Chapitre 15 : Des jours noyés

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— Mirabelle.

Elle passa sans le regarder :

— Ædrian, lâcha-t-elle.

Ædrian essuya son front. Le soleil cognant, il avait ôté sa chemise.

— Un instant, Roger.

Ils étaient dans la grande cour, s’entraînants. Mirabelle allait à l’écurie. Elle marchait la tête haute, le pas leste, un seau dans la main, l’autre appuyée sur une hanche qui vaguait en remous, dans une ondulation lascive et hypnotique – s’en rendait-elle seulement compte ? Ædrian s’interrogeait : en avait-il toujours ainsi ? Ou ne le remarquait-il que maintenant.

Une semaine qu’ils se saluaient comme ça, s’ignorants comme des étrangers. S’il avait d’abord supporté la situation, Ædrian s’ennuyait de cette comédie ridicule. Parfois, elle l’observait pendant ses leçons. Probable qu’elle se croyait discrète, mais il l’apercevait, cachée derrière un mur ou une fenêtre.

Il songea à lui en toucher un mot, mais Roger l’attendait pour reprendre l’entraînement.

— Allons-y.

Lorsqu’ils eurent terminé, Ædrian rejoignit Jolimar. Désormais, celui-ci partageait – avec Marlo – les exercices théoriques de magie. Ils allaient rarement jusqu’à la pratique, mais Jolimar l’y invitait parfois.

— Comment peut-on apprendre sans pratiquer ? répétait souvent Ædrian.

Ædrian soupçonnait Marlo d’avoir peur. Il rechignait à laisser Ædrian s’exercer et lui conseillait toujours d’attendre Jolimar. Pour Ædrian, Marlo s’éloignait. Cela depuis leur retour de La Franche. Il était plus taciturne et s’irritait facilement. Il ne se rasait plus et ses joues se creusaient, son regard devenait fuyant et couvait de larges cernes. Il ne partageait même plus ses repas, se recluait et disparaissait des heures. Fait étrange : il hantait la bibliothèque, se plongeait dans des vieilles archives et écumait les recueils d’Histoire. Évidemment, cela nuisait à l’enseignement mais sitôt qu’Ædrian s’intéressait à son cas, Marlo éludait et se repliait sur lui-même.

Une fois, il avait évoqué le sujet avec Cassadre. Celle-ci lui avait répondu sur un ton badin :

— Marlo ? Il est jaloux, rien de plus. Il a toujours été très réservé.

— Mais jaloux de quoi ? s’était énervé Ædrian.

— De toi. De tes capacités, de tes pouvoirs. Parce que tu es l’« Elu » de Jolimar. Comme il l’a été avant toi.

— Qu…quoi ?! Marlo a été un…Elu ?

— Oui, Jolimar a une sorte de…syndrome de l’Elu.

Alors elle avait détourné le regard, et la conversation avec ; et ils n’en avaient plus jamais parlé.

— Ædrian ? gronda Jolimar. Ne te laisse pas déconcentrer. Un magicien déconcentré pendant qu’il explore le Magemonde est un magicien mort.

— Bien sûr, excusez-moi, maître.

Ædrian s’était trouvé un nouveau souffle après la venue de Liam. Bien que son départ l’ait laissé profondément triste, il s’attelait désormais à remplir ses journées du mieux qu’il le pouvait, et œuvrait à enrichir ses connaissances et sa maîtrise de domaines qu’il avait trop longtemps remisés. Il passait beaucoup de temps à la bibliothèque, lisait et interrogeait les livres sur le monde ; le sien et l’autre. Herbert, l’archiviste, lui était même devenu amical. Ædrian remarquait désormais comme son regard et ses manières changeaient dès lors qu’il apercevait Mirabelle, et il nourrissait même une certaine compassion à l’égard du vieux garçon.

— Ædrian !

— Pardon.

