Chapitre 32

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Le feu couve

Rose

Je souris en voyant Marcus sauter de la berline derrière sa sœur qui lève les yeux au ciel, puis je les rejoins à l’extérieur en agrippant la main que me tend Philippe. Le soleil est haut dans le ciel et quelques nuages se joignent à lui en cette belle journée de la Saint Jean. Il y a beaucoup de monde et de nombreux étals, une scène et des bancs sur lesquels assister aux spectacles prévus… Beaucoup d’enfants courent dans tous les sens et je ne m’étonne pas de voir les deux qui nous accompagnent trépigner d’impatience.

Je ne lâche pas Philippe, passe mon bras sous le sien et agrippe le bas de ma robe de ma main libre pour pouvoir marcher plus aisément. Les joies des toilettes de sortie… Voilà qui ne me manque pas lorsque je suis à la maison. Si cela ne tenait qu’à moi et que je n’avais pas à avoir une certaine image, je sortirais en tenue d’équitation la plupart du temps.

Louis fait un peu l’imbécile, cherchant à faire rire les enfants et la gouvernante qui semble plus intéressée par l’ancien soldat que par les deux petits monstres, tandis que nous avançons à travers la foule. L’ambiance est joviale, festive même, les artisans proposent des marchandises diverses et variées, donnent de la voix pour nous les vendre, hèlent les passants, proposent des dégustations, mais nous visons un peu tous la même chose, les yeux levés en direction de l’estrade. Des jongleurs sont en plein numéro et Marcus s’extasie en se mettant à courir. Il s’assied sur un banc et je l’entends ronchonner que les adultes sont trop grands tandis que nous le rejoignons.

— Jeanne prend toujours soin de son petit frère, c’est adorable, soufflé-je alors que l’intéressée aide Marcus à se mettre debout sur le banc tout en le tenant.

— Il faut croire que se retrouver sans leur mère les a rapprochés. Parce que je peux vous dire que quand il était bébé, elle était plutôt du genre à bien l’embêter !

— Et il le lui rend bien aujourd’hui. Il passe son temps à la taquiner… Vous avez des frères, des sœurs, Philippe ?

— Non, ma seule famille, c’étaient vos parents. Et Louis est ce qui s’apparente le plus à un frère pour moi, même si quand je le vois batifoler à droite et à gauche, je suis content de pouvoir affirmer haut et fort que nous n’avons aucun lien de parenté, rigole mon tuteur.

— J’imagine, gloussé-je. Heureusement qu’il est adorable quand il ne courtise pas à droite à gauche, mais je doute que Thérèse et son époux pensent la même chose que moi.

— Il laisse tranquille leur fille, en ce moment, non ?

— Je crois bien, oui… Mais le mal est fait. Cet homme est à éloigner de toute vierge à marier, si vous voulez mon avis. Heureusement que je suis une femme sage, Monsieur, sans quoi ma vertu ne serait plus à vendre.

— L’êtes-vous vraiment, si sage, ou bien n’êtes-vous tout simplement pas séduite par mon ami ?

— Je ne suis pas sûre que vous souhaitiez vraiment une réponse à cette question, mon cher, le provoqué-je. Quelle serait la bonne réponse pour vous ?

— Je compte sur vous pour être sage jusqu’à votre mariage et ensuite de vous laisser aller à toutes vos envies, sourit-il.

Je jette un regard alentour et constate que Louis et Aimée ont disparu… Jeanne et Marcus sont tout à leur observation et leur père et moi avons une relative intimité. Je souris et me penche un peu plus dans la direction de mon tuteur.

— Pourquoi dois-je être frustrée jusqu’au mariage ? Ne trouvez-vous pas cela injuste ? Et si je voulais réaliser toutes mes envies dès à présent ? D’ailleurs, qui vous dit que je ne l’ai jamais fait ?

— Si vous vouliez réaliser toutes vos envies dès à présent, je vous dirais que la société ne vous le permet pas et que ce n’est pas plus mal ainsi. Il est important de vous préserver pour votre futur époux qui n’apprécierait pas de ne pas être votre premier. Juste ou injuste, ce n’est pas à moi de le juger. Quant à savoir si vous l’avez déjà fait, je ne tomberai pas dans votre provocation, je sais que vous avez été bien entourée jusqu’à présent et que vous n’avez pas dû avoir beaucoup d’opportunités de faire des écarts.

