Chapitre 24
Il ne se lève pas !
Rose
Je secoue la tête devant chaque robe un peu trop guindée que me présente Julie et soupire lourdement pour lui faire comprendre que je n’ai envie de rien de tout cela. Elle lève finalement les yeux au ciel et sort de la penderie la plus simple de mes toilettes, celle qui me permettra de bouger comme bon me semble, de monter si je le souhaite, de courir si l’envie me prend, et de jouer avec les enfants. Il est tôt et je meurs de faim. Il faut dire que je ne suis pas descendue dîner hier soir afin de marquer mon mécontentement, de manière tout à fait puérile puisque je me suis privée toute seule.
— Ne les attache pas, marmonné-je quand elle regroupe mes cheveux entre ses mains, brosse-les, ça suffira pour aujourd’hui.
Ma servante m’observe à travers le miroir de ma coiffeuse et reprend le brossage de ma longue tignasse châtaine avec douceur alors que je lorgne sur les poudres que je ne compte pas mettre en grimaçant.
Si j’adore qu’on tripote mes cheveux, ce matin je n’ai pas vraiment le temps ni la tête à apprécier le moment, si bien que je me lève rapidement pour descendre au rez-de-chaussée afin de trouver l’objet de ma colère. J’ai vu Edouard partir après qu’ils se sont chamaillés comme des enfants, et Philippe n’est même pas venu m’expliquer quoi que ce soit. La seule chose qu’il m’a dite, c’est que je ne reverrai jamais plus ce “maraud de Quincampoix”…
Je trouve ma cible dans le jardin d’hiver, une tasse à la main, une plume dans l’autre. Très concentré, je prends un malin plaisir à la bousculer légèrement lorsque je m’assieds, le faisant raturer au passage, ce qui le pousse à lever le nez dans ma direction, me fusillant du regard.
— Bien le bonjour à vous aussi, mon cher, lui lancé-je en souriant faussement.
— Vous l’avez fait exprès et je ne trouve pas ça drôle, Rose. Comme si j’avais du temps à perdre à réécrire les courriers que je fais.
— Qui vous dit que je l’ai fait exprès, voyons ? Ce n’est absolument pas mon genre de chercher à attirer l’attention pour qu’on comprenne que je suis agacée.
— Ben voyons. Et pourquoi seriez-vous agacée ? L’eau était trop fraîche ce matin ? se moque-t-il avant de faire mine de se replonger dans son courrier.
— Peut-être parce que vous êtes un menteur patenté ? Le genre d’homme qui dit blanc et agit noir ?
— Comment ça, je suis un menteur ? De quoi parlez-vous ? Et pourquoi aurais-je besoin de mentir ? Si je dis blanc, c’est blanc, voyons ! s’énerve-t-il immédiatement.
— Ah oui ? Et donc, m’assurer que j’ai mon mot à dire quant à mon prétendant pour ensuite virer d’ici le seul homme qui n’ait pas l’âge d’être mon père ni ce regard pervers absolument écoeurant que les autres portent sur moi, ce n’est pas mentir ?
— Vous avez votre mot à dire, mais c’est à moi que revient la décision finale. Et pour cet escogriffe qui devrait faire acteur, c’est non. Il n’est intéressé que par votre richesse, j’ai vu clair dans son petit jeu et je le répète, c’est non et puis c’est tout.
— Il ne sont intéressés que par ça et ma vertu ! Tous autant qu’ils sont. Pourquoi est-ce plus dérangeant pour Edouard que pour un autre, dites-moi ?
— Il m’a manqué de respect, répond-il froidement en dardant son regard bleu, presque gris, sur moi. Tout ça parce que je ne suis pas noble. Cela démontre une mentalité qui ne présage rien de bon pour l’avenir. Et puis, votre vertu et votre richesse vont attirer d’autres hommes du même âge, je n’en doute pas une seconde.
— Edouard a fait ça, vraiment ? m’étonné-je avant de soupirer. Pourquoi tous les hommes sont-ils aussi stupides ?
— Je pense que ce n’est pas une question d’homme ou de femme. Vu comment vous gloussiez en sa présence, je ne suis pas sûr que vous l’étiez beaucoup moins que lui, assène-t-il, ne pouvant cacher un élan de jalousie qui pourrait me faire plaisir, je l’avoue, s’il ne m’insultait pas au passage.
— Pardon d’apprécier la compagnie d’un homme sociable, qui sourit et plaisante. Il faut dire qu’avec votre tête d’enterrement et votre balai si similaire à celui d’Aimée, coincé là où je pense, il m’est difficile de sourire et de glousser stupidement.
— Ma tête d’enterrement ? Mon balai ? bégaie-t-il visiblement heurté par la violence de mes propos. Je… Difficile de faire autrement de toute façon, je ne suis que le tuteur chargé de la difficile mission de vous trouver un mari. Cela n’invite pas à la plaisanterie, malheureusement, c’est une lourde responsabilité car vous méritez quelqu’un de bien, je ne veux pas me tromper. Et cet Edouard, pour revenir à lui, est clairement une erreur. Je ne changerai pas d’avis à ce sujet.
Je meurs d’envie de renverser son thé sur sa chemise toute propre, peut-être même l’encrier d’ailleurs, mais me retiens d’agir comme une enfant. Je suis pourtant persuadée que cela me soulagerait. Je m’apprête à lui rétorquer que je suis bien capable de fuir la maison pour épouser qui bon me semble si j’en ai envie, mais Aimée entre dans la pièce, à moitié ébouriffée, et pose sa main sur l’épaule de mon chaperon, essoufflée.
— Monsieur, je suis désolée de vous déranger durant votre petit déjeuner, mais c’est Marcus, il ne se lève pas ce matin.
