis qu’Aimée lui fait la morale. C’est fou, pourquoi ne pourrions-nous pas nous baigner tranquillement, nous aussi ? Je me rappelle ma tante et son “pas au-dessus du genou” qui me poussait à plonger la tête la première à l’eau, ou de ma cousine qui jouait la dame en soulevant légèrement sa robe pour tremper les pieds… Londres ne me manque pas, je me sens tellement mieux ici. Même la présence de Philippe et ses enfants me semble plus agréable aujourd’hui.

Mon regard dévie à nouveau lorsque mon chaperon entre à son tour dans l’eau avec prudence, avant de plonger sans gène aucune, nous éclaboussant Marcus et moi au passage. Son fils le rejoint et lui monte sur le dos, le faisant rire tandis que j’attrape la main de Jeanne, au bord de l’eau, pour l’entraîner avec moi.

Je crois n’avoir jamais vu Philippe aussi détendu qu’à cet instant. Son sourire illumine le lieu autant que le soleil qui réchauffe ma peau. Son rire est aussi agréable à entendre que le chant des oiseaux qui volent aux alentours, répondant à merveille à ceux de ses enfants. Il nous faut peu de temps pour nous éloigner du bord et se lancer dans une chasse à l’homme. Louis est notre première victime, Jeanne ne se gêne absolument pas pour le couler dès qu’elle en a l’occasion et Marcus aide son père à réitérer l’expérience. La bonne humeur et la légèreté du moment me poussent à m’asseoir sur un rocher à demi-immergé pour observer tout ce petit monde, jusqu’à ce que je doive fuir, étant devenue la prochaine cible des Maynard. J’ai beau tenter de m’échapper, Jeanne est la première à passer ses bras autour de ma taille, rapidement rejointe par Marcus qui me fait boire la tasse sans aucune hésitation, une fois, puis deux. J’en viens à agripper tout ce que je peux pour regagner la surface de l’eau et reprendre mon souffle, et je me retrouve pressée contre un torse ferme qui n’était pas de la partie quelques secondes plus tôt.

Je glousse pour masquer ma gêne, balaie mes cheveux sur mon visage de ma main libre et souris en détournant le regard.

— Votre fils est un sacré chenapan, soufflé-je en observant Marcus tenter d’échapper à Louis.

— Et vous, une sirène qui ne s’en sort pas mal, semble-t-il. On dirait que votre chemise vous fait une seconde peau !

Ses mains sur ma taille n’ont pas bougé d’un pouce et j’avoue ne pas m’être éloignée lorsque je baisse les yeux sur ma poitrine moulée par le tissu. Difficile de passer à côté de mes tétons tendus, et j’en viens à me demander si c’est la fraîcheur de l’eau qui a causé cela ou le plaisir de me retrouver contre cet homme.

— Je ne fais pas le poids face au poisson capable de voler nourriture et informations, souris-je finalement en lui tournant le dos pour suivre la bataille entre Jeanne et son frère.

— Vu comme vous êtes intelligente, je suis sûr que vous savez vous débrouiller, énonce-t-il, si près de moi que je peux sentir son souffle sur ma nuque.

Un frisson que je peine à réprimer longe ma colonne vertébrale. Encore une fois, je pourrais autant l’attribuer à la fraîcheur du vent sur ma peau mouillée qu’à l’homme qui se tient à présent dans mon dos.

— Grand Dieu, venez-vous de me faire un compliment ? le questionné-je, moqueuse. Faites attention, Philippe, vous vous ramollissez !

— Je vais vite retrouver toute ma fermeté malgré le froid de cette rivière, je peux vous l’assurer. Heureusement que votre tante n’assiste pas à cette débauche dans l’eau !

— Ma tante ? Que vient-elle faire ici ? Est-ce si terrible que cela de profiter de la vie et de ce que la nature a à nous offrir ? Je ne pense pas mériter un châtiment pour m’être baignée et vous avoir donné l’occasion de rire avec vos enfants. J’ai bien tenté de dérider votre gouvernante, mais il faut croire qu’elle est aussi coincée que ma tante.

— C’est vrai qu’elle a l’air de s’être planté quelque chose dans l’arrière train, pouffe Philippe avant de me pousser pour me faire à nouveau basculer dans l’eau.

Je ne peux retenir un cri strident qui finit étouffé par l’eau alors que je m’étale comme une larve dans l’eau. Jeanne et Marcus sont hilares lorsque je refais surface, tout comme leur père. Si j’avais quelques scrupules à vouloir le jeter à l’eau, ils viennent de s’envoler et je me précipite finalement sur lui pour le couler. Nous ne sommes pas trop de trois pour tenter de faire chuter le poisson dans l’eau ; Marcus sur son dos, Jeanne et moi de chaque côté, pourtant c’est autour de ma taille que son bras s’accroche lorsqu’il perd l’équilibre et c’est moi qui me retrouve encore une fois à l’eau, pas seule, c’est déjà ça.

Il faut croire que nous sommes devenus des clowns et que Marcus a trouvé son activité favorite. Jeanne n’est pas en reste, mais à son âge, je crois qu’elle se rend surtout compte de la qualité de cet instant et de sa rareté, alors elle profite autant qu’elle le peut, allant elle aussi chercher le contact auprès de son père même si c’est pour le couler. Les enfants s’allient tour à tour avec Philippe pour nous couler, Louis ou moi, jusqu’à ce qu’Aimée rappelle tout le monde pour le dessert. Louis ne se fait pas prier et est le premier à enlacer la gouvernante pour cette excellente idée, ce qui ne semble pas la ravir une seule seconde. Joueuse et provocante, j’en fais de même, quand les enfants n’osent pas avoir la même attitude. Je me demande si finalement, Aimée n’aurait pas apprécié que tout le monde fasse cela pour profiter d’une étreinte de son patron, mais Philippe est comme ses enfants, plus sérieux, il se rhabille sans être passé par la case câlin. Je crois que Louis a remarqué l’attirance qu’elle ressent pour son ami, car il l’observe en pouffant tandis qu’elle lui tend sa chemise qu’elle avait sagement pliée pour ne pas la froisser. Je me demande si mon chaperon a remarqué cela aussi ou si tout ce qui lui saute aux yeux, c’est ce qu’elle a de planté dans l’arrière-train !

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