Il ferma les yeux un instant, les rouvrit : il marchait au milieu d’une plaine. Depuis ses allers-retours, de plus en plus fréquents, il avait remarqué l’herbe jaunie, les buissons devenus osseux, les broussailles de plus en plus éparses… Il était désormais forcé de s’aventurer plus loin pour puiser. Mais toujours, il évitait le bois, avec un vague doute, une réminiscence solide. Les arbres se coloraient de noir, les feuilles étaient devenues cendreuses et il refusait d’y entrer, effrayé par ce qu’il pourrait y trouver. Finalement, il allait au-delà de la lande et pénétrait dans ce monde obscur et inquiétant que les mages nommaient « Magombre ».

Ici, nulle végétation, tout n’était que rochers, feu et coulées de lave. Un monde d’ombres et de lumières crues. S’il s’écoutait, le Magombre le terrifiait. Ce lieu ravivait chez lui une braise oubliée et soulevait des rémanences terribles ; pourtant Jolimar le poussait à s’y aventurer, à vaincre la peur pour s’en nourrir, mais lui interdisait d’y puiser.

— Ædrian !

Ils étaient sortis sur la tour est, celle qui dévisageait les montagnes. Ædrian fixait le pan de roche. Il revenait dans la plaine, au milieu des débris de végétations…

Puis il laissa retomber ses bras le long de son corps en soufflant. Il tremblait et le soleil lui semblait aveuglant.

— Jolimar, haleta-t-il, j’ai l’impression que mon Magemonde a…changé.

— Concentre toi Ædrian, bon sang ! Un magicien doit refluer le flot de ses pensées en même temps qu’il se canalise ! sinon, il ne fait rien et il est mort.

— Je sais, pardon. Mais j’ai l’impression que mon Magemonde se…flétrit.

— Ce n’est pas « ton » Magemonde, c’est seulement ta partie, celle que tu explores. Je te l’ai déjà dit.

— Oui, mais alors pourquoi il a changé ?

— Si tu avais suivi les enseignements en première année tu le saurais : la magie n’est pas une essence surnaturelle, quelque chose de cosmique ou une énergie céleste. Ce n’est pas seulement dans ta force que tu puises les ressources nécessaires à son utilisation mais aussi dans le vent, la terre, l’eau, le feu…tu vois ? C’est élémentaire.

— Oui, maître.

— Va-t-il falloir tout te réapprendre ?

Ædrian réfléchit. Il avait des bribes d’enseignements, mais ne s’était jamais beaucoup passionné pour la théorie. À vrai dire, il ne s’intéressait pas à grand-chose.

Les leçons d’équitations étaient reportées. Depuis que Chateaubourg se confinait, ils ne sortaient plus de Fortmage. La pandémie avait rapidement été maitrisée et endiguée – une population peu nombreuse couplée à une réaction rapide avait facilité la tâche – et le nombre de malades régressait, mais certains cas s’étaient encore déclarés cette semaine. Les gardes ramenaient leur lot d’histoires sordides. Ædrian passait beaucoup de temps parmi eux, il s’intéressait plus que jamais à la vie du château et s’était noué d’amitié avec un jeune sergent d’armes : Jeannot. Il entendait des récits de corps déformés, les membres déchirés par la maladie. Les survivants étaient marqués à vie, les estropiés nombreux. Hier encore, on avait brûlé une famille au complet, avec six enfants dont la plupart ne dépassaient pas dix ans. Les gardes rechignaient à jouer les croque-morts, on attendait au minima la dizaine conseillée pour s’approcher des cadavres infectés et on évitait les vivants.

Un jour, Jeannot vint le trouver :

— Suis-moi, dit-il.

Une infirmerie rudimentaire avait été aménagé dans la cour principale. Il n’y avait jamais rien car on brûlait généralement les restes sur place et la maladie n’avait de place dans la vie d’Ædrian que par les histoires des factionnaires. Là, trois sentinelles montaient la garde autour de la tente. Placée à l’écart, tout le monde l’évitait avec précaution.

— Rentre, t’inquiète ; il est mort depuis quinze jours et n’est plus contagieux.

Jeannot l’introduit à l’intérieur, pendant que les factionnaires détournaient les yeux.

À l’intérieur, une odeur pestilentielle flottait et Ædrian se boucha le nez en pestant.

