Chapitre 23
Le faquin éconduit
Philippe
Aidé de ma canne, j’arrive à suivre le rythme sans trop de soucis même si j’avoue qu’avec l’humidité ambiante, je souffre un petit peu. Je boitille mais mes enfants s’en rendent compte et s’arrêtent régulièrement pour ne pas trop me distancer. J’apprécie leur sollicitude même si je n’aime pas cette impression d’être un vieux qui ne sait plus marcher normalement.
— Père, venez voir ! crie Marcus qui s’est agenouillé par terre, sans se préoccuper le moins du monde de l’état de ses vêtements.
— Qu’y-a-t-il donc ? Je vous préviens, quel que soit l’état de l’animal que vous avez trouvé, il ne rentrera pas dans le château. Votre ménagerie est déjà assez importante comme ça !
Je vois à sa mine un peu dépitée que j’ai vu juste et je m’approche à mon rythme, curieux de voir ce qui a attiré l’attention de mon fils en ce début d’après-midi où j’ai soustrait mes enfants aux leçons prodiguées par Aimée. J’ai pris cette habitude de les emmener avec moi pour une petite promenade deux fois par semaine, juste eux et moi. Parfois, Rose se joint à nous mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. A chaque fois, ce qui arrive cependant, c’est que mon fils sauve des grenouilles, des papillons. Il a même réussi à capturer une petite souris il y a quelques jours. Et toutes ces petites bêtes se retrouvent hébergées dans sa chambre…
Jeanne semble circonspecte et reste debout, derrière son frère, à une saine distance de l’escargot qui se traîne sur le petit chemin et qui fait l’objet de l’admiration de Marcus.
— Eh bien, tout ce bruit pour cet escargot ? Ne pensez-vous pas qu’il est plus heureux ici, en pleine nature que dans votre chambre ?
— Nous pourrions lui fabriquer un abri et le mettre dans le jardin d’hiver ? Et puis lui trouver quelques amis pour jouer avec lui !
— Il aime la pluie, tu dis n’importe quoi ! Il est heureux ici, lui.
— Votre sœur a raison, voyons. Et puis, si on le ramène à l’intérieur, vous savez que Thérèse risque de s’en emparer pour nous le servir à dîner ?
— Pas si je lui dis qu’il est mon ami, se borne Marcus. Si lui est heureux, moi je m’ennuie. Jeanne passe son temps à s’énerver contre moi, je n’ai personne avec qui jouer.
— Il ne sera pas très bavard, ton ami. Et un peu lent à te rejoindre si tu l’oublies dans un coin, se moque Jeanne.
— Encore une fois, c’est la voix de la raison qui parle. Pourquoi n’invitez-vous pas des jeunes du village voisin pour vous amuser avec eux ?
— Les jeunes du village ? Ils ont peur de venir au domaine. On raconte qu’il y a des fantômes, il paraît, les parents de Rose, mais je n’ai pas osé lui en parler. Et puis, ils sont déjà tous copains…
— J’ai dit “non”, c’est “non”, Marcus. Fin de la conversation, asséné-je en prenant cet air strict qui est mon quotidien depuis plusieurs années.
Le petit ne dit rien mais lorsque je reprends ma marche en attrapant la main que me tend Jeanne, je remarque du coin de l'œil qu’il ne m’écoute pas et récupère le petit escargot qu’il dissimule dans sa poche. Je préfère faire comme si je n’avais rien vu et nous retournons au château où je suis surpris de constater qu’une calèche est arrivée, sans que nous l’ayons entendue. Qui peut bien nous rendre visite ? Je n’ai lancé aucune invitation et personne n’est venu me prévenir de cette arrivée. Étrange.
Nous nous rapprochons et je vois que Rose n’est pas seule dans le jardin d’hiver. Elle est assise en face d’un blond qui ne peut être que cet idiot d’Edouard de Quincampoix. Je ne sais pas pourquoi mais sa tête ne me revient pas. Avec les enfants, nous pénétrons sous la verrière et je constate immédiatement que le jeune noble est très proche de ma protégée et qu’il se montre très tactile. Sa main est posée sur la cuisse de Rose et il se penche vers elle pour lui raconter une histoire qui semble beaucoup l’amuser. Qu’est-ce que c’est inconvenant ! Et non, je n’écouterai pas cette petite voix qui me dit que je suis jaloux, ça n’a rien à voir avec l’énervement que je ressens en voyant la scène de ces deux jeunes en pleine discussion.
— Eh bien, quelle surprise, Monsieur de Quincampoix, l’apostrophé-je en évitant sciemment d’utiliser son titre dont je ne fais même pas l’effort de me souvenir. Vous souhaitiez me parler ? Vous seriez-vous trompé d’interlocuteur ? l’attaqué-je de manière assez véhémente.
— Monsieur Maynard, quel plaisir de vous voir. Je disais justement à Rose qu’il faudrait sans doute vous faire appeler, sans quoi vous nous prêteriez de mauvaises intentions !
— Est-ce vrai, Rose ? lui demandé-je en la scrutant attentivement. Et aurais-je des raisons de vous prêter de telles intentions ?
