Chapitre 28

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Libres d’aimer ?

Rose

Ma petite tirade est accueillie par un silence un peu plus long que les précédents et je ne sais plus trop qui fixer. Je profite du passage de Thérèse avec un plateau empli de petites bouchées sucrées absolument divines pour me détourner du petit groupe créé, éloigner mon regard de cette vieille bique de Rosalie qui, si son attitude avec Philippe n’était pas si entreprenante, me semblerait somme toute fort agréable. Pour le moment, j’ai bien envie de lui renverser la théière sur le visage, histoire de voir si elle se montre aussi souriante et niaise si le coup de chaud vient de l’extérieur.

Mon Dieu, voilà que je divague totalement ! Mes pensées deviennent réellement peu agréables et je n’ai pas l’habitude de réagir si vivement à une personne, surtout lorsqu’il s’agit d’une femme. Pourtant, je dois avouer que Rosalie me pique au vif, et je n’avouerai jamais que c’est sans aucun doute le cas parce qu’elle s’accroche à mon tuteur comme un bébé au sein de sa nourrice.

Lorsque Thérèse quitte notre petit groupe, c’est pourtant moi que Philippe observe et je sens mes joues s’échauffer. J’ai parlé sans réfléchir, je n’ai pas pensé une seule seconde qu’il pourrait prendre mes propos à son compte, quand bien même il pouvait être visé… Rien qu’un peu ? Lui-même reconnaît qu’il pourrait envisager de trouver quelqu’un pour poursuivre sa route et offrir une belle-mère à ses enfants, après tout.

— Pourquoi ne pas croire en l’amour, Rosalie ? questionné-je finalement. Vous pensez-vous trop âgée pour avoir droit à un peu de douceur et de considération ? Pourquoi devriez-vous vous l’interdire alors qu’il semble que vous ne vous l’êtes finalement jamais autorisé ?

— Eh bien, parce que ça n’existe pas, tout simplement. Je suis mariée depuis plus de quinze ans et je n’ai jamais éprouvé le quelconque amour pour qui que ce soit. C’est pour ça que je parlais des plaisirs de la chair. Là, au moins, on ne se pose pas de questions. Soit on a un amant doué, soit il ne l’est pas !

— Avez-vous pu choisir votre époux ? Il est évident que si on vous a imposé un homme sous prétexte qu’il serait bon gérant de votre héritage, qu’une union le rendrait plus fort, je comprends. Mais justement, n’auriez-vous pas préféré trouver un homme qui vous fait vibrer ? J’imagine que le quotidien doit être bien plus agréable lorsque l’on vit avec une personne qui vous plaît et partage son temps avec vous par plaisir et non par obligation…

— Bien sûr que non, je ne l’ai pas choisi, me répond-elle vivement. Et puis quoi, encore ? Sous le bon roi Louis, on ne choisissait pas ! Je ne suis qu’une femme, voyons ! Quelle hérésie de croire que ça puisse être possible !

J’hésite une seconde entre lui rire au nez et lui faire avaler sa langue… Au lieu de quoi, j’avoue rester coite un moment.

— “Qu’une femme” ? Je crois qu’il vaut mieux que je quitte cette discussion au plus vite, soupiré-je. Si même les femmes n’ont aucune conscience de leur valeur, pourquoi lutter ? Qu’est-ce qui vous fait dire que vous n’auriez pas été capable de choisir vous-même un mari ?

— Eh bien, c’est juste impossible, voyons ! C’est le père qui choisit, tout le monde le sait. Pour préserver les intérêts de la famille.

— Les intérêts de la famille, ris-je, un peu amère. Je n’ai plus aucune famille, alors dites-moi, hormis mes propres intérêts, de quoi parle-t-on au juste ?

— Votre nom, votre titre, votre domaine. Cela n’appartient pas qu’à vous ! C’est votre héritage qui est en jeu.

