Chapitre 27

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La prestance du philosophe de l’Amour

Philippe

Je me penche et serre mon petit Marcus dans les bras. C’est incroyable comme il a repris du poil de la bête ces derniers jours suite à la potion que lui a administrée la guérisseuse. C’est comme s’il n’avait jamais rien eu et ne serait-ce que pour ce miracle, je suis reconnaissant à Rose d’avoir fait venir cette femme à son chevet. Et c’est sûrement pour ça que j’ai accepté la folle demande de la vicomtesse lorsqu’elle est venue me voir il y a deux jours. Et pour être tout à fait honnête avec moi-même, cela me fait plaisir de la voir sourire et de céder à ses envies. L’épisode avec mon fils nous a bien rapprochés et nous avons pris des nouvelles habitudes, comme par exemple de faire une marche tous les deux dans le parc, chaque soir. Ou de manger tous ensemble, en famille, en riant et en devisant de tout et de rien. J’ai l’impression qu’elle comme moi, nous avons envie d’apprendre à nous découvrir, et que nous apprécions passer du temps à discuter et à échanger.

— Bon, les enfants, je vous laisse. Et rappelez-vous, ce soir, c’est la soirée littéraire et philosophique organisée par Rose, alors vous restez bien sagement à l’étage avec Aimée. C’est compris ?

Je me relève et regarde Marcus et Jeanne en essayant de prendre l’air le plus sérieux possible.

— Vous allez y assister ? me demande Jeanne en lançant un regard amusé à son frère.

— Bien sûr, vous savez bien qu’il faut que je la surveille ! Elle serait capable de faire encore plus de bêtises que Marcus, sinon !

— Je ne fais jamais de bêtises, moi, me rétorque l’intéressé, espiègle.

— Et elle non plus, je le sais bien, souris-je en lui ébouriffant les cheveux. Allez, je vous laisse, j’entends déjà les premières calèches arriver. Soyez sages, surtout. Aimée, je vous les confie.

— Bien sûr, Monsieur, je vais prendre soin d’eux, comme toujours.

Je les embrasse une dernière fois, là aussi, je change à ce sujet et j’apprécie ces moments de rapprochement, puis je descends les escaliers et constate que Rose est à l’entrée et qu’elle accueille les premiers invités. Je profite de la vue que j’ai sur elle pour l’observer sans qu’elle ne me remarque. Elle est vraiment magnifique et je me demande si elle le devient chaque jour un peu plus ou si c’est moi qui ouvre mieux les yeux et remarque davantage la finesse de ses traits, la volupté de ses courbes, le charme de ses yeux rieurs et la sensualité de sa bouche bien dessinée. Ce soir, elle a revêtu une robe d’une couleur bleu pastel, à la fois simple et aux détails travaillés qui met en valeur son buste et l’arrondi de sa poitrine grâce à de la dentelle finement piquée sur le tissu. Plus bouffante que les robes qu’elle met d’ordinaire pour rester ici, elle se déplace malgré tout avec élégance, engoncée dans son corset et tout ce tissu qui chute jusqu’à ses pieds.

Je finis de descendre l’escalier et remarque que Maxence, l’homme à tout faire de Rose, semble énervé alors qu’un des invités de Rose lui adresse la parole. Je ne peux entendre que la fin des propos.

— Inadmissible que vous puissiez toucher mes vêtements ! Je n’ai pas du tout envie que vous les salissiez !

Mais qui est cet homme ? Vu sa façon de parler, il s’agit clairement d’un de ces gais lurons qui a profité de l’Empire pour prospérer sans aucun caractère de noblesse, et clairement avec d’énormes préjugés sur les hommes de couleur. Il est petit, brun avec un nez aquilin qu’il lève et met en avant, comme si c’était un honneur d’avoir un tel pic au milieu du visage. Ses favoris sont grisonnants et sa moustache ridicule ne parvient même pas à faire illusion et à rétablir la symétrie inexistante de son visage.

— Maxence, pouvez-vous apporter les rafraîchissements dans la salle de réception. Clairement, vos services y seront plus appréciés qu’auprès de Monsieur.

Il m’adresse un sourire reconnaissant et s’éclipse alors que le triste sieur me regarde avec suspicion.

— Philippe Maynard, me présenté-je, tuteur de la vicomtesse et responsable de ce domaine qui vous accueille avec l’espoir que vous saurez respecter les lieux et les personnes qui y vivent.

— Le vicomte a donc réellement confié sa fille unique à un homme sans titre, grimace-t-il.

— Il semblerait que l’époque soit aux manants comme nous, que voulez-vous, les temps changent. Personnellement, j’ai gagné mes titres de gloire sur le champ de bataille, cela m’étonnerait que ce soit le cas pour vous. Je n’irai pas plus loin car je suppose que Madame de Valois vous a convié ici mais sachez que je ne tolèrerai aucune marque de mépris de votre part.