Je m’esclaffe bruyamment et pose ma main sur ma bouche en tentant d’enrayer mon fou-rire. S’il savait le nombre de fois où j’aurais pu fauter, ne serait-ce qu’à Londres…

— J’aimerais que vous me trouviez un homme innocent pour époux, Philippe. Pensez-vous que cela soit possible ? Et j’entends par là, un homme n’ayant jamais été marié, n’ayant jamais fricoté avec une servante, jamais visité un bordel… Un homme qui l’a gardé dans son pantalon, somme toute. Pensez-vous cela possible, mon cher ?

— Vous mettez dans le même panier un homme qui a été marié avec un qui a visité un bordel ? m’interroge-t-il, visiblement blessé par mes propos. Je… je crois que là, je vais avoir du mal à trouver un tel homme. Et cela m’interroge. Vous n’aimeriez pas découvrir les plaisirs de l’amour avec un partenaire expérimenté ?

— Parce que c’est ainsi que vous avez vous-même découvert les plaisirs de l’amour ? C’est donc pour cela que les hommes vont au bordel ? l’interrogé-je. Et si j’ai envie de découvrir ces plaisirs en même temps que mon époux ? D’explorer les choses à deux ? Pourquoi l’homme devrait-il tout m’apprendre, Philippe ? Les femmes sont-elles si stupides ? Entre nous, je suis capable de me faire plaisir toute seule, vous savez ?

— Toute seule ? rougit-il d’abord avant de se reprendre. Non, cela ne m’étonne pas de vous, en réalité, vous connaissant. Et je crois que vous admirer exercer cette capacité pourrait être un spectacle fort réjouissant, me provoque-t-il à son tour. Par contre, je n’ai jamais fréquenté le bordel, j’ai eu la chance de tout découvrir avec la mère des enfants. Comme vous, je crois qu’elle était loin d’être stupide et j’ai beaucoup appris en l’écoutant. Peut-être d’ailleurs que vous auriez vous aussi des choses à m’apprendre ?

Après ses joues rougies, c’est à mon tour d’être légèrement gênée bien qu’également un peu excitée par cet échange… Je doute que nous ayons une conversation ordinaire entre un tuteur et sa pupille, mais c’est justement ce qui me plaît. Et si le provoquer m’est agréable et que je me régale à le faire, je dois avouer avoir trouvé un adversaire à ma hauteur maintenant qu’il se montre moins rigide et fermé.

— Vous êtes bien trop poli pour assister à ce fameux spectacle, Monsieur. Pour cela, il aurait fallu que vous entriez dans ma chambre sans frapper hier matin, chuchoté-je à son oreille.

— Et qui vous dit, chuchote-t-il à son tour, que je n’ai pas attendu patiemment derrière la porte que vous redescendiez du petit nuage sur lequel vous étiez si j’en crois les bruits étouffés qui se faisaient entendre ?

Je détourne le regard et je sens mes joues s’échauffer. Philippe m’a-t-il réellement entendue ? Je n’ose imaginer ce qu’il a pu penser de moi… Mais qu’est-ce que je raconte, peu m’importe ce qu’il pense de moi ! Pourquoi n’aurais-je pas le droit de découvrir mon corps et le plaisir.

— Peut-être auriez-vous dû me rejoindre, puisqu’il me faut apparemment un partenaire expérimenté pour la découverte du plaisir ? rétorqué-je en reprenant mon assurance.

— Ah mais je ne suis pas votre mari, malheureusement. Sinon, je peux vous assurer que ça aurait été avec plaisir.

— C’est ridicule, soufflé-je en applaudissant les artistes qui saluent leur public. Pourquoi nous priver si nous en avions envie tous les deux, dites-moi ?

— Je dois être trop poli, finalement, répond-il, son regard porté sur les jongleurs.

— Ou un peu stupide, mon cher, souris-je en attrapant la main de Marcus pour le faire sauter du banc. Et si nous allions acheter de quoi nous remplir le ventre ? Je meurs de faim.

— Allons-y, oui. La bouche pleine, nous dirons sûrement moins de bêtises.

Il nous faut faire la queue durant un petit moment devant un stand pour enfin être servis. Évidemment, qu’il s’agisse de Philippe ou de moi, nous ne poursuivons pas notre petit jeu alors que les oreilles de Jeanne et Marcus traînent. Cependant, les regards que nous échangeons ne trompent pas… Je joue avec le feu, j’en ai conscience. Provoquer de la sorte un homme n’est pas convenable et pourtant, je prends beaucoup de plaisir à le faire, sans doute parce que Philippe se montre bien plus réceptif que je l’aurais imaginé… et qu’il me plaît. Je ne saurais dire comme c’est possible, lui qui s’est montré si rustre et désagréable avec moi, comment ai-je pu craquer ?

