chaitre 2-4 l'Épreuve du Feu

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Sachant que pire aurait pu leur en couter, personne ne fit la moindre remarque et tous acceptèrent leur sort. Seul Pamba osa intervenir :

— Les deux coups de fouet me sont donnés pour avoir participé à cet acte d’indiscipline. Mais je dois aussi en recevoir quatre pour n’avoir pas tenté d’arrêter quoique ce soit comme mes camarades, et un autre châtiment supplémentaire, car je suis à l’origine de l’accident, peut-être davantage que celui qui a donné le coup.

Le maitre regarda Pamba en fronçant les sourcils, dérangé par l’insolite d’un élève qui réclame davantage de châtiments.

— Que gagnerais-tu à recevoir plus de coups de fouet ? Rien n’est gratuit, même pas les punitions. Si tu en redemandes, c’est donc que tu dois en tirer un bénéfice.

— J’y gagnerai la satisfaction d’une justice plus juste et de ne pas participer à une injustice. J’y gagnerai à conserver mon honneur.

— L’honneur de celui qui a fait une faute doit justement être entaché. Et c’est la punition qui s’en charge.

— L’honneur de celui qui commet une faute est entaché par la faute, la punition est là pour la lui faire payer et rétablir son honneur ; la punition n’est surement pas faite pour entacher une nouvelle fois son honneur par une nouvelle faute. Si vous me punissez, c’est pour que je paye ma faute et pour établir et maintenir la justice au sein de notre peuple. Si la punition est injuste, alors elle devient contreproductive en allant à l’encontre de son objet principal.

Le maitre prit de nouveau son temps pour se décider. Les autres élèves restaient autour sans bouger, surpris et méditant les paroles si sages du jeune Pamba qui tenait tête au maitre à l’aide de la philosophie.

— Souvent la voie la plus sage est celle du milieu. Tu recevras deux coups de fouet et tu devras distribuer la moitié des coups de fouet avec Ewar-Kali à chacun des élèves. Telle est ma décision, tel sera ton châtiment. Médite-le bien avant de le critiquer, il doit aussi t’apporter la sagesse en plus de la justice et de l’honneur.

Sur ce, rompant toute discussion possible, le maitre relança les exercices d’entrainement tout en allant s’assoir pour se remettre du coup de pied.

Le jour suivant fut le pire de toute la vie de Pamba. Et certainement pour Ewar-Kali aussi. Ils durent frapper de leur fouet les soixante-trois autres élèves présents ce jour-là à l’entrainement, cela représentait presque la moitié des élèves de toute l’école. L’un après l’autre distribua deux coups à chaque élève.

Dès les cris du troisième élève, Ewar-Kali se mit à verser de grosses larmes, et renifla jusqu’au bout de ce supplice moral. Pamba hésita longtemps avant de frapper le premier élève. Il finit par laisser retomber la lanière de cuir qui servait de fouet de punition, une lanière assez large pour éviter de lacérer les élèves. Il regardait fixement les deux grandes marques rouges laissées sur le dos par les coups portés par Ewar-Kali et tressaillait aux cris aigus des suivants, surtout ceux des élèves les plus jeunes. Ses pensées s’entrechoquaient, celles qui relevaient de l’obéissance et qui considéraient la justesse de la punition contre celles de l’envie d’y échapper en faisant appel à toutes les raisons qu’il pouvait trouver. Le maitre vint ramasser le fouet et le lui redonna en le posant brusquement contre son torse pour l’obliger à s’en ressaisir. « Il n’y a pas matière à hésiter, le temps de la réflexion est passé maintenant. Obéis, ou désobéis et quitte l’école à jamais ». Il hésita encore un moment, mais l’élève, pour qui l’attente de la deuxième partie de sa punition était un supplice plus grand que les deux coups supplémentaires qui manquaient, s’impatienta « Bon, tu y vas oui, finissons-en ! ». Alors il frappa, deux fois, sans faiblesse. À partir de là, sans plus d’atermoiements, il enchaina les coups jusqu’à rattraper son camarade qui avait quelques élèves d’avance. Ils frappèrent en même temps, comme pour se soutenir l’un l’autre dans un même élan. Ewar-Kali en reniflant et dont les coups faiblissaient de plus en plus, et Pamba aux coups réguliers, le visage raide d’une froideur de bourreau, consciencieux de ne point faire de différences entre ses victimes. Cette torture commune aurait pu générer une certaine solidarité dans leur malheur, mais ce fut le contraire qui se produisit. Ewar-Kali voua de ce jour-là une haine sans limites envers Pamba. Pamba quant à lui pardonna totalement à Ewar-Kali sa responsabilité dans toute cette affaire.