— En effet, Rose m’a fait parvenir une invitation en mémoire de mon amitié avec son père, j’imagine. Je lui disais justement combien il me manquait.

Cela sonne faux dans sa bouche et je trouve sa voix trop aiguë pour être agréable. Il me donne le sentiment d’être malhonnête mais je reste poli et lui fais signe d’entrer dans la salle de réception, sans même savoir son nom. Je le suis et réponds au sourire de Rose qui est occupée à saluer tout le monde et n’a donc pas le temps de s’intéresser plus que ça à moi. Je me mets dans un coin et observe la scène avec circonspection. Quand je vois les regards de tous ces hommes portés sur elle, je comprends que beaucoup ne sont pas venus pour discuter philosophie mais pour se rapprocher de la richesse et la noblesse qu’elle représente. Il y a deux femmes présentes et je suis surpris de voir qu’elles discutent avec aisance avec les personnes présentes et ne semblent pas se confiner au rôle de faire-valoir que la société leur donne habituellement. Comment Rose a-t-elle fait pour rassembler toutes ces personnes ici dans un délai si court ? Elle est vraiment pleine de surprises, je trouve.

Une des dames porte son regard vers moi, m’observe des pieds à la tête avant de se diriger dans ma direction. Près de moi, le paltoquet raciste à la voix impossible est en train d’énumérer à un homme plus âgé et portant une perruque de l’Ancien Régime toutes les raisons pour lesquelles on ne devrait pas s’approcher des nègres qui polluent notre “Grand Pays”. Le vieil homme répond mollement, mais la femme qui s’est approchée me prend par le bras pour m’inclure dans la conversation à laquelle elle prend part de la manière la plus naturelle du monde.

— Mon cher Célestin, quand cesserez-vous donc de rabacher tout le temps les mêmes inepties, tout ça parce que vous n’arriviez pas à satisfaire votre épouse et qu’elle vous a trompé avec un de vos serviteurs venu des Afriques ? Monsieur Maynard vous l’a dit tout à l’heure, si j’ai bien entendu, les temps changent et il faut respecter tout le monde !

Eh bien, ça, c’est une entrée en matière qui sort de l’ordinaire et j’avoue que cette femme me plait déjà. Et encore plus quand je vois que l’homme au grand nez, le dénommé Célestin, se renfrogne et cherche à reprendre le cours de son discours.

— Ma chère Rosalie, je suis un scientifique, vous savez ? Et il est évident que la taille de nos crânes influe sur notre intelligence et notre capacité à comprendre le monde. J’ai mesuré de nombreux crânes dans le cadre de mon travail à l’Institut Légal et je peux vous assurer que selon mes chiffres, celui de l’homme blanc est plus grand que celui de l’homme noir ! Les preuves sont là !

— Je suis persuadée que vos chiffres ne valent rien, Célestin. La plupart des femmes ont un crâne moins grand que celui des hommes et pourtant, Dieu sait que certains ne sont pas très futés, rit-elle. Mais puisque nous parlons d’anatomie et de taille, j’ai entendu dire par la servante du manoir des Carpentier que les hommes noirs pouvaient aisément se défendre concernant une autre partie de leur corps. Je comprends mieux pourquoi votre femme s’entend si bien avec votre ancien serviteur.

A ce bon mot, nous éclatons tous de rire, sauf bien entendu le triste Célestin qui nous lance un regard noir et s’éloigne rapidement vers le buffet alors que Rose, attirée par notre joie, nous rejoint, le sourire aux lèvres.

— Eh bien, Rose, vous avez invité des personnes qui sortent de l’ordinaire ! Ce Célestin, vous l’avez fait venir pour amuser la galerie ? lui demandé-je alors que je note son froncement de sourcil quand elle remarque le bras de ma voisine toujours posé sur le mien.

— A vrai dire, j’ai fait parvenir une invitation à Célestin, 2ème du nom, soupire-t-elle. J’aurais grandement préféré revoir son fils qui a mon âge et semble bien plus ouvert d’esprit que la plupart des hommes ici présents.

— Ah ma chère, les hommes de votre âge sont peut-être moins fermés mais ceux plus matures ont d’autres avantages. Peu de jeunes hommes ont le charme de votre tuteur, je vous l’assure ! Moi qui croyais que seuls les nobles pouvaient avoir de la prestance, il me semble que j’ai fait erreur. Ou peut-être que Monsieur Maynard est l’exception qui confirme la règle ?

— Eh bien, si votre époux vous entendait ! grimace Rose en lui lançant un regard froid. Le charme ne fait pas tout, vous savez ? J’ose croire que vous ne vous arrêtez pas simplement sur un physique. Monsieur Maynard est davantage qu’une carrure et un port altier.

Je souris en voyant comment les deux femmes me décrivent et je ne pensais pas que ce moment philosophique allait tourner autour de ma personne. Je n’ai pas le temps de donner mon avis que Rosalie qui s’est crispée légèrement lorsque son mari a été mentionné, répond à Rose.