— Oui et oui, mon cher, pouffe Rose. Mais n’est-ce pas ce que vous cherchez ? C’est bien moi qui dois me marier, non ? Il est donc logique que je passe du temps avec mes prétendants.
— Je vous rappelle que c’est à moi de choisir votre mari. C’est donc à moi que devraient parler vos prétendants ! m’agacé-je. Mais bon, nous aurons cette conversation à un autre moment. Vous savez bien que ce n’est pas approprié de passer du temps seule avec un homme
— Vous m’avez vous-même dit que j’étais la première concernée pour me trouver un époux. Je ne fais qu’agir en ce sens, Philippe, sourit Rose, provocante et apparemment ravie de m’agacer aujourd’hui.
— Cessez donc vos gamineries, la rabroué-je. Emmenez les enfants à l’intérieur pendant que je vois ce qui amène Monsieur de Quincampoix chez nous. S’il veut vraiment vous demander en mariage, il va falloir qu’il apprenne à respecter les protocoles et la bienséance.
— La bienséance serait d’accueillir nos invités avec le sourire, Monsieur, soupire Rose en se levant. Venez les enfants, laissons les hommes décider si nous avons le droit de respirer et de vivre ou non !
— J’espère pouvoir vous saluer avant mon départ, intervient le blond avant de faire un baise-main à Rose. A très vite, charmante fleur qui éclaire déjà mon coeur !
— Une fleur qui éclaire ? me moqué-je alors que l’intéressée fait une révérence. Ce genre de niaiseries fonctionne vraiment ? l’interrogé-je alors qu’elle s’éloigne avec Marcus et Jeanne.
— Peu importe, mieux vaut essayer qu’être un goujat irrévérencieux, non ? me demande-t-il en se rasseyant.
— C’est moi que vous traitez de goujat ? grogné-je en m’approchant de lui. Venant d’un jeune fat prétentieux comme vous, je ne devrais pas m’en préoccuper mais voyez-vous, vous êtes en train de m’insulter alors que vous êtes sur le domaine dont j’ai la charge. Je ne trouve pas que ce soit la meilleure idée que vous ayez jamais eue, Faraud !
— L’accueil laisse vraiment à désirer ici, heureusement que la charmante Rose s’est montrée plus chaleureuse à mon égard, sourit-il. J’ai comme l’impression que vous peinez à comprendre la jolie demoiselle, Monsieur Maynard. Plus vous serez contre elle et plus elle ira dans le sens opposé.
— Comment osez-vous me parler ainsi, Faquin? Jamais vous n’aurez sa main, je suis son tuteur et vous êtes en train de perdre toute chance de prétendre à l’épouser ! Je vais d’ailleurs vous demander de quitter ce domaine immédiatement avant que je ne sois obligé de vous mettre dehors à coups d’épée dans votre postérieur qui ne résisterait pas bien longtemps à mes assauts.
— Êtes-vous vraiment en train de me menacer ? s’agace-t-il en se levant. Soyons honnêtes, Monsieur Maynard, ne chercheriez-vous pas plutôt à vous garder la demoiselle sous la main ? Sans parler de ce domaine… Une grande maison et une mère de substitution pour vos morpions ?
— Mes morpions ? Mais de quel droit osez-vous insulter ma famille ainsi ? Je vous rappelle que vous êtes invité ici. Je ne sais pas ce qui me retient de vous étriper et vous apprendre ce que ça fait de vous opposer à un officier des troupes impériales ! J’ai peut-être une blessure à la jambe mais je peux vous assurer que je n’ai jamais perdu un combat, même amoindri. Contrairement à vous, mon épée ne me sert pas que pour l’apparat. Maraud, finis-je par dire de manière aussi méprisante que possible.
J’ai sciemment évité d’évoquer ma relation avec Rose car je sais qu’il n’a pas tout à fait tort. Si je m’énerve ainsi, je ne peux me cacher que c’est aussi parce que j’éprouve des sentiments assez ambigus envers la jeune vicomtesse.
— Que de violence de votre part… Je plains cette pauvre Rose, obligée de faire avec vous, soupire-t-il en me bousculant de l’épaule alors qu’il quitte la pièce.
— Violent, moi ? Vous n’avez encore rien vu, je vous assure ! Et ne revenez pas ici, crié-je alors qu’il remonte dans sa calèche. Vous n’êtes plus le bienvenu. Si vous tenez à votre vie, vous feriez mieux d’éviter ce domaine !
Il s’arrête un instant dans son mouvement, mais se décide finalement à s’installer et c’est sans un autre regard qu’il repart alors que je ressens une profonde haine à son égard. Je crois que ce noble de pacotille n’a pas compris que les temps avaient changé et que la société ne lui reconnaissait plus une supériorité naturelle. Et s’il pense qu’il va pouvoir gagner le cœur de Rose alors que je m’y oppose, il se trompe lourdement. Je vais m’assurer qu’il n’ait plus l’occasion de la croiser. Et non, ce n’est pas pour la garder juste pour moi. J’ai une mission à accomplir. Et si ça prend plus de temps que prévu et que j’en profite d’ici là, ce n’est pas bien grave…
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