Ewar-Kali jura de trouver les moyens de faire payer à Pamba tout ce qu’il venait de vivre. Il s’obnubila sur l’idée que tout était lié à l’esquive du coup de pied, oubliant sa propre part de culpabilité. Sans cette esquive rien ne se serait passé, il y aurait juste eu une simple remontrance de la part du maitre pour leur mauvaise attitude. Cette esquive, il en parlait comme d’une félonie, une tromperie de la part de Pamba qui n’avait pas respecté les règles tacites du jeu. Mais aussi comme une lâcheté. C’était par la lâcheté de Pamba, par peur du coup et de la douleur, que tout cela était arrivé. Ainsi, Ewar-Kali attendit la moindre occasion d’atteindre son ennemi juré. Il en trouva quelques-unes, par de petits mensonges, par quelques mesquineries. Mais la meilleure de toutes lui fut donnée par un des élèves lutteurs qui l’informa de la désobéissance de Pamba durant les temps de méditation qu’il transformait en entrainement sportif, défiant toutes les règles de l’école. Et il appliqua le plus grand machiavélisme pour enrichir sa vengeance.

Le grand prêtre de l’école vint lui-même chercher Pamba durant le temps de méditation. Il surgit dans la grande pièce semi-obscure et silencieuse et ne le trouva pas à sa place, la petite niche dans laquelle il devait s’accroupir pour méditer était vide. Sous les yeux effarés des autres élèves qu’il avait brusquement arrachés à leur exploration intérieure, il appela le jeune clerc qui lui servait de secrétaire et d’homme à tout faire.

— Va au palais du prince Sarri-Kusuh et demande-lui d’urgence qu’il m’envoie trente de ses soldats. Je les attendrai devant l’entrée de la salle des méditations et de l’élévation de l’esprit, ordonna-t-il d’une voix dure et calme qui cachait son courroux.

Le jeune clerc acquiesça et sortit en courant.

— L’un d’entre vous sait-il où se trouve Pamba ? demanda le grand prêtre à tous les élèves présents et à leurs enseignants.

— Je ne comprends pas, il était là quand nous avons commencé à méditer, répondit le maitre de méditation.

— Nous allons le retrouver. Continuez la méditation, vous ne serez plus interrompus.

Il sortit au moment où les guerriers de l’Ordre noir se regroupaient en rangs face au bâtiment.

— Trois d’entre vous resteront ici. Les autres, allez vous poster à chaque entrée des murailles et attendez que l’élève Pamba revienne. Lorsque vous le trouverez, capturez-le et amenez-le jusqu’à la salle du conseil des prêtres.

Pamba fut pris à son retour du désert. On le mena devant les grands prêtres déjà réunis depuis un bon moment dans la salle du conseil où les statues des Dieux, dans la pénombre ou éclairées par des lampes à huile à la lumière vacillante, mesuraient la justice d’un air impassible et bienveillant. Il s’agenouilla respectueusement, ânonnant les paroles de soumission qui devaient être dites en pareille circonstance.

— Où étais-tu jeune Pamba ? demanda Sarri-Kusuh.

La présence du prince protecteur de l’école, indiquait une gravité qui paraissait aller bien au-delà d’une simple affaire d’indiscipline.

— Dans le désert.

— Que faisais-tu dans le désert ?

— Je m’entrainais à la course pour entrer en méditation.

— Tu entrais en méditation… en courant ?

— Oui.

Les prêtres se regardèrent d’un air désolé, pensant qu’il s’agissait d’une stratégie bien naïve de la part de l’élève pour expliquer sa désobéissance. Pamba dut alors expliquer longuement la façon qu’il avait d’entrer en méditation à l’aide de la course longue. Les prêtres l’écoutèrent et bien qu’encore circonspects, ils parurent intéressés par cette découverte. Mais dès les premiers échanges du débat qui s’engageait, le grand prêtre interrompit les discussions :

— Pamba, es-tu conscient de la gravité d’enfreindre les vœux d’obéissance dans cette école ?

— Oui, grand prêtre.

— Trouves-tu que prendre le risque d’être découvert en faute, simplement pour aller courir ou améliorer le début de la méditation, en vaille la peine ?

— Je ne sais pas, grand prêtre.

— N’y aurait-il pas une raison plus forte qui te pousse à prendre le risque de désobéir ?

— Je ne comprends pas, grand prêtre. Je sors seulement pour courir et méditer.

— Pamba, es-tu allé dans le palais de la famille d’Ewar-Kali ?

— Non, répondit Pamba le cœur serré, vivement surpris par cette question.

— Que sais-tu de la parure de cérémonie volée dans ce palais au père d’Ewar-Kali ?

— Je ne sais rien de cela, grand prêtre, nia-t-il de plus en plus inquiet par la tournure que prenait cet interrogatoire.

Tous se tournèrent interloqués vers le grand prêtre, ne sachant pas où il voulait en venir.

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