— Regarde, lui dit Jeannot, soulevant le drap du bout de son épée, qui masquait une forme vaguement humaine.

Ædrian réprima un juron : un corps au visage défiguré et à la peau boursouflée reposait sur une table improvisée. Ses membres se détachaient et il était couvert de pustules et de plaques gangréneuses.

— Quoi ?! Mais t’es malade ?!

— Regarde bien, son bras.

Ædrian eut un sursaut : là où la maladie avait épargné la peau, celle-ci prenait un teint hâlé, qui tirait sur des nuances plus sombres. Presque noir.

— Jeannot, c’est dégueulasse. Sa peau moisit !

— Non vieux, c’est pas la maladie. Le bras est tombé avant de pourrir. C’est sa couleur naturelle.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire ?!

— Aucune idée…

— Je me casse.

— Oui, tirons-nous.

Ils sortirent dans la cour et se dirigèrent le long du chemin de ronde.

— On l’a sorti des tentes aménagées pour les réfugiés. Il venait probablement de La Franche, avec la dernière fournée. Le capitaine a dit que ça intéresserait la reine et son magicien.

Jeannot s’appuya contre les remparts, son bras pointait un horizon incertain, embrassait vaguement le sud.

— Des rumeurs disaient que c’était un gars du sud. Pourtant, y’a rien au sud, non ?

— J’en sais rien. Tout le monde tient un discours différent.

Jeannot eut un sursaut :

— Hé vieux, tu diras rien, hein ? J’y risque ma place, peut-être ma tête.

Plus tard, Ædrian allait à la bibliothèque. L’archiviste Herbert lui sourit :

— Marlo est là, chuchota-t-il.

— Je m’en doute, grommela Ædrian.

Mirabelle, quant à elle, semblait avoir déserté l’endroit et n’y passait plus que rarement. Ædrian farfouilla dans les étagères, cherchant des ouvrages qu’il aurait manqué. Mais si on traitait d’avant, quand la terre n’était pas ravagée, lorsqu’elle était encore peuplée de forêts, d’herbe et de lacs ; d’oiseaux, de sangliers et d’hommes, rien ne mentionnait le désert et ce qu’il y avait au-delà.

— Ils ont vidé les livres qui traitent des purges, murmura la voix d’Herbert dans son dos. C’est comme si tout ça n’avait jamais existé.

Ædrian se retourna :

— Vous savez où ils les ont rangés ?

— Ils les auront probablement cachés. Ou détruits. C’est une perte immense pour la mémoire. L’Histoire ne devrait jamais s’effacer.

— Comment savez-vous cela ?

— Mon père était déjà archiviste, et son grand-père avant lui.

— Qu’en savez-vous ?

Herbert haussa les épaules :

— Pas grand-chose, ce que tout le monde sait déjà : les magiciens ont mené une guerre terrible et ravagé le territoire, à tel point qu’il devint inhabitable pour des humains. Ces derniers voulurent éradiquer les magiciens, fin. C’est tout ce que je sais. Ce que tout le monde sait.

— Ah…

Ædrian eut soudain une pensée, une question qu’il n’avait jamais éclaircie :

— Et les dragons, où est-ce qu’ils vivent ? Que savez-vous sur les dragons ?

— Les dragons ? s’étonna Herbert. Ils ont été exterminés il y a longtemps à force de chasse. Leurs écailles et os étaient rarissimes et prisés par la noblesse, ils n’avaient aucune chance dans ce monde.

Herbert fronça les sourcils :

— Mais pourquoi cet intérêt soudain pour de pareils sujets ?

— Comme ça… marmonna Ædrian, comme ça…

Ædrian quitta la bibliothèque embêté : venu pour des réponses, il repartait plein de questions.

*

Adam leva les yeux au ciel : le soleil mourrait. Bientôt il ferait nuit. Il essuya son front et réfléchit : si Mirabelle n’était nulle part, alors elle devait être à la bibliothèque. Elle devenait distante. Il ne comprenait pas, ou refusait...

