Scène 6

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Quelques jours s'étaient écoulés depuis l'incident d'Actu France. Si Louis se sentait rassuré du retour à la normale de la situation, Francky, le directeur de recherche de Surhuman, était toujours inquiet. Le scandale sanitaire qui avait menacé la société, même pendant une très courte période, exigeait que l'on prenne des mesures drastiques contre ce groupuscule. Celui-ci menaçait ses recherches. Il était proche de l'artificialisation intégrale. Il lui était inimaginable qu'une telle avancée scientifique puisse être empêché par quelque gourou moyenâgeux. Aussi, un soir vers 22h, certain d'y trouver Louis, il frappa à la porte de son bureau. Celui-ci était situé au dernier étage de la tour Soleil, premier édifice construit de l'empire de XIV.


- Francky ! Qu'est-ce qui t'amène ici vieux ? Lança amicalement Louis.

- On ne peut pas en rester là Louis. Nous devons neutraliser ces terroristes de CelQuiSimpDeL.


Francky avait l'air extrêmement inquiet et déterminé.


- Comment ça ? Interrogea Louis circonspect.

- Il faut les empêcher de nuire définitivement. On ne peut pas prendre le risque de faire échouer la plus grande découverte de l'humanité. Je peux te le garantir Louis, d'ici cinq ans je serai en mesure de dupliquer et d'améliorer entièrement les êtres humains. Je sais que tu as les moyens de les éliminer. Tu es un homme extrêmement puissant. Sers-toi de ta force au nom de l'intérêt général !


Francky transpirait abondamment. Ses cheveux étaient en bataille. Son apparence manifestait son agitation intérieure. Cela ne faisait que donner plus de poids à sa proposition aux yeux de Louis. Si son directeur de recherche était dans cet état, c'est qu'il fallait prendre au sérieux son discours.


- Je connais des gens qui pourraient nous aider, effectivement. Le meilleur moyen ce serait d'éliminer les responsables au sein du groupe. Sans chefs, CelQuiSimpDeL s'éteindra.


Pendant que Louis et Francky discutaient de l'élimination de Vincent, celui-ci se trouvait en compagnie de Rodolphe qu'il avait invité chez lui. Il aurait voulu le convaincre de l'importance de la résistance pacifique ou au moins comprendre pourquoi Rodolphe semblait si prompt à l'usage de la violence.


- Est-ce qu'on peut reprendre notre discussion sur les futurs actions du groupe ? demanda Vincent alors qu'ils étaient au milieu de leur repas.


Rodolphe avait attendu cet instant depuis son arrivée chez Vincent. Il avait tout de suite su le véritable objet de cette invitation. Aussi, il entra de suite dans le vif du sujet.


- Je sais que l'acte de tuer n'est pas audible pour un pacifiste. Dans ce cas laisse moi te poser une des questions morales typiques : est-ce que tu contestes l'idée que si on avait pu tuer Hitler avant son accession au pouvoir, c'eût été une action hautement morale ?

- Et tu l'aurais tué pour quel motif ? À ce moment-là, il n'avait commis aucune atrocité.

- Très bien. Je ne vais pas entrer dans ce type de débat. Imaginons plutôt alors qu'on ait la possibilité de le tuer alors qu'il a déjà commis une partie de ses effroyables crimes. Ne serait-ce pas la plus haute action morale possible ? N'empêcherait-elle pas une grande quantité de mal ?


Rodolphe était sûr de lui. Ses arguments lui semblaient irréfutables.