— Vous savez comme moi que mon cher époux, le pauvre vieil homme, n’est pas au mieux de sa forme et qu’il n’y a plus grand-chose à regarder, malheureusement. Et j’ai hâte de connaître la personnalité de Monsieur Maynard afin de m’assurer que vous êtes entre de bonnes mains et que son intelligence rayonne autant que son apparence.

— Eh bien, on croirait entendre le renard cherchant à récupérer le fromage du corbeau, souris-je, parvenant enfin à m’incruster dans leur échange. Que de compliments sur ma personne ! Je vous en remercie, je suis touché, mais je rejoins Rose. La beauté est relative et le plus souvent éphémère, la personnalité, au contraire, a cette permanence qui attire ou repousse de manière beaucoup plus pérenne. Tenez, ce Célestin, je ne l’ai croisé que quelques instants et je sais déjà que jamais je n’accepterai me lier d’amitié avec un tel homme ! Et s’il avait l’outrecuidance de demander la main de Rose, ce qu’il pourrait faire malgré son mariage vu les regards concupiscents qu’il jette sur ma protégée, je me verrais dans l’obligation de le provoquer en duel pour lui régler son compte !

— Bien que je vous remercie grandement de ne pas avoir pour projet de me jeter dans ses bras, je crois qu’il serait bon d’éviter d’en arriver là. Après tout, il y a deux enfants qui ont besoin de leur père, au-dessus de nos têtes, lance Rose en m’offrant un sourire. Et puis, cet homme pourrait avoir vingt ans de moins, être attrayant pour mes yeux, il suffirait qu’il ouvre la bouche pour me donner envie de fuir. J’ose espérer que même un mariage sans amour n’apporte pas un tel sentiment au quotidien…

— J’ai bien compris, Rose, votre désir profond de convoler avec une personne dont la simple vue vous donne des frissons, dont la voix vous bouleverse et dont la proximité vous fait perdre tous vos moyens. L’Amour, le vrai, je pense que peu d’entre nous ont la chance de l’approcher un jour. Et encore moins dans le mariage, on dirait. Je ne crois pas me tromper, Madame, ajouté-je en me tournant vers Rosalie, si j’affirme que votre époux est loin d’être l’amour de votre vie. Me concernant, j’ai eu la chance de rencontrer une femme formidable avec qui j’ai pu fonder une famille, dans un amour simple et naturel. En la perdant, j’ai eu l’impression que quelque chose se brisait en moi. Et jusqu’à très récemment, si on m’avait dit que l’Amour pouvait frapper à nouveau à ma porte, j’aurais tout simplement ri au nez de mon interlocuteur. Mais les blessures se referment et qui sait ? Une fois la peine apaisée, le cœur guérit et peut se tourner de nouveau vers l’avenir. Vous voyez, Rose, on dirait que vous avez réussi à me convaincre non seulement sur l’intérêt de vous trouver un mari aimant et aimé de vous mais aussi sur l’éventualité que pour moi, ce n’est peut-être pas le bout du chemin.

En prononçant ces mots, je pose mon regard sur elle et ressens son trouble qui fait écho au mien car je me dis qu’avec une femme comme Rose, il est facile de croire à l’Amour. Et que si je n’étais pas dans ce rôle de tuteur mais un simple invité à ce salon littéraire, j’aurais déjà écarté la collante Rosalie pour consacrer toute mon attention à la vicomtesse dans l’espoir secret de la séduire.

— À nos âges, Monsieur Maynard, on ne croit plus à l’Amour, persifle ma voisine, il ne reste que les plaisirs de la chair et les aventures temporaires et divertissantes dont on peut profiter sur le chemin de la déchéance et de la vieillesse.

— Je ne me permettrais pas de présager de votre âge, Madame, mais je peux vous assurer que je suis plus optimiste que vous sur mon avenir, surtout depuis que j’ai rejoint ce domaine ! Qu’en pensez-vous, Rose ? Sommes-nous trop vieux pour aimer ?

Il faut vraiment que je fasse attention car elle est tellement attirante dans sa magnifique robe bleu pastel que j’ai failli dire “nous aimer”. Mais que m’arrive-t-il ce soir ?

— J’ose croire que l’amour n’a pas d’âge… et qu’il suffit d’y croire pour avoir la chance de tomber sur une personne qui fait battre votre cœur plus fort et étire vos lèvres dans un sourire difficile à dissimuler. Mais je suis sans doute trop jeune pour pouvoir affirmer quoi que ce soit.

Pourquoi me lance-t-elle ce regard si intense quand elle prononce ces mots ? Et n’était-ce pas un “sourire difficile à dissimuler” qu’elle m’a également offert ? Je dois me faire des idées, là, ce n’est pas possible autrement. Ou alors, c’est le parfum enivrant qui se dégage d’elle qui me fait perdre la tête. Je vais devoir aller me désaltérer, j’ai l’impression de brûler littéralement sur place.

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