« Non, elle est seulement troublée, songea-t-il. Renart…cela nous a tous tourmenté. Il est normal qu’elle soit ainsi. C’est là sa manière de réagir. »

Elle ne se rendait plus aussi souvent à la bibliothèque. Autrefois, ils s’y retrouvaient toujours. Il se souvint de leur rencontre. Lui avait douze ans. Mirabelle dix. Les parents – ils habitaient Chateaubourg – avaient amené la gamine devant les portes de Fortmage et avaient disparu. Cassadre et Jolimar étaient là pour l’accueillir, avec une guirlande de gardes. Ambiance solennelle. La gosse semblait riquiqui. Adam se tenait à gauche de sa mère quand la jeune Mirabelle avait jeté un regard en arrière, voyant ses parents partir. Mirabelle n’avait pas pleuré. Elle avait levé la tête et bombé le torse, mais ses yeux brillaient. Adam l’avait regardé. Elle lui avait rendu.

— Elle s’est révélée tôt, avait murmuré Cassadre, c’est une Graine et elle étudiera avec Jolimar mais suivra certaines leçons avec toi.

Adam écoutait à peine. Il zieutait la gamine dont le sourire animait des rousseurs sur ses joues. Elle s’avancait, seule dans la cour, au milieu des gens d’armes.

— Prends soin d’elle, avait ajoutée Cassadre, si elle est précoce dans ses dons, elle reste cependant une enfant. Tu dois devenir un grand-frère pour elle.

— Mirabelle ! avait clamé la gamine, fièrement campée devant la reine et Jolimar.

Elle avait un air espiègle. Aussitôt que Jolimar introduisait ce qu’il suivrait, elle les avait suivis en silence, ne lâchant qu’un pied de nez rieur à Adam quand les adultes ne la regardaient plus.

— Et toi, qui t’es ? avait glissé Mirabelle à Adam.

Gêné, il n’avait pas répondu.

Un an plus tard, Renart arrivait. Adam fut d’abord ravi. Mirabelle aussi. Rapidement, ils s’attachèrent à Renart. C’était un gamin joueur et rieur, qui se posait peu de questions et agissait. Renart développait un piètre talent de magicien. Ses pouvoirs, à l’évidence, ne seraient jamais grands : il avait peu hérité et son ascendance magique était faible. À vrai dire, il n’en avait cure. Renart préférait les mauvais tours et les plaisanteries et il s’entendait particulièrement avec Mirabelle qui aimait le suivre dans ses bêtises. Adam développa un certain ressentiment à l’égard de Renart : il le jugeait souvent trop proche de Mirabelle. Pourtant, jamais il ne le détesta.

Puis arriva Ædrian…

— Prince Adam.

Le factionnaire se courba devant lui. Adam afficha une mine contrite et continua vers la bibliothèque. Les gens d’armes agissaient obséquieusement et le saluaient par son titre. Il montrait alors un sourire affable et ajoutait un signe de la main. Au fond, il rêvait que cela cesse. Pour tous, il était le « Prince Adam », le fils de la reine. Il pensa à Mirabelle : le considérait-elle ainsi, elle aussi ? Était-ce là ce qui dictait la relation ? Adam maudissait son ascendance. Il ne se résumait pas qu’à sa seule condition princière.

Sa relation avec sa mère était conflictuelle. Ils n’arrivaient plus à se parler. Ils avaient été proches, un temps… Maintenant, à chaque fois qu’il la regardait, il voyait son propre échec. Lorsqu’il avait atteint douze ans, il se disait encore que cela viendrait, que peut-être les germes de la magie apparaitraient plus tard. Il voyait Renart barouder plutôt que développer ses talents et l’enviait d’avoir ce choix.

Vint ses quinze ans : toujours rien. Il se souvint de Jolimar, qui détournait tristement la tête et murmurait à Cassadre. Elle semblait affligée. Elle s’était levée, sans dire mot, et avait disparu. Alors il avait creusé dans les yeux de Jolimar. Mais il n’avait pas eu besoin de s’entendre dire ce qu’il savait déjà.

