chapitre 2-6 l'epreuve du Feu

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Le public, de plus en plus nombreux au fond de la salle, et les membres du conseil acquiescèrent et échangèrent entre eux des signes d’accord complices. C’en était joué de la décision. Finalement, il n’avait pas eu besoin d’être très convaincant envers un public dont la majorité était déjà acquise à sa cause. Tous désiraient avant tout connaitre le secret de la méditation de Pamba. Son exploit passé concernant la suggestion suffisait à accorder la confiance en ce qu’il annoncerait. Tous savaient qu’il était un élève exceptionnel et on croyait facilement en son nouveau pouvoir, d’autant plus s’il avait des chances d’améliorer la vie quotidienne et les apprentissages. Alors au regard de l’enjeu que représentait cette nouvelle voie de méditation et de la soif de découvrir les secrets de Pamba, furent vite oubliés les soupçons et les anciennes rancœurs qui se révélaient inutiles et superficielles.

Le prince et le grand-prêtre, d’un commun accord annoncèrent que la recherche autour de la méditation devenait prioritaire, pendant que l’enquête sur le vol et la désobéissance devrait se poursuivre en respectant la plus grande discrétion. Tout le monde sortit de la salle, content du résultat et surexcité à l’idée de ce qui allait être découvert. Il y avait là un double enjeu pour les élèves. Participer à l’évolution d’une pratique millénaire qui paraissait immuable et ainsi faire partie d’un tournant de l’histoire, mais aussi, pouvoir améliorer les conditions particulièrement dures et contraignantes de la méditation. La seule idée qu’on pouvait y passer moins de temps et remplacer une partie de celui-ci où on restait assis et immobile par de l’exercice physique suffisait à générer l’enthousiasme des plus jeunes.

Pamba fut mis à l’isolement. Non seulement il fallait montrer qu’on ne laisse pas passer la désobéissance aux règles de l’école, mais il fallait aussi préparer le protocole d’étude de la nouvelle méditation et en garder le secret, éviter une quelconque divulgation et que ne se répande le désordre dans les pratiques des élèves. Déjà, remarquait-on un fort regain d’intérêt pour la course à pied dans l’ensemble de l’académie. Au lieu de rechigner comme à l’habitude, les élèves devinrent demandeurs de cet entrainement. De même, toutes les taches qui le permettaient commencèrent peu à peu à s’effectuer en courant. Aller et revenir du marché, porter des messages au palais ou au gouvernement, se déplacer jusqu’à d’autres temples éloignés pour des cérémonies, tout devenait prétexte à courir. Une sorte de révolution se préparait. La méditation elle-même commençait à être perturbée. Les élèves, et même certains maitres et prêtres, arrivaient essoufflés et en sueur. Juste avant, certains avaient fait des séries d’exercices de tractions suspendu à une poutre, d’autres du saut à la corde ou des flexions dans leur cellule, espérant ainsi se préparer et atteindre plus rapidement l’état où ils communiqueraient avec les dieux. La perturbation des règles monotones et strictes de l’école augmentait chaque jour.

De folles rumeurs circulaient. Certains élèves commencèrent à faire croire qu’ils avaient eux-mêmes trouvé la nouvelle voie. Ils se réunissaient en secret entre adeptes de cette pratique innovante. Ils commençaient à délivrer leur faux enseignement en imitant les maitres et en espérant ainsi être admirés. À l’inverse, un courant de contestation se fit jour parmi le groupe des prêtres les plus âgés. Ils n’acceptaient pas que la tradition soit aussi facilement remise en cause et exprimaient de nombreux avertissements. Un jour, un élève fut emporté dans la salle des soins des corps. On annonça qu’il s’était trouvé mal après avoir tenté le passage de la course à la méditation. Les Dieux paraissaient en désaccord avec cette méthode, ce qui la rendait trop dangereuse. Tel fut du moins l’argument utilisé par les membres les plus conservateurs du clergé.

En quelques jours au sein de l’école, ce qu’on imaginait de cette pratique allait du pire au meilleur. Certains réclamaient déjà son enseignement alors que d’autres prônaient son interdiction. L’école se divisait, les discussions s’envenimaient rapidement entre les deux camps qui se radicalisaient. Il devint urgent d’agir pour apaiser la communauté.

Rapidement, les prêtres, les maitres de méditation et quelques élèves parmi les meilleurs furent choisis pour assister aux explications des expériences de Pamba. Certains notables de la petite cité réussirent eux aussi à se faire inviter à ces séances grâce au pouvoir que leur donnait leur fortune. La nouvelle avait donc déjà franchi, on ne sut comment, les murs de l’école. Pamba, libéré de sa cellule d’isolement chaque jour, devait enseigner et justifier le bien fondé de ses expériences. Avant tout, il devait démontrer que la méditation atteinte plus rapidement possédait les mêmes qualités que la méditation traditionnelle. En particulier, il lui fallait prouver que la relation et le dialogue avec les dieux demeurassent aussi fluides et authentiques.

