Chapitre 25
Le docteur imaginaire
Philippe
C’est terrible de faire ce retour dans le passé. Je n’ose pas serrer Marcus trop fort dans mes bras pour ne pas lui donner trop chaud mais le voir frissonner et trembler comme ça m’effraie. Il ne répond plus à nos questions et semble délirer, prononçant des paroles inintelligibles. Je lui éponge le front avec le linge qui a été ramené par… Rose ? Quelqu’un d’autre ? J’avoue que je ne sais pas. Je n’ai pas fait attention, tout ce qui compte, c’est l’état de santé de mon fils. Et là, il ressemble tellement à Isabelle, mon épouse qui est décédée après une fièvre subite comme celle-ci, que je n’arrive pas à m’enlever de la tête que c’est fini, que je vais le perdre sans pouvoir rien faire.
— Mais il est où ce médecin ? Qu’est-ce qu’elle fait, Aimée ? Cela fait bien deux heures qu’elle est partie, non ? m’énervé-je alors que Marcus est pris d’une nouvelle quinte de toux qui m’arrache le cœur autant qu’elle s’attaque à ses poumons.
— Je suis sûre qu’elle ne devrait plus tarder. Le médecin était peut-être au chevet d’un autre patient et elle a dû l’attendre… Je suis certaine qu’elle fait au plus vite, intervient Rose en tamponnant le front de mon fils.
— Vous ne devriez pas rester là, je ne me le pardonnerais pas si vous attrapez ce mal, vous aussi. Vous imaginez ? Ce serait terrible.
— Ne comptez pas m’éloigner de Marcus comme vous l’avez fait avec Jeanne. Je comprends que vous ne vouliez pas qu’elle prenne de risque, mais je suis adulte, je fais ce que je veux et c’est être ici.
— J’entends bien, Rose, mais je… Non, j’allais dire que je suis votre tuteur et que je pourrais vous obliger, mais ça m’étonnerait. Vous n’en faites qu’à votre tête de toute façon. Et ça me touche que vous souhaitiez rester, vraiment.
Je ne mens pas, je trouve son attitude tellement sensible et attentionnée que j’en éprouve une profonde reconnaissance.
— J’ai bien conscience de ne pas servir à grand-chose, mais un peu de soutien n’a jamais fait de mal.
— Oui, vous êtes là et ça me fait du bien. J’ai vraiment peur de le perdre, soupiré-je alors qu’il se retourne et reprend ses murmures incompréhensibles.
— Marcus n’est pas du genre à baisser les bras, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour à nouveau ennuyer sa sœur, sourit-elle.
Je n’ai pas le temps de répondre que j’entends la porte principale s’ouvrir. Absorbé par la situation de Marcus, je n’ai même pas prêté attention aux bruits des sabots des chevaux annonçant l’arrivée du médecin que j’appelle pour qu’il se dépêche de nous rejoindre.
— Nous sommes ici ! crié-je sans oser m’éloigner trop du lit où est couché Marcus et où Rose continue à le rafraîchir avec le linge humide.
J’ai l’impression qu’il lui faut une heure pour monter les escaliers et nous rejoindre mais le voilà enfin qui passe la porte. Il a l’air jeune, je m’attendais à voir le médecin habituel, avec ses bésicles et ses cheveux blancs. Là, je suis face à un jeune brun qui commence par dévisager Rose plutôt que de se préoccuper de mon fils.
— C’est vous le médecin ? demandé-je avec suspicion. Il faut vous occuper de Marcus ! Il a de la fièvre et ne parle plus. Il risque de mourir si vous ne vous dépêchez pas un peu !
— Il semblerait que nous soyons deux médecins ici, grommelle-t-il en approchant. Depuis combien de temps est-il dans cet état ?
— Depuis ce matin ! Ça fait au moins trois heures qu’on vous attend. Peut-être plus ! m’agacé-je alors qu’il ne semble pas décidé à procéder à des examens plus approfondis.
— A-t-il mangé du laitage hier ? De la viande ? m’interroge-t-il en retirant les draps de sur Marcus.
— Oui, comme tous les jours, je suppose. Pourquoi cette question ?
Rose le regarde faire avec autant de suspicion que moi mais n’intervient pas dans notre conversation, se contentant de l’observer en silence.
— Cela pourrait être dû à de mauvais produits, soupire-t-il en me faisant signe de m’éloigner. Est-il sorti ? Susceptible de manger tout et n’importe quoi à l’extérieur ?
— Bien sûr qu’il est sorti, c’est un enfant de six ans ! Et il n’est pas stupide, il ne va pas manger n’importe quoi dehors ! Il faut le soigner ! Arrêtez avec ces questions idiotes !
— J’essaie de déterminer ce qu’il a, mais je vous en prie, si vous pensez pouvoir diagnostiquer et soigner vous-même, je vous laisse la place, bougonne-t-il en tâtant le cou et le buste de Marcus. Je vais réaliser une saignée pour le purifier, cela devrait lui faire le plus grand bien.
Ah, enfin il va agir ! Il était temps parce que là, j’ai l’impression que c’est un charlatan qui ne fait que parler et ne sait pas soigner. Je l’observe préparer son matériel et ne comprends pas les signes que m’envoie Rose. Je la regarde en fronçant les sourcils. Voyant que je ne saisis pas ce qu’elle tente de me faire comprendre, elle prend la parole.