Je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel et de souffler lourdement tandis que j’entends Philippe se racler la gorge à mes côtés. Je sais que je devrais rester silencieuse, à ma place de femme et je ne sais quelle autre idiotie purement masculine qui m’oblige à ne surtout pas me confronter aux hommes ou à exprimer mon opinion librement, sauf que l’homme qui s’incruste dans la conversation abonde dans le sens de la vieille Rosalie, tout comme Célestin qui est de retour. Magnifique… Les voilà partis dans un échange affreusement masculiniste, totalement imbuvable et agaçant qui fait même grimacer mon tuteur. Quant à moi, j’ai beau jouer la parfaite hôtesse, j’ai bien envie de leur faire avaler le bougeoir posé sur le guéridon derrière eux.

— Pardon, Messieurs, mais peut-être pourrions-nous également avoir le droit de parole ? Vous êtes ici chez moi et je ne peux plus placer un mot dans cet échange sans doute très intéressant pour vos propres égos, mais particulièrement ennuyeux pour la pauvre femme que je suis…

Il semblerait que ma remarque ait séché ces messieurs qui m’observent comme si j’avais osé montrer mes cuisses en public. Cela laisse cependant le temps à Philippe d’intervenir à son tour, comme s’il n’avait pas osé interrompre l’échange de peur de ne pas être entendu.

— Vous savez, les temps ont changé. L’amour est important pour une relation épanouie, je pense. Quand on a la charge de trouver un mari à une femme, on doit pouvoir essayer de concilier les deux, il me semble. Et il faut écouter cette femme si on ne veut pas se tromper.

— Et comment pouvez-vous envisager de faire cela, monsieur Maynard ? l’interroge le fameux Richard, fils du comte de Gervais.

— Eh bien, par la discussion, bien entendu. Pour moi, il est important de prendre en compte les ressentis de Rose et de faire au mieux en fonction de ceux-ci.

— Et comment allez-vous gérer le fait qu’une jeune femme ne sera pas attirée par un homme plus mûr ? Qu’elle puisse vouloir un jeune homme qui ne représentera aucun intérêt pour vos affaires ?

— J’ai confiance en son jugement. Est-ce si incroyable ? Rose, vous êtes quelqu’un de raisonnable, non ?

— J’aurais déjà fui loin d’ici si je ne l’étais pas, soupiré-je.

— Et donc, qu’est-ce qui pourrait vous plaire chez un homme ? poursuit Richard. J’aimerais bien savoir vu que le choix va venir de vous, en réalité.

— Eh bien, répliqué-je en observant discrètement Philippe, un homme qui me considère comme une personne capable d’émettre un avis et de penser par moi-même. Vous savez, j’ai grandi en étant instruite, autant que toute cette éducation me serve, non ? Alors, j’aimerais un homme avec qui je pourrais réellement échanger, qui ne me prendrait pas simplement pour une jolie plante et qui m’écouterait, vous voyez ? Je ne suis pas “qu’une” femme, je suis une femme. Quant aux hommes plus mûrs, ils ont généralement déjà plus d’expérience sur la vie de couple, alors pourquoi pas ? Qui a dit qu’une jeune femme ne choisirait pas un mari plus âgé, après tout ? Les hommes d’un certain âge ont à mon sens plus de maturité, de prestance, d’allure.

— Un homme comme moi, capable de vous respecter, somme toute, fait l’héritier du comte en m’adressant un sourire qu’il veut charmant mais que je trouve légèrement ridicule.

— C’est tout à fait cela, je ne sais pas si je pourrais réellement résister à un homme qui me respecte vraiment pour ce que je suis. Et s’il est séduisant et charmeur, je ne redeviendrai peut-être finalement qu’une femme, il me sera difficile de lui résister, je pense.

— Finalement, c’est peut-être votre tuteur qui a raison, on dirait. Vous ÊTES raisonnable et avez un jugement qui vaut la peine d’être écouté, s’amuse Richard qui me lance une oeillade devant laquelle je dois me forcer à ne pas éclater de rire.

