Scène 5

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Les cliniques et les hôpitaux étaient submergés d'appels de personnes possédant ces organes artificiels bon marché. Beaucoup d'entre elles se rendaient directement dans ces établissements de santé, inquiètes et tendues. Des manifestations spontanées se formaient devant la maison mère de Surhuman. Mais elles étaient arrêtées brutalement par les forces de l'ordre présentes en nombre. La situation dégénérait tellement que les médias mainstream, habituellement de simples relais de la parole gouvernementale, se sentaient dans l'obligation de rendre compte de cette agitation. Il fallait en effet maintenir un semblant d'indépendance journalistique. Du côté du Roi Soleil, l'action militante de CelQuiSimpDeL l'avait mis dans une rage folle. La divulgation de ce document interne très confidentiel mettait en péril le lancement sur le marché de son kit SHN. Les investisseurs qu'il avait reçu quelques jours plus tôt commençaient à s'interroger sur la viabilité de ce projet. Il fallait agir vite pour éviter de transformer ce fâcheux événement en catastrophe financière. Mais, fort heureusement, Louis avait un accès direct au président de la République française. Rien de plus normal pour le Roi Soleil. Au téléphone, alors que le chef d'État était en plein sommet international, Louis lui demanda de faire rapidement redescendre la tension autour de son entreprise. Le lendemain, le porte parole du gouvernement fit une déclaration qui passa en direct sur toutes les chaînes de télévision, les stations de radio et les sites d'information. Voici ce qu'elle disait :


Françaises, français, comme vous le savez notre pays traverse un moment de tension au sujet des organes artificiels fournis par la société Surhuman. Nous l'affirmons clairement, le document que certains d'entre vous ont consulté sur le site actu France est un faux. Aucun des organes artificiels vendus par Surhuman ne représente un danger pour ses acquéreurs. Soyez-en assuré, tous ces produits médicaux ont fait l'objet d'une lourde batterie de tests par des laboratoires spécialisés indépendants. Or, absolument aucun d'entre eux, nous vous le garantissons, n'ont révélé le moindre danger. Les résultats de ces tests sont d'ailleurs disponibles sur le site gouvernemental. À ce jour, il n'y a donc aucun cas de maladie ou de décès imputable aux organes artificielles de la société Surhuman. C'est pourquoi je voudrais exprimer ici la plus grande fermeté du gouvernement à l'égard de ceux qui ont propagé ce mensonge. Nous allons mobiliser toutes nos forces pour retrouver et démanteler le groupuscule terroriste qui se fait appeler CelQuiSimpDeL. Ces personnes n'ont pas d'autres ambitions que de provoquer le chaos dans le pays. Ne vous laissez pas séduire par leur discours catastrophiste et réactionnaire. Nous ne céderons jamais devant la terreur et l'obscurantisme.


Louis était pleinement satisfait de cette intervention. Déjà la tension retombait dans le pays. Au QG de CelQuiSimpDeL, les avis étaient plus partagés. Une trentaine de personnes étaient réunies autour d'une dizaine de tables regroupées au centre de la pièce. On discutait des résultats de l'action.


- Je veux que chacun dise s'il considère ou non cette opération comme un succès et pourquoi, demanda Vincent en maître de cérémonie.


Julie prit la parole en premier.


- Pour moi, c'est un indéniable succès. Le Roi Soleil a dû faire dans son froc. Les gens se sont mobilisés spontanément devant le siège social de Surhuman. L'action de la société a même fortement chuté pendant un moment. Évidemment, on se doutait que les politiques allaient s'en mêler et nous discréditer. Leur forte réaction montre qu'on leur a fait mal. Il faut qu'on continue comme ça. C'est ce genre d'action bien menée qui contribuera à réveiller les gens. Ils en viendront à se retourner contre ces sociétés qui leur vendent du rêve.


D'autres personnes prirent la parole. Certaines pour abonder dans le sens de Julie, d'autres pour la réfuter. Le principal argument qu'on lui opposait, c'était que désormais ils seraient considérés comme des terroristes. Le pouvoir allait décupler ses forces contre eux. Leur survie même en tant que groupe était menacée. Après que tout le monde ait donné son avis, Vincent reprit la parole.


- Je vous remercie d'avoir partagé votre sentiment. Rodolphe, il me semble que tu n'as encore rien dit ?


Le jeune homme avait écouté tout le monde en silence mais on sentait qu'il bouillait intérieurement. Aussi quand Vincent l'invita à parler il se précipita sur l'occasion pour vider son sac.


- J'admets que cette opération a l'apparence d'un succès. Des centaines de milliers de personnes ont pu voir que XIV se foutait royalement de leur gueule. Il y a eu des manifs. Et Cypher a même vu la valeur de sa société baisser à la bourse. Mais c'est un succès en trompe l’œil. Regardez comme la situation s'est arrangée rapidement pour lui. Cet enfoiré a tous les médias et les politiques avec lui. On ne pourra jamais l'atteindre par la voie pacifiste. Il ne paiera jamais pour ce qu'il a fait. On doit appliquer la justice nous-mêmes. Et pour moi, il mérite la mort.


Tout le monde avait écouté attentivement Rodolphe. Son air déterminé et solennel n'y était sans doute pas étranger. On sentait que la dernière phrase divisait. Certains approuvaient, d'autres y étaient foncièrement hostiles, les derniers tentaient de comprendre. Vincent sentit que ce qu'il répondrait pouvait avoir une importance cruciale pour l'avenir de Rodolphe dans le groupe et peut-être pour le groupe lui-même. Il avait toujours été un partisan de la non violence mais il savait que cette position devenait de moins en moins majoritaire au sein du groupe.


- Je comprends tout à fait ton sentiment Rodolphe. Ce type commet des crimes et il est normal qu'il subisse le même sort. Œil pour œil, dent pour dent. Mais est-ce que ça ressemble à nos principes de justice ? Est-ce qu'on en est toujours à la loi du talion ? Interrogea Vincent, profondément peiné par la proposition de Rodolphe.

- Je comprends tout à fait ce que tu dis Vincent. Évidemment qu'en droit la loi du talion n'est pas la justice qu'on défend ici. Mais nous sommes dans le vrai monde et non dans celui éthéré de la philosophie morale. Nos ennemis n'ont pas de principe et ça les rend plus dangereux. Il faut qu'on leur fasse peur, qu'ils sachent que nous aussi on peut être méchant. Si on continue avec nos actions pacifiques, on ne les arrêtera pas.


L'atmosphère était de plus en plus pesante. Une fracture se dessinait dans l'assemblée silencieuse. Julie, qui partageait pleinement la vision de Vincent, intervint à nouveau.


- On ne peut pas abandonner nos principes Rodolphe. Qu'est-ce qui nous distinguera de ceux que nous combattons sinon ? Ceux à qui nous voulons ouvrir les yeux, que se diront-ils en voyant que nous sommes capables de tuer ? Et nos ennemis utiliseront cela contre nous. Ils diront : voyez comme ils sont violents ; toutes les révolutions mènent à la dictature. Notre victoire est déterminée par notre capacité à suivre les principes que l'on proclame.


Rodolphe était sur le point de répondre quand la sonnette de l'entrée résonna. Tout le monde se dispersa dans les différentes pièces comme c'était prévu en pareille situation. Vincent regarda à travers l’œilleton de la porte. Un homme jeune tenait un colis sous le bras. Le chef ouvrit la porte.


- Monsieur Soulèze ? Demanda le livreur.

- C'est la maison d'à côté répondit poliment Vincent.


Le livreur quitta les lieux. Vincent referma la porte. Désormais il avait un problème avec Rodolphe.

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