— N’est-ce pas un peu extrême pour une température élevée ? Qu’a-t-il donc qui nécessite un traitement aussi dangereux ?
Ah mais oui, elle a raison… Ce n’est pas rien, une saignée, surtout pour un enfant de son âge. Je me souviens d’un des chirurgiens, sur le champ de bataille, qui disait que ça ne pouvait pas être la solution à tous les problèmes de santé.
— Rose, il doit savoir ce qu’il dit quand même… Laissons-le travailler, non ?
— Philippe, est-ce que vous avez conscience de ce que va subir Marcus ? Vous laissez faire sans vous assurer que c’est nécessaire ? Cet homme arrive, pose quatre malheureuses questions, le palpe à peine et décide de le laisser se vider de son sang pour le guérir ? N’avez-vous pas peur qu’il assouvisse simplement son besoin de barbarie ? Les saignées ne sont plus aussi courantes qu’il y a un ou deux siècles !
— Madame, c’est moi, le médecin, voyons ! Je sais ce que je fais ! J’ai fait de longues études et mon diagnostic est clair. Ce mal ne peut être soigné que par un éclaircissement du sang, c’est évident !
Mes yeux vont de l’un à l’autre sans arriver à me décider. Le médecin continue ses préparations, sûr de lui alors que Rose continue à me darder de son regard perçant. Je ne sais plus quoi faire mais mon instinct me dit de faire confiance à la jeune femme. Elle a raison sur le fait qu’il n’a même pas vraiment examiné mon fils. Et lui prendre du sang, ce n’est pas une si bonne idée que ça, si ?
— Pas de saignée, non. Cela va juste l’affaiblir. Vous n’avez pas un autre remède ? Une potion à prendre ?
— Je vous demande pardon ? m’interroge le médecin en se levant. Vous préférez croire une femme, et de surcroît une jeune fille plutôt qu’un médecin diplômé ?
— Marcus était en très bonne santé jusqu’à ce matin, lui répond Rose. S’il avait eu besoin d’une saignée, sa santé se serait dégradée sur le long terme à cause de ce mauvais sang, non ? Philippe, il y a une guérisseuse au village qui venait me soigner lorsque j’étais plus jeune, peut-être devrions-nous plutôt aller la quérir.
Une guérisseuse ? Plutôt qu’un médecin ? C’est insensé… Et pourtant… Dans mon village aussi, il y en avait une qui connaissait bien les remèdes de la nature. Et cet individu, avec sa lancette prête à transpercer mon fils, ne m’inspire pas du tout confiance. Depuis qu’il est arrivé, c’est viscéral, j’ai envie de le mettre dehors… Mais ce qui me décide à agir, c’est Marcus dont la main vient s’emparer de celle de Rose, et je vois clairement qu’il la serre fort, comme s’il voulait m’indiquer où va sa préférence, à qui va sa confiance. Y voyant là un signe fort de sa part, je prends mon courage à deux mains et me décide.
— Oui, je suis d’accord pour la guérisseuse. Docteur, vous pouvez nous laisser, nous n’avons plus besoin de vos services, l’interpellé-je froidement.
— Vous le pensez sérieusement ? Vous m’avez fait venir pour ça ? Pensez-vous que je n’ai que cela à faire ? grogne ce dernier en rangeant son matériel. Ne venez pas vous plaindre si votre fils y reste.
— Aimée va vous dédommager pour le déplacement, lui lancé-je avant de me tourner vers Rose, fébrile. Il faut aller chercher cette guérisseuse, et vite, on n’a plus de temps à perdre !
Le médecin me lance un regard méprisant avant de sortir et je suis immédiatement soulagé, j’ai l’impression que l’atmosphère est tout de suite moins lourde et j’ai l’impression de pouvoir reprendre une respiration presque normale.
— Elle vit à l’entrée du village, à quelques kilomètres d’ici. C’est la dernière maison au bord de la forêt, vous devriez facilement la trouver.
— Comment ça, la trouver ? Il faut que vous alliez la chercher, voyons ! Je ne quitte pas mon fils, moi !
— Mais je n’ai aucune envie de le quitter non plus ! Regardez-le, souffle-t-elle en caressant sa joue tendrement. Demandez à quelqu’un d’autre, je ne bouge pas d’ici.
Encore une fois, je me dis que ça ne sert à rien d’essayer de la faire changer d’avis. Je crie pour faire revenir Aimée qui est descendue avec le médecin et dès qu’elle revient, je l’envoie chercher la guérisseuse. Je pensais qu’elle allait rechigner mais au contraire, elle semble soulagée de s’éloigner de la chambre de mon fils. Je m’installe à nouveau sur le lit, en face de Rose, et ma main se pose sur la sienne, contre la joue de Marcus.
— J’espère que je fais le bon choix, Rose. Je… je suis inquiet, j’avoue. Mais je vous fais confiance car il semblerait que vous aussi, vous teniez à mon fils.
— Il semblerait ? Croyez-moi, vous êtes loin du compte, Philippe. Votre famille m’a volé mon cœur.
Que répondre à ça ? Je ne pensais pas qu’elle pourrait ressentir une telle affection pour mes enfants et cela me touche beaucoup. J’essaie de ne pas verser une larme mais je suis ému en la voyant ainsi continuer à caresser la joue de Marcus, passer le linge de temps en temps… Espérons que la guérisseuse sera plus efficace que le médecin, sinon elle souffrira autant que moi si mon fils ne survit pas à ce mal qui l’a pris depuis ce matin.
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