Je suis en train de débarbouiller grossièrement Marcus avec mon mouchoir lorsqu’une ombre me fait me retourner. Je suis surprise de croiser le regard d’une ancienne amie de ma mère qui a quitté le village pour rejoindre la Capitale. Emilie Voisin, épouse du comte de je-ne-sais-quoi, me sourit et m’observe avec attention.

— Il me semblait bien t’avoir reconnue, Rose, me lance-t-elle avec une douceur et une bienveillance qui me rappellent ma mère. Que je suis heureuse de te revoir !

— Le plaisir est partagé. Je ne pensais pas te croiser ici.

Je me lève et accepte l’étreinte dont elle me gratifie tout naturellement, puis me tourne vers mes acolytes.

— As-tu déjà rencontré Philippe ? Il était ami avec mes parents…

— Je ne crois pas, non.

— Eh bien, Philippe Maynard, ainsi que Jeanne et Marcus… Je vous présente Emilie… Une amie proche de ma mère.

— Enchanté, Madame. J’espère que vous profitez autant que nous de cette jolie fête.

— En effet, l’ambiance est très appréciable. Je ne savais pas que tu avais quitté Londres, Rose. Si j’avais su, je t’aurais invitée à venir loger quelques jours chez nous, histoire de rattraper le temps perdu. En tout cas, cela me fait plaisir de te voir si bien entourée, vous formez une bien jolie famille, tous les quatre.

— Oh, non, je… bafouillé-je en riant, mal à l’aise. Philippe est mon tuteur, il est chargé de décider de ma vie pour moi…

— Oh excuse-moi, vu la façon dont il te regarde, j’ai cru… non, rien. Désolée de la méprise.

— La façon dont je la regarde ? demande l’intéressé, gêné. C’est juste qu’il faut que je la protège, et, rassurez-vous, je ne décide pas de grand-chose dans sa vie.

— Oh, Philippe, vous me brisez le cœur, ironisé-je malgré la petite pointe de contrariété qui m’a saisie à sa justification. Emilie, n’aurais-tu pas un cousin ou un frère à la recherche d’un mariage ? Mon tuteur n’attend que cela pour se débarrasser de moi. J’avoue que me trouver un mari n’est pas la tâche la plus aisée…

— Tu es sûre que tu n’as pas déjà tout ce qu’il te faut ? me demande-t-elle en plissant les yeux.

— Déjà tout… Pardon ? Non, bien sûr que non ! Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne suis pas mariée, enfin, puisque je te dis que l’on me cherche un époux.

— J’ai l’impression que vous ne cherchez pas au bon endroit. Bref, cela ne me regarde pas. Passe me voir, à l’occasion, cela me ferait vraiment très plaisir.

J’acquiesce alors qu’elle nous salue et s’éloigne pour retrouver son époux qui n’a même pas pris la peine de se joindre à nous. Je sens le regard pesant de Philippe sur moi lorsque je me réinstalle, lui souris, un peu gênée par les propos d’Emilie, et termine d’essuyer le visage de Marcus lorsqu’il prend la parole à son tour.

— Rose, pourquoi tu dis tout le temps qu’on te cherche des poux ?

— Pas des poux, un époux, idiot, le tance sa soeur. Ça veut dire un mari, voyons !

— Ah mais si tu cherches un mari, pourquoi tu ne demandes pas à Père ? Il est beau et il n’a pas de femme depuis le départ de Maman. Vous pourriez être seuls ensemble, non ?

Une partie de moi meurt d’envie d’éclater de rire, mais c’est surtout une gêne bien perceptible, une fois encore, sur mon visage, qui s’installe. Si les enfants connaissaient la teneur de mes pensées, parfois, ou de nos échanges avec leur père… Mon Dieu, je n’ose imaginer !

— Je ne suis pas sûre que ton père cherche une nouvelle femme, mon grand. Et puis, tu sais bien qu’il ne peut pas me supporter, il aime trop quand tout tourne rond et qu’aucun imprévu ne montre son nez.

— Je crois que c’est vous qui ne me supportez pas parce que j’aime un peu trop les imprévus que vous m’offrez de plus en plus souvent, rétorque-t-il, ses yeux brûlant de désir posés sur moi.

Je lui offre mon plus beau sourire ainsi qu’un clin d'œil avant de me tourner en direction du feu de la Saint Jean qui ne devrait pas tarder à être allumé. Il est grand temps que nous arrêtions de nous chercher aujourd’hui, au moins en présence des enfants, parce que la gentille et bien éduquée Rose a le crâne en surchauffe, sans parler de son corps. C’est assez étrange d’être ainsi survoltée à cause d’un homme, et je crois que j’y prends vraiment goût…

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