Lorsqu’il eut dix-huit, il eut la certitude qu’il resterait ainsi. La fibre magique n’avait pas transcendé ses gênes. Comme il s’y préparait, cela lui convenait. Il se plongeait dans ses études et se trouvait à la bibliothèque chaque fois que cela était possible. Il se délectait du temps passé près de Mirabelle, ainsi. Autrement, elle suivait la plupart de ses leçons avec Renart, auprès de Jolimar.

À défaut de magie, il développa un intérêt pour l’art guerrier. Il s’échinait aux leçons d’escrime avec Roger, le maître d’armes. Il devint un bretteur redoutable. Il commençait à s’habituer à sa condition. Il souriait et riait, et développa une vraie relation avec Renart. Il gagnait en certitude et en estime : il savait qu’à force de travail, il arriverait à conquérir Mirabelle. Elle n’intéressait pas Renart.

Puis arriva Ædrian. Ce gosse déglingué, avec son regard de chien battu, attirait la compassion. Adam s’éprit aussitôt de sympathie pour son cadet – de cinq ans. Contrairement à Renart ou Mirabelle, Ædrian était timide et réservé. Adam trouva en lui un confident et ami.

Mais Ædrian était le joyau de Jolimar et de Fortmage. Peu après son arrivée, il manifestait déjà des aptitudes remarquables. On lui promettait un destin exemplaire et chacun louait ce jeune prodige. Les leçons accaparaient son temps et Adam et lui n’eurent guère le loisir de développer une relation. Ils s’éloignèrent.

Très vite, trop choyé, Ædrian révéla un comportement irascible.

Mirabelle et Renart passaient leur temps avec ce nouvel élève indiscipliné, qui cumulait à son actif bêtises et insolence. Malgré son caractère acariâtre, Ædrian récoltait toutes les louanges. Adam devenait invisible. Même Cassadre n’avait d’yeux que pour le disciple de Jolimar. Son caractère renfermé n’aidant point, Adam s’enfermait dans son apprentissage solitaire. Il s’obsédait désormais de soigner ses tares, qu’il voyait grandir chez les autres et cherchait à devenir un homme meilleur. Mais nul ne le remarquait plus. Adam devint invisible, et morose.

L’odeur rance qui émanait de la bibliothèque ramena Adam à la réalité. Il entra.

Herbert leva à peine les yeux. Une chandelle vivotait, éclairant un parchemin qui captait l’archiviste. Adam se faufila entre les rayons, mais ne trouvait pas Mirabelle.

— Adam ?

Il se retourna en sursaut : le visage de Marlo émergeait des ombres.

— Que faites-vous ici, maître ?

Marlo paru gêné. Sur la table de travail où il était assis, une pile d’ouvrages s’entassait à côté d’un livre ouvert.

— J’étudie… bredouilla-t-il.

Avant d’ajouter vivement :

— Nous ne sommes jamais trop sage, n’est-ce pas ?

— Certes.

À la lueur de la flamme, Adam apercevait le maître jeter des regards inquiets de chaque côté. Sa main droite s’agitait convulsivement, les doigts martelant le bois de son bureau.

— Vous cachez-vous, maître ?

— Non…euh…oui, peut-être, un peu.

Marlo souffla :

— À vous je peux le dire : je n’en puis plus de ce gosse dégénéré. Moins je le vois, mieux je me porte. Il…il est encore passé plus tôt. Je l’ai entendu poser des questions étranges à Herbert mais je…je suis sûr qu’il me cherchait…

« Il parle d’Ædrian, c’est certain. »

— De qui parlez-vous, maître ?

Adam s’approcha, s’appuya sur le bureau en dévisageant Marlo. Ce dernier détourna les yeux.

— Vous le savez très bien, d’Ædrian évidemment. Je sais aussi que vous ne le portez pas dans votre cœur, mon prince.

— Vous ne savez rien, Marlo.

Marlo esquissa une moue.

— Certes… mais j’en sais assez pour deviner que sa disparition ne vous gênerait pas tant.

« Il est fou » songea Adam.

