Chapitre 29

10 minutes de lecture

L’impossible attraction

Philippe

— Père, vous pouvez me redire ce que “candide” veut dire quand ce n’est pas un prénom ?

— C’est quelqu’un qui est comme toi, intervient sa sœur : il croit tout ce qu’on lui dit !

— Je ne crois pas tout ce qu’on me dit, s’agace Marcus. Je fais confiance, c’est tout.

Je soupire et interviens dans leur dispute qui m’amuse plus qu’elle ne m’ennuie. Leurs échanges sont en effet toujours respectueux même si, comme tous les frères et sœurs, ils se chamaillent un peu.

— Candide, c’est en effet quelqu’un qui fait preuve de naïveté et qui n’analyse pas ce qu’on lui dit. C’est bien de faire confiance, surtout quand on est en famille, mais dans le monde, il n’y a pas que des gentils. On ne peut pas croire tout le monde, Marcus. Sinon, pour en revenir à ce livre de Voltaire, qu’en avez-vous pensé ? Vous avez compris pourquoi le travail est important ?

— Parce que quand on travaille, on ne s’ennuie pas, répond Jeanne.

— Oui, et on gagne de l’argent et on n’a pas le temps de faire des bêtises.

Je souris béatement car il nous a fallu un peu de temps pour arriver au terme de ce court roman en raison de mes nombreuses interruptions pour expliquer ou commenter les passages lus, mais nous y sommes arrivés et ils ont tout compris. Nous sommes installés dans le salon, en cette fin d’après-midi, et j’avoue que je n’ai pas vu le temps passer. Mes enfants non plus et je les écoute distraitement discuter tous les deux en rêvassant. Ils sont tellement mignons que mon cœur fond et je crois que si j’ai retrouvé cette proximité avec eux, c’est surtout grâce à Rose qui semble être capable de faire dégeler tous les glaçons qui pouvaient exister dans ma pauvre petite âme meurtrie. Je relève seulement les yeux lorsque la porte s’ouvre et que mon ami Louis entre et nous rejoint.

— Allez, les enfants, Aimée vous attend en haut. Allez la retrouver, elle devrait être présentable, maintenant. Je crois lui avoir laissé assez de temps.

Son petit air tout fier et satisfait ne laisse que peu de place au doute et je me demande comment il fait pour séduire toutes les femmes qu’il croise alors qu’il lui manque un bras.

— Cet après-midi lecture vous a plu ? leur demandé-je alors qu’ils se dirigent déjà vers la porte.

— Beaucoup, me répond Jeanne en se tournant pour me sourire. C’était très agréable, Père.

— Oui ! Il faut qu’on passe plus de temps ensemble ! ajoute Marcus en trépignant.

— Je confirme, rigole Louis, c’est très agréable de libérer Aimée ainsi !

Je lève les yeux au ciel en écoutant mon ami, mais souris intérieurement aux propos de mes enfants. Quel plaisir de les voir aussi heureux.

— Tu n’as pas honte de dévergonder la gouvernante de mes enfants ? l’interrogé-je alors qu’il prend place sur le sofa à mes côtés.

— Pas vraiment, non, rétorque-t-il en haussant les épaules. Cela pourrait être toi, tu en as conscience ? Tu lui plais depuis le premier jour.

— Je ne suis pas un homme à femmes, moi, tu le sais bien. D’ailleurs, la pauvre Babeth, elle en pense quoi ? Elle travaille ici, elle aussi, je suis sûr qu’elle s’est rendue compte que tu la délaissais, non ?

— Son père a menacé de me virer d’ici à coup de plomb dans le derrière, je crois qu’elle a compris que je préférais garder mes distances…

— Tu te mets toujours dans des situations pas possibles avec les femmes, mon Ami ! rigolé-je. Heureusement que tu étais plus prudent sur le champ de bataille ! Quoique…

— Hum… Les plaisirs de la chair valent bien un peu de danger, ils n’en sont que meilleurs. Tu devrais essayer, je t’assure !

Pourquoi ai-je immédiatement une image de Rose en tête ? Je suis malade, moi.

— Peut-être une fois que ma mission ici sera terminée. Tu vois, il y a du progrès, je ne dis pas que c’est impossible.

— Mais il y a de la chair fraîche ici ! Tiens, d’ailleurs, que dirais-tu que je te demande la main de Rose ? Tu as pensé à la marier à un bon vieil être humain ordinaire, qui ne se croit pas supérieur ?

— Ah non, pas à toi ! m’emporté-je immédiatement avant de poursuivre plus calmement. Enfin, je suis sûr que tu ferais un bon mari, mais elle sait ce que tu fais de ton temps et ne sera jamais intéressée par un mariage avec un homme volage comme toi.