Pamba s’asseyait au centre d’un double cercle formé par près d’une quarantaine de personnes. Tous écoutaient d’abord son discours. Ils se négociait ensuite le protocole entre Pamba et les prêtres, et se déterminait quel allait être le rôle de chacun. Certains allaient entrer en méditation de façon traditionnelle pour se diriger vers un ou plusieurs Dieux du panthéon Hourrite. D’autres allaient accompagner Pamba dans sa course à pied, suivre au fur à mesure les sensations qu’il exprimerait pour déterminer l’évolution de son esprit, clarifier la suite des états à atteindre et bien les caractériser pour que tous ceux qui s’y essaieraient puissent les reconnaitre. Ensuite, s’instaurait un dialogue avec les Dieux. On comparait les réponses obtenues ou les songes de Pamba avec ceux des grands prêtres. Ces derniers demandaient au dieux l’autorisation de poursuivre dans cette nouvelle voie, ou de les y guider directement. Chaque jour, ce protocole changeait et évoluait dans de le détail ou quelque subtilité.

Après plus d’un mois lunaire, tous durent se rendre à l’évidence, la qualité de la méditation de Pamba était aussi efficace, voire bien meilleure par certains aspects que la traditionnelle. L’annonce de ce premier résultat créa un tel émoi qu’on dut ensuite interrompre certaines activités de l’école ; en particulier chaque jour à l’heure où se terminaient les expériences, lorsque ceux qui y avaient assisté sortaient du petit temple du recueillement d’Alalu. Alalu, dieu du bien et du mal, ancien roi des dieux, avait été choisi comme principal observateur des expériences de méditation. Sa parèdre Alatu, divinité des enfers, serait celle qui punirait Pamba si Alalu l’ordonnait, à la moindre des offenses aux dieux mises en évidence dans les pratiques non rituelles de Pamba. Ainsi donc chaque jour, tous les élèves, les maitres et les prêtres se regroupaient sur le parvis en face de l’entrée du temple d’Alalu et attendaient les discours qui annonçaient les nouvelles avancées de la recherche. Même les plus anciens de l’école n’avaient jamais connu telle ébullition et tel engouement autour des recherches qui en général ne concernaient que quelques vieux érudits, enfermés dans la bibliothèque pour déchiffrer interminablement des tablettes d’argiles. Durant quelque temps, on ramenait chaque soir Pamba en isolement. Mais tout le monde se désintéressant de l’enquête et se passionnant pour la méditation et la course à pied, on finit par ordonner qu’il soit totalement libéré en attendant son procès sous prétexte qu’on devait lui fournir des conditions propices à se concentrer et se détendre correctement.

Le temps passa, mais les spectaculaires résultats du début firent rapidement place à des blocages. Autant on avait bien mené l’observation et vérifié que la méditation de Pamba amenait à une bonne communication avec les Dieux, autant il paraissait devenu impossible de transmettre cette modalité à d’autres prêtres ou d’autres élèves, même parmi les meilleurs. Ceux qui avaient été choisis au départ s’y essayèrent, mais, n’y arrivant pas, ils furent remplacés par d’autres pour voir si Pamba pouvait leur transmettre sa pratique. Les annonces des échecs se répétant soir après soir, les membres du temple finirent par venir de moins en moins nombreux à la sortie du temple d’Alalu. Jusqu’à ce qu’il y en eut si peu qu’on décrète que les habitudes traditionnelles devaient reprendre leur place.

Lorsque les conclusions de l’enquête furent dévoilées et que le procès eut lieu, l’engouement pour les recherches sur la méditation avait disparu et Pamba se retrouva seul, comme un élève presque banal face à ces juges. Mais cette expérience l’avait profondément transformé. D’un élève de seize ans, il était devenu un adulte avec, en quelque sorte, une expérience d’enseignement. Les juges n’étaient plus seulement ses maitres et les prêtres, mais aussi ses collègues, voire les élèves qui avaient écouté ses enseignements et voulurent apprendre de lui ses secrets. Et de plus, ces derniers n’avaient jamais réussi à égaler sa maitrise, quelque part cela les mettait dans une position reconnue comme inferieure. Pamba allait donc affronter ce procès avec plus d’aplomb, une sensation tendant à se détacher de la soumission pour aller vers une relation d’égal à égal, sans pour autant qu’elle le soit tout à fait.

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