Scène 3
- Est-ce que le kit SHN est disponible pour une production en série ? Demanda Louis, inquiet.
- Bien entendu, lui répondit Franky qui s'appelait en réalité Franck Muller. Tu crois vraiment que ces gadgets pourraient me causer le moindre problème technique alors que j'en suis déjà à concevoir un corps artificiel entier ?
Louis lui sourit. Il adorait cet homme. Non seulement pour son exceptionnelle intelligence mais aussi pour son ambition sans limite, les deux étant peut-être liées.
- Est-ce que tu mesures Louis que nous sommes très proches d'un tournant majeur, peut-être même ce que certains nomment pour l'IA, une singularité. Nous allons nous débarrasser de nos vieux corps inadaptés.
- Je n'en doute pas mon vieux mais je n'ai pas le temps pour une discussion philosophique. Je voulais juste m'assurer que tout était prêt pour le kit.
Louis connaissait par cœur et approuvait les thèses transhumanistes de Francky. C'était une pointure dans son domaine tout comme il était lui-même le meilleur pour faire des affaires. Ce qui unissait les deux plus fondamentalement, c'était leur absence totale de limite morale. Tous les principes éthiques qu'on pouvait brandir contre leur projet étaient pour eux une façon habile de déguiser sa peur. De toute façon, on ne pouvait pas freiner le progrès. Et si des cobayes humains avaient péri lors de la conception des premiers organes artificiels, ce n'était que des dégâts collatéraux. Ils avaient permis à Louis de devancer ses concurrents et à Francky de faire des avancées décisives dans sa science. La puissance politico-économique de XIV lui avait permis d'étouffer l'affaire. Quand Louis quitta le bureau de Francky, ou plutôt son laboratoire improvisé, celui-ci se replongea immédiatement dans ses recherches. L'une des fonctions sur laquelle il bloquait encore pour le remplacement intégral du corps humain était la vue, exception faite du cerveau bien entendu. L'œil était un instrument extrêmement sophistiqué dont il avait du mal à reproduire toutes les fonctionnalités. Mais il y parviendrait, il en était sûr. Le plus gros problème qu'il avait à affronter était le cerveau et cela pour des raisons à la fois techniques et éthiques. Bizarrement, ce n'était pas le premier type de raison qui était un obstacle majeur. Il serait capable un jour de dupliquer et d'améliorer ce qui faisait la fierté des humains. Non, la vraie difficulté était d'ordre philosophique. Personne n'accepterait de remplacer son cerveau par un organe artificiel plus performant sachant que cette opération détruisait l'organe naturel. C'était à première vue un suicide. Mais si une copie de nous-même améliorée continuait d'exister, pouvions-nous réellement appeler cela un suicide ? Francky aurait été le premier à pratiquer cette amélioration complète. Il repensait souvent à cette citation du Zarathoustra de Nietzsche : « l'homme est une corde tendue entre l'animal et le surhomme, une corde au-dessus d'un abîme. ». Autrement dit, l'homme n'est pas une fin mais un passage. Mais pour Francky, seuls les grands esprits étaient capables de comprendre et d'honorer cette suprême vérité jusqu'à ses dernières conséquences. Il ne s'agissait pas de se conserver mais de se dépasser, de franchir toutes les limites possibles. La plus grande difficulté consistait donc à convaincre les gens de cette évidence. Mais les autres n'étaient qu'un troupeau de bêtes de sommes, des demi mongoliens incapables de prendre un peu de hauteur par rapport au présent. Ils n'accepteraient jamais l'augmentation intégrale. Il faudrait trouver un subterfuge voire l'imposer de force.

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