— Comment ça, il ne se lève pas ? C’est toujours lui le premier debout !
— Je sais, mais il a un peu de fièvre et ne semble pas réussir à émerger. Son état m’inquiète un peu, je n’arrive pas à savoir s’il en rajoute pour ne pas travailler aujourd’hui ou s’il se sent vraiment mal.
— Il n’est pas du genre à en rajouter, voyons ! éructe Philippe en se relevant vivement malgré sa douleur à sa jambe. Je vais aller le voir, vous m’inquiétez, là, Aimée.
Je me lève à sa suite, également inquiète, et le suis dans les escaliers alors que j’ai envie d’aller bien plus vite afin de retrouver le petit Marcus. Bien que je ne le connaisse pas autant qu’Aimée, je pense comme son père qu’il ne ferait pas cela. Marcus est un peu comme moi, quand quelque chose le dérange, il le dit et le fait comprendre à sa manière.
Il n’y a qu’à voir son visage pâle et son front transpirant pour se rendre compte qu’il ne joue pas la comédie. Philippe s’assied au bord du lit et le secoue doucement, Marcus ouvre péniblement les yeux, les frotte de ses petits poings et bâille avant de nous tourner le dos en grimaçant. Voyant son haut trempé dans son dos, j’interpelle Julie qui passait dans le couloir et lui demande de nous apporter une bassine d’eau froide et un linge. Notre échange est intercepté par Jeanne qui, encore en robe de nuit, se précipite dans la chambre de son frère.
— Père ? Qu’est-ce qui se passe ? Marcus ne va pas bien ?
— Ne rentrez pas, Jeanne, lui aboie-t-il dessus vivement. C’est sûrement contagieux. Je ne veux pas perdre mes deux enfants en même temps ! Aimée, faites venir un docteur et vite ! C’est urgent ! s’affole mon tuteur qui a clairement perdu de sa superbe face à la maladie de son fils.
— Un médecin ? l’interroge Aimée, paniquée, tandis que j’attire Jeanne à l’extérieur de la pièce. Mais… où donc ?
— Allez en ville ! A Paris s’il faut mais ramenez-moi un homme de sciences ! Vous ne voyez pas comme Marcus va mal ? s’impatiente-t-il, énervé au possible.
— Il y a un médecin au village, interviens-je. Demandez à Léon, aux écuries, de vous y emmener, cela ira plus vite. Jeanne, va chercher de l’eau, il faut que ton frère boive. Ça va aller…
— Il va mourir ? demande la jeune fille sans bouger, comme pétrifiée par ce qu’il se déroule devant ses yeux.
— C’est un petit garçon fort et courageux, il n’y a pas de raison qu’il ne s’en sorte pas, mais il ne faut pas qu’il se déshydrate et le médecin va sans doute trouver quoi faire pour le guérir. Va chercher à boire, Jeanne, et ton père a raison, peut-être que c’est contagieux, il faut que tu évites d’entrer dans sa chambre pour le moment…
J’attrape la bassine que me tend Julie et souris à Jeanne avant de fermer la porte de la chambre sous son nez. Philippe est immobile ou presque au chevet de son fils, il passe et repasse sa main dans ses cheveux roux tandis que je m’assieds de l’autre côté du lit et appose le linge essoré sur le front du petit.
— Peut-être a-t-il simplement attrapé un coup de froid en se baignant dans la rivière, je suis sûre qu’il va vite se rétablir.
— Je ne sais pas, je ne l’ai jamais vu comme ça. Il est brûlant ! Et ce regard vide… Peut-être est-il déjà trop tard pour faire quoi que ce soit ? Cela me rappelle quand Isabelle, ma femme, est morte…
— Peut-être pourrions-nous lui donner un bain pour faire baisser sa fièvre ? Marcus est un petit gars costaud.
— Un bain ? Mais… est-ce vraiment ce qu’il faut faire ? Cela ne va pas empirer son mal ? Si c’est un coup de froid… Je… Non, je ne veux pas le perdre, se lamente-t-il, visiblement incapable de se poser, affolé.
— Philippe, regardez-moi, soufflé-je en posant ma main sur la sienne alors qu’il relève la tête. Il faut que vous soyez fort, les enfants et Marcus en particulier, ont besoin de vous. Je sais que cela vous fait peur, mais une fièvre ne veut pas forcément dire que c’est grave… J’ai déjà été malade et je suis encore là, vous aussi j’en suis sûre.
— Oui, vous avez sûrement raison, ce n’est sûrement pas la même maladie qui a emporté sa mère… Mais il faut le médecin, et vite ! Et… un bain, alors ? Vous pensez que c’est ce qu’il faut faire ?
— On peut… attendre de voir ce que dit le médecin, pour le bain, si vous préférez. Je crois que ma mère me donnait des bains lorsque j’étais bébé et fiévreuse, mais je ne peux vous le garantir, je ne m’en souviens pas, souris-je en me levant. Je vais aller voir Jeanne, elle semblait bouleversée. Je vous ramène à boire pour Marcus, d’accord ?
— Oui… Pauvre Jeanne… Comme pour moi, ça doit lui rappeler Isabelle… Oh la la, j’espère vraiment que ce n’est pas ça…
Je lui apporte l’eau que Jeanne tient entre ses mains, au pied de la porte, puis sors de la chambre et l’entraîne un peu plus loin pour la rassurer. Entre le père et la fille, je ne sais pas trop lequel des deux est le plus chamboulé par l’état de Marcus. Ajoutez à cela que Jeanne veut absolument aller au chevet de son frère et je me retrouve à devoir défendre Philippe auprès de sa fille. Je n’aurais jamais imaginé faire cela un jour.
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