Chapitre 2-5 l'épreuve du Feu

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— Hier, à l’heure de la méditation, cet objet a été dérobé dans le palais. Où te trouvais-tu alors ?

— Comme aujourd’hui. Au début de la méditation, je suis sorti courir, puis je suis revenu.

— Cette affaire dépasse le cadre des autorités pédagogiques de l’école. Mais elles sont pourtant en premier lieu concernées s’il s’avérait qu’un des élèves, futur Éligible de surcroit, soit mêlé à un tel crime en plus de sa désobéissance. Le pouvoir de l’école dans notre cité repose sur la qualité de ses enseignements et de sa discipline. Comment pourrait-on revendiquer ce statut institutionnel si un des élèves se comportait comme le plus inculte et méprisable des citoyens ? Quel serait alors le pouvoir que l’on pourrait reconnaitre à nos enseignements ? Je laisse donc aux autorités civiles le soin de gérer cette affaire, mais recommande les plus grandes précautions en ce qui concerne la diffusion d’informations dans la cité.

D’un simple hochement de tête, il invita les gardes de l’ordre noir à s’emparer de Pamba. Quatre d’entre eux s’avancèrent leur longue pique à la main et se placèrent en carré autour de lui dans une attitude plus solennelle que menaçante. Le prince laissa faire bien que l’ordre noir fut sous ses ordres. Cependant, une ombre couvrit son visage d’une expression préoccupée.

— Grand-prêtre, nous ne pouvons enquêter sans le soutien de votre expertise en matière religieuse. En particulier, que pouvons-nous juger de ces affirmations concernant la méditation ? s’inquiéta Sarri-kusuh.

— Très bien, mais pour garder toute impartialité, nous vous affecterons un prêtre sans charge importante au sein du clergé. Ainsi, on ne pourra l’accuser de vouloir défendre l’école plus que la vérité et la justice. Lequel d’entre vous accepte d’aider le prince Sarri-Kusuh dans son enquête ? demanda-t-il à l’ensemble des prêtres présents.

D’un même élan, tous se levèrent pour être désignés. Le grand prêtre, interloqué, resta un instant sans réagir.

— Pourquoi vous présentez-vous tous ? Nous avons besoin d’un prêtre pour aider à l’enquête, et pas un intéressé par les secrets de la méditation que pourrait révéler Pamba.

— Je dirais bien, entama d’une voix claire et puissante le Grand-Prêtre de Teshub, l’une des plus importantes autorités du clergé et de la tribu de la Nef, qu’un Grand-Prêtre tel que moi serait le plus approprié. Je saurais mieux faire la part des choses vu mon âge et mon expérience. Mais ce serait nier mon impossible désintérêt pour le secret de la méditation de Pamba. Si ce qu’il dit se révèle vrai, cela ouvre une nouvelle voie, une véritable révolution dans nos pratiques. Pour ma part, je pense qu’il faudrait reporter cette enquête à plus tard et avant tout essayer de comprendre et d’étudier cette nouvelle voie.

Cette remarque parut désarçonner totalement le Grand-Prêtre de l’école. Il se mit à se lisser la barbe d’un geste nerveux. Il sentait que ce débat commençait à lui échapper et ne se voyait pas s’opposer à un autre Grand-Prêtre tel que celui de Teshub, le roi des dieux.

— Mais ce vol et cette désobéissance ne peuvent être traités à la légère et considérés comme secondaires. Rien ne dit d’ailleurs que la pratique de la méditation découverte par Pamba soit une importante nouveauté. Je vous rappelle à quel point la réputation de l’école est en jeu, et ce n’est pas tant une révolution de la méditation qui se joue ici, mais l’avenir de tous nos élèves, voire de notre relation avec les dieux. Nous avons ici les futurs scribes, les futurs prêtres, les futurs guerriers des dieux. Le socle moral et la sécurité de tout notre peuple. Alors la méditation me parait au contraire, elle, bien secondaire en rapport au reste de cette affaire. Nos élèves sont ceux qui dans le futur perpétueront la relation privilégiée de notre peuple avec les dieux !

Une rumeur de réprobation s’amplifia dans la salle. À l’évidence le grand-prêtre de l’école avait de moins en moins de prêtres qui le soutenaient. Pamba, toujours à genoux, observait jusque-là muet et respectueux. Mais face à cette agitation, lui aussi voulut réagir et demanda la parole. Le grand prêtre, un peu désorienté du haut de son grand âge par une situation plus qu’inhabituelle où son autorité semblait vaciller, n’y prêta pas attention. Il réclama le silence et ordonna à tous de se rassoir.