— Qu’est-ce que tu en sais ? Je la fais rire et je l’écoute lorsque nous discutons. Et puis, je ne suis pas contre les femmes plus libres que ce qu’elle subit quotidiennement, un point positif pour moi !

— Eh bien, si elle doit épouser quelqu’un qui n’est pas noble, j’aimerais autant que ce soit moi, avoué-je avant de sentir mes joues rougir sous le regard inquisiteur de Louis.

— Mais bien sûr, toi de nouveau marié ! s'esclaffe-t-il avant de reprendre son sérieux. Tu ne plaisantes pas ? Oh mon Dieu, la jolie Rose ne te laisse pas du tout indifférent !

— Ce serait difficile de l’être, tu disais toi-même qu’elle avait du charme…

— Bien sûr qu’elle en a, elle a même de jolis atouts, mais je ne te pensais pas intéressé du tout… Je n’ai pas fait attention, tu te montres plutôt discret, mon cher.

— Eh bien, c’est surtout que je suis son tuteur et que mon travail est de lui trouver un mari digne de ce nom, pas de laisser parler une quelconque attirance. Tu imagines le scandale si je venais à l’épouser ? Tout le monde dirait que j’ai utilisé ma position pour m’emparer de ses terres… Et puis, ce n’est pas parce qu’elle me plaît que c’est réciproque, de toute façon. Je te rappelle que je lui ai dit qu’elle est libre de choisir qui elle veut pour son mariage.

— Eh bien, je suis persuadé que si tu prends le temps de la charmer et que tu te laisses un peu aller, tu pourrais la séduire. Quant aux scandales, j’ai envie de te dire que cela n’a pas grande importance à mes yeux. D’ailleurs, si tu veux étouffer ton scandale, je pourrais coucher avec Thérèse, peut-être. Ou… je ne sais pas, essayer d’engrosser la gouvernante ? ricane-t-il.

— Ne dis pas de bêtise, Louis, souris-je. Personne ne se préoccupe du sort de Thérèse ou d’Aimée, alors que tous les regards sont portés sur la vicomtesse. Et puis, je ne vais pas prendre le temps de la charmer, je dois lui trouver un mari, c’est antinomique, non ?

— Son père n’a écrit nulle part que tu ne pouvais pas être ce mari à ce que je sache.

— J’ai treize ans de plus qu’elle ! A quelques années près, je pourrais être son père. Rien n’arrivera, c’est certain.

— Tu as raison, tu es tellement étriqué d’esprit que je doute qu’elle te supporte sur le long terme, se moque-t-il. La preuve !

Étriqué d’esprit ? Je ne crois pas, je dirais plutôt réaliste, mais je préfère ne pas insister sur le sujet et me lève en entendant les bruits de sabot d’un cheval qui approche à vive allure. Je regarde par la fenêtre et constate qu’il s’agit d’un homme seul, vêtu d’une livrée que je ne reconnais pas.

— Tu attends de la visite ?

— Absolument pas… Monsieur manque de classe et de poitrine pour moi !

Je rigole avec lui et nous nous dirigeons vers le porche pour accueillir notre visiteur avec curiosité. Il est descendu de son cheval et s’approche de nous, cherchant clairement à savoir à qui il doit s’adresser pour respecter les conventions.

— Citoyen, je suis le responsable de ce domaine, l’interpellé-je pour faciliter son arrivée. Que puis-je faire pour vous aider ?

— Voici pour vous, Monsieur, rétorque-t-il en me tendant une enveloppe. Avec mes respects.

Je me saisis du pli et indique au messager de se rendre en cuisine afin de se reposer. Cela me permettra aussi de répondre si besoin, le temps de découvrir ce qu’il m’a remis. Le papier semble de qualité mais le nom figurant sur le haut de l’enveloppe ne me parle pas. Une certaine Madame de Beaumarché. Elle a entendu parler de la réception organisée par Rose et l’invite à venir assister à une représentation théâtrale au sein de son domaine. Si je comprends bien, c’est une création d’un spectacle imaginé par un jeune artiste dont elle assure le patronage.

— Je vais aller demander à Rose de qui il s’agit. Je n’ai jamais entendu parler de ce nom. Et si on décide d’aller voir le spectacle, tu viendrais avec nous ?

— Bien sûr, toutes les occasions sont bonnes pour boire, manger et copuler à l'œil, ricane Louis avec un sourire vicieux planté sur les lèvres.

— Tu ne penses vraiment qu’à ça, ris-je en prenant les escaliers qui mènent à l’étage pour avoir l’avis de Rose sur cette invitation.

