Chapitre 1: Des matins comme on les aime.

7 minutes de lecture

Vendredi 7 décembre 2018, tôt le matin

Paris.

Le capitaine Garcia Lopez n’aime pas ce genre de réveil : double meurtre dans le sous-sol d’un vieil immeuble destiné à la démolition. En plus, à cinq heures du matin, même pas le temps de prendre son café bien noir. Tant pis, il passera dans une de ces enseignes américaines qui fleurissent depuis quelques années dans la capitale. Ils ne sont pas terribles, leurs cafés, mais ils ont le mérite d’être suffisamment allongés pour tenir une matinée entière. Et aujourd’hui, il va en avoir besoin. Un dernier baiser sur l’épaule de sa tendre et douce qui dort encore paisiblement. Comme elle a de la chance de ne pas se taper toutes ces horreurs et cette violence ! Ou du moins, elle en profite via les séries policières dont elle est très friande. Parfois, il se demande si le streaming légal est une si bonne chose.

Cinq heures trente, sur le périphérique parisien, la circulation est encore fluide, mais pas pour longtemps. Sortie, porte Dauphine, puis direction Gare du Nord, du moins, dans les environs. C’est là qu’on a découvert deux corps calcinés et méconnaissables. Apparemment, ils auraient aussi été éviscérés. Après avoir fait une courte pause à la station la plus proche, où il peut espérer trouver un café ouvert à six heures du matin, le capitaine de police a sa première consolation de la journée : son cappuccino allongé au sirop de noisettes.

L’équipe scientifique est déjà sur place. Super ! Peut-être ont-ils déjà trouvé certains éléments intéressants.

L’immeuble est une vieille bâtisse haussmannienne, mais laissée étrangement à l’abandon depuis ce qui semblerait être une éternité. Garcia Lopez se demande comment cela se fait que ce bâtiment soit encore debout. Et pourquoi personne n’a eu la décence de le faire démolir. Vu son état, ce ne sont pas deux cadavres qu’on aurait retrouvés, mais des familles entières. L’immeuble est tellement délabré qu’il menace de s’effondrer à tout moment. Il en profite pour regarder aux alentours. En fait, tout le quartier semble être à l’abandon. Beaucoup de sans-abris campent sous les porches et les trottoirs sont plus jonchés de détritus et de seringues usagées que de crottes de chiens, ce qui est assez exceptionnel dans les rues de la capitale. Habituellement, les ordures ne trainent pas longtemps au sol. Cet endroit est un véritable coupe-gorge et donc le lieu idéal pour planquer des corps ou commettre les assassinats les plus sordides.

Garcia pénètre dans l’immeuble. Un des agents sur place lui indique d’un signe de la tête où se trouvent les corps : un escalier peu visible descend vers une pièce qui pourrait être considérée comme une cave. Il s’engage dans les escaliers, en s’attendant au pire. Ils sont petits et abruptes. Apparemment, l’accès était caché par une grande armoire. Une pièce condamnée pour éviter toute intrusion et squatteurs indésirables. C’est l’odeur qui a permis de découvrir les corps : les chiens des sans-abris qui vivent dans le quartier et dorment occasionnellement dans le bâtiment abandonné ont alerté leurs propriétaires.

Comme les chiens n'arrêtaient pas de japper devant l'armoire, un des clochards a eu la bonne idée de la déplacer et a découvert l'espèce de niche d'où partait notre escalier.

L'odeur, parlons-en : un mélange de corps en décomposition et de poulet rôti avarié. Garcia prend un bonbon à la menthe pour couvrir la puanteur qui agresse ses narines et sa gorge. Cependant, tout ça mélangé avec le café allongé et la crème de noisette, une contraction à l'estomac le surprend et il manque de rejeter son maigre petit déjeuner sur les dernières marches de l'escalier, et sur son collègue, le lieutenant Mandrin qui l'attend là, devant les cadavres, le regard vide et le teint blafard.

Ah ! Lui, il n'a pas réussi à le garder, son petit-déj.

« Mandrin ! Tu fais chier ! T'as saboté la scène de crime ! »

Ça, c'est Fouchon, René de son prénom. Un des experts de la scientifique, mais un vieux roublard, bourré d'expérience. Il rêvait de faire sa médecine et devenir légiste mais n'a jamais réussi à passer sa première année, qu'il a triplée... Il ne supporte pas les concours. Ça le rend trop nerveux, qu'il dit. Bizarrement, il a tout de même réussi à décrocher un doctorat en science, biochimie, ce qui est déjà pas mal ! Mais sa passion de la médecine et des macchabées a fait de lui un expert stable non officiel, ce qui a le don d’énerver le véritable médecin légiste, le docteur Sven, une grande blonde aux formes affriolantes, qui en fait virer de bord plus d'un, surtout Fouchon.

Cependant, tout émoustillé d’être confronté à une telle affaire, Fouchon fait déjà son rapport, accroupi sur les corps et les yeux braqués sur les restes peu ragoûtants des cadavres. On dirait un gamin devant un gâteau à la crème géant…

« Bon ... premier point : Ce sont des femmes, vu la forme des deux bassins. En outre, je pourrais ajouter, sans trop me tromper qu'elles sont jeunes. Certainement, milieu de la puberté. Les organes prélevés sont les reins, intestins, le cœur, le foie et les organes sexuels. Ovaires, utérus, vagin … Ah oui, les seins ont été sectionnés » raconte Fouchon de son air très docte.