— D’ailleurs le gamin voudrait nous quitter, à ce qu’il en dit. Pourquoi l’en empêcherait-on ? Il est en âge de décider lui-même de son propre sort, qu’il lie à Fortmage en restant parmi nous.

— En quoi cela me concerne-t-il ?

Marlo sourit :

— J’en ai parlé à Jolimar, mais ce dernier refuse tout bonnement les volontés du gamin. Vous savez que sa présence ici forme un problème insolvable : on a voulu oublier l’Histoire, mais la mégalomanie des magiciens a laissé des traces, même si Fortmage s’est débarrassé des livres qui en traitent. Les mémoires n’oublient pas, nos terres saignent encore et garder parmi nous un descendant de cette race de meurtriers nous condamne. Vous pourriez interférer auprès de la reine votre mère, pour que…le gamin suive son propre chemin. Loin d’ici, il serait préférable à tous.

— Vous êtes de cette même race, Marlo.

— Mais je ne sème point la mort.

« Il est jaloux » songea Adam. Il s’approcha de la figure de Marlo.

— Est-ce le sort de Fortmage que vous soignez ainsi ou vos propres ambitions ? murmura Adam. Ædrian disparu, vous seriez alors le seul héritier de Jolimar et le futur régent de l’Académie. Je pourrais en faire part à Cassadre. Imaginez-vous sa réaction, maître ?

Marlo se tortilla sur sa chaise. Ses doigts cognaient frénétiquement la table et il ferma le livre ouvert devant lui.

« Cet avertissement devrait le calmer…ou le rendre plus dangereux. »

— Je n’œuvre qu’au service de Fortmage, grommela Marlo. Je ne serais point accusé de quoi que ce soit d’autre que de vouloir protéger nos gens. Vous verrez… Saylomen perdra Fortmage.

— N’agitez point de chimères, maître.

Adam se redressa, et pris une voix plus forte :

— Et surtout tenez-vous tranquille. Autrefois, vous inspiriez le respect. Je ne vois plus qu’un homme aigri et jaloux. J’en suis attristé. Au revoir et bonne nuit.

Adam quitta la bibliothèque. Herbert s’en était allé. La nuit s’avançait et le palais baignait de torpeur. Adam erra le long des couloirs. Il n’avait pas imaginé pas que Marlo fut impacté à ce point. Il appréciait Marlo. Marlo était là depuis longtemps et avait été un bon ami et une oreille attentive pour Adam. Il avait toujours eu du respect pour lui, l’avait considéré comme son égal malgré l’absence de pouvoirs et conseillait adroitement en faveur de Fortmage et de Chateaubourg. Adam déplorait de voir cet homme qui avait œuvré pour le bien de chacun se perdre dans ses ambitions personnelles. S’il ne s’étonnait plus, le chagrin demeurait.

Dans les couloirs rôdaient le silence. L’endroit était désert. Aucun factionnaire. Quelle étrangeté ! Les torches n’avaient pas été allumées. Heureusement, Adam connaissait ce château. Il y avait grandi. Le vent se faufilait en geignant. Il frissonna. C’était une nuit à réveiller des fantômes.

Soudain, des pas. Adam se glissa dans un recoin. Il tenta de maîtriser son souffle : il lui semblait rauque et puissant. Les pas se rapprochaient. Adam s’attendait à voir surgir un spectre mais ce fut une silhouette humaine qui se faufilait sous les ombres. Que faisait-elle ici. Elle s’arrêta devant la chambre…cette chambre…la porte bâilla, le peu de lumière dessina un visage qu’il ne voyait pas. Il entendit sa voix et il comprit.

Alors c’était cela ! Ædrian la rejoignait lorsque le palais dormait…pou…pourquoi ?

Adam savait. Ce sentiment l’habitait depuis longtemps. Il l’avait craint et c’était.

C’était évident.

La nuit fut trouble et agitée. Adam se réveilla de nombreuses fois, rempli de doutes. Il détestait ses pensées. C’était à chaque fois le même cauchemar. Pourtant celui-ci n’était que trop réel.

Le lendemain, Adam était résolu.

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