Arrivé devant sa porte, je frappe et attends une réponse. N’entendant aucune réaction, je réitère mon geste au moment-même où j’entends sa douce voix me dire d’entrer.

— Rose, commencé-je en poussant la porte, j’ai besoin de votre avis.

Je m’arrête net dans mon élan devant la vue qu’elle m’offre. Clairement, elle vient de faire ses ablutions et sort du bain. Elle ne porte qu’une petite chemise de nuit blanche qui ne cache pas grand-chose de son corps, ses cheveux encore mouillés collent à son vêtement qui devient légèrement transparent à quelques endroits du fait de l’humidité. Et moi, je reste interdit devant cette vision, oubliant totalement pourquoi je suis venu la voir. J’ai juste envie de la serrer contre moi, de lui retirer cette fine chemise et découvrir les merveilles qu’elle cache.

— Philippe ? Est-ce que vous vous sentez bien ? Vous semblez… avoir vu un fantôme ? Ou entendu une sirène, sourit Rose en passant sa main devant mes yeux. Tout va bien?

Je me morigène intérieurement pour mon manque de discrétion et reprends mes esprits. Je lui tends la missive qu’elle saisit sans se couvrir, amusée de l’effet qu’elle provoque chez moi et… excitée si j’en crois la pointe de ses tétons que je devine de plus en plus clairement. Ou alors, elle a simplement froid et c’est moi qui ai un problème en sexualisant tout ce qui la concerne ?

— Tout va bien, oui. J’ai reçu ce courrier, savez-vous qui est cette Madame de Beaumarché ? Elle nous invite à une représentation théâtrale…

— Oh… Eh bien, je ne suis jamais allée à l’une de ses festivités, mais j’en ai beaucoup entendu parler. Madame de Beaumarché est une vieille veuve sans enfant, qui pense que passer son temps à critiquer et juger tout et n’importe quoi rend heureux, nous risquons de beaucoup nous amuser si nous ne prenons rien au sérieux. En êtes-vous capable, Philippe ?

Je jurerais qu’elle fait exprès de rester près de moi et de se pencher pour lire la lettre à mes côtés. Je respire avec délice son odeur fruitée et me fais la réflexion que ce n’est pas très convenable d’être si proche d’elle alors qu’elle est si peu vêtue. Surtout que mon corps commence à réagir et que je me sens un peu à l’étroit dans mon pantalon. En sa présence, je ne me reconnais plus.

— Capable de quoi ? demandé-je un peu perdu, ayant perdu le fil de la discussion.

— Vous êtes sûr que vous vous sentez bien ? me demande-t-elle en posant sa paume sur mon front. Vous n’êtes pas malade, rassurez-moi ?

— Non, je ne suis pas malade, la rassuré-je en sentant la température de mon corps augmenter à son contact, surtout qu’en levant le bras, sa chemise est remontée et a dénudé une grande partie de ses jolies jambes que je découvre bien galbées et magnifiquement proportionnées.

— Je disais, êtes vous capable de tout prendre à la légère ?

— Je peux essayer, oui, même si cela ne me vient pas naturellement, je vous le concède. Donc, souhaitez-vous que je confirme à Madame de Beaumarché notre venue ? redemandé-je en cherchant à me concentrer sur le papier entre mes mains et pas sur les yeux noisette de la belle jeune femme qui me dévisage.

— Eh bien… j’imagine qu’il faudrait y aller. Malgré son comportement et ses excentricités, beaucoup de personnes se rendent à ses festivités.

— Est-ce que cela vous ferait plaisir ? Et puis, ce serait peut-être l’occasion de faire des rencontres, non ?

— Oui, il faut me marier après tout, soupire-t-elle en me tournant le dos pour aller s’asseoir sur son lit.

Elle penche la tête pour commencer à coiffer ses longs cheveux et je peux maintenant apprécier sa jolie nuque et la cambrure de ce dos que j’ai envie de caresser. Il faut que je sorte de cette pièce rapidement, sinon je vais finir par faire une grosse bêtise.

— Je vais de ce pas rédiger une réponse en ce sens, alors, bégayé-je. On se retrouve pour le repas du soir ?

— Bien sûr. A plus tard, cher tuteur…

Je cours presque jusqu’à mon bureau, ne manquant pas le regard scrutateur de Rose posé sur moi quand je referme la porte et essaie de calmer toutes les émotions qui me submergent. Je suis en train de faire n’importe quoi mais il est désormais de plus en plus clair que non seulement je trouve Rose charmante et attractive, mais qu’en plus, j’ai de plus en plus de mal à contrôler. Vivement que je lui trouve un mari sinon je vais y perdre mon âme.

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