Philippe semble trouver notre échange moins amusant car il pose son bras sur mon épaule et me lance d’un ton très sec, l’air un peu meurtri.

— Un mot en privé, s’il vous plaît, Rose. Maintenant.

J’acquiesce en le suivant alors qu’il m’entraîne jusqu’au boudoir. La porte claque dans mon dos quand il la ferme et je fronce les sourcils en l’observant.

— Y a-t-il un problème, Monsieur ?

— A quel jeu jouez-vous, Rose ? Vous ne vous rendez pas compte de l’effet de votre discours sur cet homme ? Il est abject, est-ce vraiment un tel homme que vous souhaitez épouser ? Avec vos propos, vous allez donner de fausses idées aux hommes présents et ils ne vont plus vous lâcher ! Je… je sais que j’ai dit que je vous laisserai choisir, mais je ne peux pas non plus accepter de vous laisser faire une telle erreur !

— Grand Dieu non, il est hors de question que je me rapproche de cet homme ! Je n’y peux rien s’il prend ces propos pour lui, enfin !

— Mais c’est normal qu’il les prenne pour lui ! Ils lui correspondent ou il va tout faire pour que ça lui corresponde ! Et je suis sûr que ce Célestin aussi va les prendre pour lui ! On dirait que vous donnez à tous ces hommes les moyens de faire semblant afin de vous séduire ! Un guide pour arriver dans votre lit ! Je ne peux pas vous laisser faire de telles folies, je suis désolé. Il vous faut un homme vrai, un homme qui ne ment pas et ne se fait pas passer pour ce qu’il n’est pas.

— Tout le monde fait semblant dans la vie, Philippe. Pensez-vous que jouer la gentille femme docile et silencieuse soit plus juste que de dire haut et fort ce que je pense ? Cela ne m’empêche pas d’avoir conscience que ces hommes ne sont pas pour moi, il m’a suffi de quelques échanges avec eux pour cerner leur attitude… Pourquoi est-ce que cela vous agace autant ?

— Non, vous avez raison, grommelle-t-il, un peu dépité, cela ne devrait pas m’agacer, je dois respecter vos choix, quels qu’ils soient. Du moment que vous trouvez un mari, ma mission sera remplie. Retournons auprès de vos invités avant qu’ils ne se posent des questions sur l’absence de l’hôtesse de la soirée.

— Vous voyez, vous-même faites semblant avec moi, à cet instant, ris-je. Vous n’êtes pas honnête avec moi, je crois.

Il agit surtout comme un homme jaloux ayant voulu m’éloigner de ses potentiels adversaires, je trouve. C’est plutôt mignon, j’en conviens, mais je ne voudrais surtout pas insulter sa virilité en le lui révélant.

— Ce ne sont jamais les bonnes personnes qui prennent les choses pour elles, en définitive, souris-je en me hissant sur mes pointes pour déposer un rapide baiser sur sa joue. Retournons-y, vous avez raison, l’avis d’autrui importe tellement…

Je quitte la pièce sans attendre pour rejoindre mes invités. J’aimerais parfois que ma voix porte davantage, mais comment être mieux considérée en tant que femme lorsque même mes congénères n’ont pas conscience du problème ? Et Philippe, dans tout ceci, que pense-t-il réellement ? Jusqu’à présent, il a peu tenu compte de mes propos, mais il semble davantage le faire depuis quelques temps… Est-ce parce que j’attire son intérêt ? Et cet intérêt est-il purement de façade ? Parce que si je peux laisser à penser à ces messieurs, lui n’est plus très clair avec moi non plus et je me sens un peu perdue à son propos… surtout qu’il semble bien plus ouvert avec moi depuis que Marcus a été malade. Comme s’il avait pris conscience que je n’étais pas qu’une jeune femme capricieuse et centrée sur elle-même… Non, il est certain que je ne suis pas centrée que sur moi puisque je pense énormément à lui…

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