— Grand prêtre, mon ami, reprit le grand-prêtre de Teshub d’une voix qui se voulait apaisante et pleine de sagesse. Il n’est pas question de nier les priorités, mais d’essayer de les définir les unes par rapport aux autres. De l’école ou de la méditation, il n’est pas question de reconsidérer l’importance. Mais enfin, il faut bien reconnaitre l’ordre des choses, celle de notre peuple et celles définies par les dieux depuis que le temps est temps. Sans la méditation, que serait notre religion ? Que serait notre communication avec les divinités ? Et finalement, que serait notre société ? Sans la méditation, quelle serait la raison d’être de cette école ? La méditation est le lien entre nous et le reste du monde, et en particulier avec celui des dieux. Toute transformation de celle-ci est un évènement majeur dans notre culture. Notre religion, dont cette école est l’exemple, est fondée sur la relation entre le corps et l’esprit. Notre postulat, c’est que c’est cette seule relation, ce seul lien, qui donne l’accès aux dieux. Sans la méditation, cette école ne serait qu’une école d’arts martiaux inutiles, et de scribes devant simplement servir aux marchands pour leurs comptabilités et aux législateurs pour graver leurs lois dans l’argile. Nous savons tous que Pamba est un futur Éligible prometteur, qui a déjà montré d’extraordinaires capacités pour son âge. Je ne peux m’empêcher de faire l’hypothèse qu’il sera l’un des plus grands Éligibles que les Terres du Milieu aient connus. Il fait partie de la prophétie qui nous a conduits à chercher les sept Éligibles dans le monde extérieur. Il n’est pas n’importe quel élève, il est au contraire un bien précieux que nous devons à tout prix protéger. Alors, franchement et sans arrière-pensées, je ne peux imaginer cette affaire de vol comme pouvant le mettre en cause. Il est à l’évidence bien au-dessus de cela, son destin a toutes les chances d’être au contraire exceptionnel et se confondre avec le grand destin. Nous devons le garder auprès de nous et étudier la voie de méditation qu’il propose. Et pour que tout soit bien clair, je ne présente pas sa défense par intérêt personnel de connaitre ce secret. Celui qui insinuerait cela insulterait mon honneur de grand prêtre.

Évidemment, ce dernier argument permettait de couper court à pratiquement tous les reproches ou contrarguments. Qui oserait s’attaquer maintenant à l’honneur du grand prêtre de Teshub ? Le silence régna un long moment dans l’assemblée. Les quatre gardes de l’Ordre Noir ne sachant que faire, ils se mirent au garde-à-vous pour laisser reposer leur lance sur le sol. Ce mouvement sembla relancer la discussion. Sennam, qui se trouvait avec les autres maitres dans le fond de la salle où ils étaient tous venus voir ce qui se passait, prit humblement la parole :

— Pour le bien de l’école, nous devons écouter ce qu’a à répondre Pamba. Ce n’est pas un menteur, il n’a jamais menti depuis que je l’ai comme élève. Et s’il s’avère que la voie de méditation qu’il propose est nouvelle et plus efficace, alors nous aurons un motif pour reculer l’enquête et préparer la défense éventuelle de notre école, proposa le maitre d’écriture.

Tous connaissaient le lien d’amitié qui l’unissait à Pamba, sa parole avait peu de poids. À peine était-il autorisé à s’exprimer parce qu’il s’agissait d’un de ses élèves. Mais ses arguments ainsi que ceux du grand-prêtre de Teshub furent repris et développés par plusieurs autres membres du conseil. Peu à peu, le point de vue du grand prêtre de l’école ne paraissait plus n’avoir aucun soutien. En réalité, tous étaient contaminés par l’envie de connaitre le secret de la méditation de Pamba. Le vol paraissait maintenant totalement secondaire.

— Pamba, dit le prince en s’adressant à lui, le regard sévère et froid droit dans les yeux, tu as entendu ce qu’on te reproche d’une part et ce qu’on attend de toi d’autre part. Je te donne donc la parole, c’est aussi selon ta réponse que nous prendrons une décision.

— La première chose que j’ai à dire, c’est que je me pose une question. Pourquoi m’accuse-t-on, moi, d’avoir volé le collier simplement parce que j’ai désobéi aux règles de l’école ? Je ne comprends pas cette suspicion à mon égard. Je n’ai rien à voir avec ce vol.

— Lorsque nous avons été informés de ta présence dans le palais, le jour du vol, nous avons fouillé le dortoir. Et nous avons retrouvé le butin sous ton matelas.

Pamba resta stupéfait. Mais il lui vint vite la réponse, en forme de contrattaque.

— Jamais je ne volerais un tel objet, je n’en ai aucune raison, ni besoin, ni envie. Qui me connait le sait. Par contre, il faut alors se demander qui l’a mis sous mon couchage. Ce n’est pas si facile, j’ai beaucoup d’ennemis dans cette école. C’est à votre enquête de le déterminer. Mais comment penser que je puisse être assez stupide pour cacher le collier dans un endroit qui me désignerait comme étant le coupable. C’est bien mal connaitre mes capacités de raisonnement ! Pour ce qui est de la méditation, il suffit d’avoir couru longtemps pour savoir si ce que je dis est vrai. Celui qui court longtemps ressent une sorte d’ivresse, son souffle ralentit. Il perd l’essoufflement en gardant la même allure. Ses jambes ne le font plus souffrir et il perd aussi la sensation de fatigue. C’est une sorte d’état second dans lequel notre esprit se détache de la matière rudoyée de notre corps. On se retrouve comme en train de flotter, sans toucher terre, sans effort. C’est cet état que j’utilise pour entrer en méditation. Si vous y pensez bien vous trouverez aisément, dans votre propre expérience, la relation entre les deux. D’ailleurs, je suppose que si vous êtes tous déjà tellement intéressés, c’est que vous avez par vous-même déterminé cette voie comme plausible, car vous avez tous ici subi de longs entrainements de course à pied et éprouvé cette sensation.

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