- Mais quel est le malade qui a pu faire une chose pareille ? »

Le commentaire de Garcia est ponctué par un bruit de vomi derrière lui.

« Mandrin !! Putain de merde ! Va prendre l'air et arrête de tout saloper !

- Hé, René, soit gentil avec lui. C'est sa première scène de crime violente.

- Oui, ben il m'emmerde, le nouveau. Ils ne font pas d'autopsie à l'école de police ? Ben ils devraient ! Et il pourrait au moins dégueuler dans un sac plastique, ce con. Maintenant, je vais devoir l'inclure dans les prises d'ADN pour l'innocenter.

- T’inquiète, il est déjà dans nos fichiers. Il est flic.

- Merci Monsieur Fouchon pour vos remarques très pertinentes. »

Une voix féminine et sèche, quoique très agréable, interrompt la discussion :

« Maintenant, laissez-moi faire mon travail. Et au lieu de jouer au docteur, s'il vous plait, finissez ce que vous avez à faire et faites-en sorte que les deux corps soient sur ma table d'autopsie au plus vite. On n'a pas de temps à perdre... »

René Fouchon tourne au pivoine. Déjà qu'il était pas mal énervé à cause des vomissements répétés de Mandrin, mais là, c'est l'effet Docteur Sven, qui vient d'arriver sur la scène de crime, en retard ... les embouteillages. René Fouchon est devenu muet, incapable d'aligner trois mots intelligibles à la suite :

« Vui Mdaaam... tsuuitte ... »

Ok. Là, Garcia doit reprendre le contrôle de son équipe. Après avoir remis tout le monde sur son poste, et gentiment remercié l'intervention du Docteur Sven, afin qu'elle retourne au plus vite à son laboratoire et arrête de perturber tout le monde, il sort dehors se griller une tueuse et tente d'avaler un peu de son jus de chaussette encore chaud. Mandrin a repris un peu de couleur.

« Bon, Mandrin, le temps qu'on obtienne plus d'informations sur les victimes, trouve-moi au plus vite à qui appartient l'immeuble, ainsi que toute information pertinente qui nous offrirait une piste. »

- Oui chef ! »

Trop content de vider les lieux, Mandrin se rend dans son véhicule et commence à pianoter sur son smartphone.

Après avoir écrasé sa cigarette sur le trottoir, Garcia en profite pour donner des directives à un autre agent présent afin d'interroger d'éventuels témoins. Ce qui ne donnera pas grand chose, sans grande surprise: personne n'a rien vu ni entendu, vue la population composée principalement de poivrots et camés en tout genre. Finalement, il redescend vers la scène de crime. Les corps ont déjà été ramassés. Tant mieux ! L'odeur, toujours aussi infecte, est cependant plus supportable.

Il commence à inspecter le sol, les murs... Leur couleur est étrange, non uniforme.

Il fait signe à un agent de la scientifique, encore présent pour faire les derniers relevés :

« Antoine, tu peux asperger du luminol sur cette zone par terre et le mur à droite, s'te-plait ? Je veux vérifier un truc... »

Le préposé s’exécute, aspergeant le sol. Le capitaine, armé d'une lampe à ultra-violet, commence à regarder si quoi que ce soit aurait échappé à la scientifique.

« C'est quoi ce bordel ? »

Apparaissent alors à même le sol, des tracés réguliers, des lignes larges qui s'entrecroisent, tout autour de l'emplacement des corps. Et comme elles s'illuminent grâce au luminol, ces traces sont faites de sang, vraisemblablement humain.

« Ferme toutes les fenêtres et éteind les lumières, tout de suite ! »

Ce que fait l'agent de la scientifique et retourne éclairer aux lampes à ultra-violet le sol.

« Chef … C'est un pentacle... »

Sous leurs yeux incrédules se dessinent les cinq branches du symbole macabre avec, en leur centre, les traces noircies de l'emplacement de deux corps.

« Chef ?

- Quoi Antoine ?

- Derrière vous... sur le mur à droite... »

Garcia se retourne et derrière lui, apparaît une tête monstrueuse, sous les jets de luminols qu'Antoine asperge fébrilement : un bouc immense au regard étrangement humain.

Antoine est tétanisé. L'inspecteur Garcia, d'abord choqué, tente de retrouver sa contenance en tripotant nerveusement son paquet de cigarette presque vide, ce qui le dissuade de s'en allumer une nouvelle. Maudit reflexe de fumeur. Soudain les différents dessins du sol et du mur droit disparaissent sous la lumière salvatrice du soleil. C'est Mandrin, qui vient d'ouvrir la porte des escaliers.

« Chef ! J'ai du neuf. L'immeuble appartient à la mairie depuis presque dix ans. Impossible pour l'instant de trouver les anciens propriétaires...

- Super ! Et tu peux m'expliquer ce qu'il y a d'exploitable là-dedans, Mandrin ?

- La mairie a passé un marché avec une étude d'architecte, dans le huitième. L'étude de Lemaître et Associés.

- Ah ben, il porte bien son nom celui-là ! Quelle heure est-t-il ? sept heures moins dix ? Bon, en comptant sur les embouteillages, on devrait y être vers huit heures et demi... Allez, les enfants... C'est parti ! »

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