- Je ne crois pas que ce serait une action de haute valeur morale. Par contre ce serait sans doute l'action la plus facile et la plus évidente. Ta façon de voir suppose que le fait de donner la mort n'est pas un problème en soi. On peut tuer si on a une bonne raison. Dans le cas d'Hitler on dira que c'est un monstre. On justifiera sa mort en disant qu'un être capable de telles atrocités ne mérite pas de vivre ou encore qu'il faut l'empêcher définitivement de commettre d'autres crimes. En d'autres termes, on invoquera nos critères moraux. Mais lui, de son côté, lorsqu'il a tué, ou plutôt fait tuer, tout ceux qu'il considérait comme ses ennemis, il l'a fait au nom de ses critères moraux. Il pensait que le peuple allemand était menacé de destruction. Évidemment, de notre point de vue ce que je dis est inaudible mais je ne fais que mettre en avant le problème que pose l'acceptation de la mise à mort. Aucune peine capitale ne devrait être acceptable. Si nous refusons ce principe, nous pourrons toujours nous retrouver dans un contexte où il sera légitime de tuer quelqu'un alors que nos valeurs d'aujourd'hui nous l'interdiraient. On pourrait un jour considérer, par exemple, que les pédophiles sont monstrueux et qu'il est légitime de les tuer. La seule façon d'éviter ça, c'est de proscrire la mise à mort par principe et d'accepter que c'est un acte de décivilisation. Et nous devrions même pousser le raisonnement plus loin à propos du système pénal. Je ne sais pas si tu connais ce penseur début du vingt-et-unième siècle, Geoffroy de Lagasnerie, qui a produit de nombreux ouvrages sur le système pénal. Rodolphe fit non de la tête. Il montre que le punitivisme, concept qu'il invente pour qualifier un système pénal qui combat le crime par la peine, ne fait pas diminuer la violence dans la société. Mieux, il n'y a pas de lien entre la sévérité des peines et le degré de violence d'une société. D'ailleurs, mon cher Rodolphe, si tu réfléchis d'une manière purement logique, tu constateras qu'il n'y a aucune nécessité à ce qu'un mal subi par la victime de la part de l'agresseur soit annulé par le mal subi par l'agresseur de la part du système pénal. Ici il n'y a pas annulation mais addition du mal. Voilà pourquoi je pense que tuer XIV est une erreur fondamentale. Qu'en penses-tu ?


Vincent avait fait un long monologue. Il espérait que Rodolphe avait au moins écouté, même s'il ne se faisait aucune illusion sur la portée de quelques arguments. Mais le jeune homme avait été très attentif. À certains moments de ce long tunnel on avait eu l'impression qu'il avait été perturbé. Mais ce qu'il répondit à Vincent n'en montrait rien.


- Ce que tu dis est très beau. Ça me rappelle Jankélévitch au journal de vingt heures au début des années quatre-vingt. Il venait s'exprimer sur la peine de mort alors que la France était en plein débat sur son abolition. J'avais découvert cet extrait quand je me formais à l'éthique. Il disait en substance qu'une justice humaine devrait dépasser la loi du talion. C'était précisément cela la civilisation. Dieu sait que j'aime cet être-au-monde si singulier du philosophe mais encore une fois nous ne vivons pas dans un monde théorique. Il n'est pas question de quantité de mal annulé ou additionné mais de la vraie vie. Mes tripes me disent, cher Vincent que j'admire, que celui qui se fait appeler, dans son obscène mégalomanie, Louis XIV le Roi Soleil, doit être éliminé de la surface de la terre. Je ne pourrai pas le justifier philosophiquement aussi bien que toi mais je sais au fond de moi que la vérité réside dans l'élimination de ce déchet de l'humanité.


Vincent était envahi d'une profonde tristesse en entendant ce gamin sincère légitimer le pire acte qui soit à ses yeux. Il lui adressa un sourire discret mais compatissant. Une manière de lui dire qu'il acceptait qu'il n'en soit que là.


- Écoute Vincent, je vais être honnête avec toi. Sache que j'ai parlé avec quelques personnes du groupe qui sont sur la même ligne que moi. Nous préparons une action contre XIV.


Vincent se sentit trahi. Il avait lui-même amené la graine de discorde qui ferait sauter le groupe.


- Tu ne peux pas faire ça Rodolphe. Tu nous condamnes tous.

- Je suis désolé mon ami mais quelqu'un doit s'y coller.


Sur cette dernière phrase Rodolphe quitta la table et l'appartement de Vincent.

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